« Irakly Avaliani », Hervé Gicquiau, Affinités piano

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Première du livre d’Hervé Gicquiau (détail)

 

D’Irakly Avaliani, ouï à Cortot, il existe une biographie autorisée écrite et autoéditée par Hervé Gicquiau. D’emblée, évacuons le terrible défaut du livre : une écriture péniblement maladroite, associée à une orthotypographie et à une ponctuation souvent déplorables. Bien qu’il soit difficile de passer outre ce qui constitue a priori l’essentiel d’un livre, il faut s’y essayer car le ramage vaut bien mieux que le plumage.
En effet, sont narrées ici « les tribulations d’un pianiste en URSS » et pas seulement. Les années de formation du jeune Géorgien pas encore concertiste sont captivantes. Elles nous plongent dans un monde certes complexe (l’enchevêtrement des niveaux de conservatoire n’est pas présenté avec une clarté exemplaire) mais étonnant. Apprendre le piano dans les années 1970 en Géorgie, ce n’est pas pour jouer « Tiens, v’là du boudin » à deux doigts. L’excellence musicale et l’exigence technique sont la norme, au point que, même après avoir atteint un niveau remarquable, il est trrrès prématuré pour l’impétrant d’envisager une carrière de concertiste. Et ce, pour au moins trois raisons.

  • D’abord parce que la route est longue avant LE conservatoire Tchaïkovski puis les grands concours internationaux, voie plus impériale que royale ;
  • ensuite, parce que ladite route est limitée par la situation pour partie autarcique des musiciens dans l’Union soviétique ;
  • enfin, parce qu’elle est dépendante de petites combines plus ou moins mesquines, comme aujourd’hui dans tous les conservatoires majeurs, mais sans doute un peu plus et, surtout, voilées pudiquement sous l’arbitraire politique.

Grâce à son savoir-faire musical et à ses habiles relations, Irakly Avaliani déboule au Tchaïkovski pour quatre ans d’études redoutables qui n’empêchent pas – au contraire – le pianiste de rêver à d’autres horizons artistiques, le théâtre d’abord, bientôt le cinéma. Les épreuves diplômantes s’enchaînent, associant

  • piano,
  • accompagnement,
  • pédagogie et
  • communisme scientifique (si).

 

 

Peu tenté par les concours internationaux, Irakly Avaliani revient à Tbilissi où il trouve des engagements mais ne s’épanouit guère, jugeant son jeu plus conforme à la rigueur de l’école soviétique qu’à la musicalité spécifique à laquelle il aspire. Après son service militaire, il entre en contact avec Ethery Djakeli-Rouchadzé. Sur ses conseils, il va longuement se perfectionner, c’est-à-dire d’abord casser ses habitudes d’exécution pour habiter davantage le son, l’art et l’air selon les principes établis par la compositrice Marie Jaëll. Sa mue (en deux mots) accomplie, il se téléporte à Moscou et devient pianiste pour la Philarmonia, la plus importante structure chargée d’organiser des concerts dans toute l’Union – on ne peut qu’être saisi par la carte des voyages de l’artiste, glissée dans le cahier photographique central. Le voici pianisant tant dans de grandes salles que dans des usines, des orphelinats, des prisons, etc. L’annexe de l’ouvrage offre un aperçu saisissant sur une semaine de tournée.
En dépit de la masse de travail et de déplacements exigée par son poste à la fois prestigieux et très astreignant, l’artiste trouve le temps

  • de traduire,
  • de coacher in extremis un violoncelliste qui ne lui en saura guère gré, et
  • de développer ses capacités surhumaines de concentration et de mémorisation.

Le voici capable de jouer du Bach pendant que, dans le même espace, un haut-parleur diffuse de la pop, ou d’accompagner la sonate « à Kreutzer » sans la partition, oubliée par l’organisateur. Tantôt, il passe à la télé ou récitalise, et hop, dans des salles de renom ; tantôt, il joue « La truite » dans un parc pour deux clodos (l’important étant que le concert prévu ait lieu, même en l’absence de spectateurs). En 1989, il obtient enfin de gagner l’Hexagone, où il

  • s’installera,
  • se mariera avec « Masha S. », artiste qui illustrera la jaquette d’un de ses disques, et
  • acquerra la nationalité française.

Comme annoncé par Hervé Gicquiau et par le sous-titre du livre (curieusement placé au-dessus du titre sur la première de couverture), la biographie ne s’intéresse guère à cette seconde partie de la vie d’Irakly Avaliani, peut-être moins exotique mais dont on n’est pas tout à fait sûr qu’elle soit si inintéressante. En attendant un hypothétique prochain tome et en dépit d’un style pataud qui ne saurait réjouir le lecteur, le livre d’Hervé Gicquiau entrebâille une fenêtre sur une expérience singulière et étonnante qui fait résonner ensemble l’art et l’artiste.


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