Herbert du Plessis joue Frédéric Chopin (Anima) – 1/7

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Première du disque

 

De même qu’Augustin Dumay nous expliquait qu’il avait choisi d’ouvrir le jury du concours qu’il présidait à des pianistes car « le violon n’est pas réservé aux violonistes » (retrouvez l’intégralité de notre échange ici), de même Herbert du Plessis  pose que, pour comprendre les Études de Frédéric Chopin, il faut revenir au violon puisque le compositeur se serait inspiré de la vive impression que lui avaient faite les études griffonnées par Niccolò Paganini. C’est donc dans une perspective associant

  • l’horizontalité chantante du violon et
  • la verticalité harmonisante du piano

que semble vouloir s’inscrire l’interprète qui, après avoir donné plusieurs fois une intégrale Chopin en dix épisodes, a décidé de fixer sa vision d’une partie de l’œuvre chopinienne dans un double disque, associant – notamment – les études et les préludes sous le titre presque dutilleuxique Créer un monde nouveau se référant aux débuts du compositeur cherchant à « encapsuler le monde dans un piano ». Le résultat est un

  • projet pensé, à en croire le titre et à lire le livret – même si celui-ci laisse au lecteur la liberté d’interpréter à sa façon le titre ;
  • projet engageant par son ambition ;
  • projet excitant par son répertoire,
    • virtuose,
    • habilement articulé,
    • pimpé par des raretés, et
    • associant la profusion à la cohérence.

Dans cette notule, nous nous intéresserons aux six premières œuvres incluses dans les douze études rassemblées dans l’opus 10 et dédiées à Franz Liszt. Selon Herbert du Plessis, leur proximité avec l’écriture pour violon va au-delà de l’inspiration matricielle. Elle inclut

  • des comparaisons (les arpèges de la première étude seraient, par exemple, selon le compositeur, « comme des coups d’archet »),
  • certains doigtés – fussent-ils inspirés par le pianiste et compositeur Ignaz Moscheles,
  • des pivots de la main droite rappelant, selon l’interprète, « l’archet chevauchant les quatre cordes » comme ailleurs (septième étude) l’usage d’intervalles de deux notes lui évoque celui des doubles cordes au violon, etc.

Officiellement taxée de « plus difficile » par Vladimir Horowitz, dont on s’étonne qu’il ait eu le mot « difficile » dans son vocabulaire, la première étude en Ut. La cavalcade digitale des arpèges brisés est menée avec un brio délicat qui mêle

  • exigence textuelle,
  • célérité efficace,
  • variété des touchers pour musiquer et ce qui suscite le plus l’effet wow :
  • absence de recherche de Stabylo sonore pour souligner, attention, l’injouabilité – j’avais prévenu – du truc.

La deuxième étude en la mineur travaille le chromatisme de la main droite.

  • Souplesse des doigts,
  • légèreté bondissante de la main gauche et
  • charme de la tierce picarde

accompagnent la proposition. La troisième étude en Mi, taxée de « Tristesse » par les récupérateurs de tubes et souillée par l’immonde adepte de l’inceste acidulé, assume l’association entre

  • groove du contretemps et de l’agogique,
  • lead quasi bell’cantiste et rôle de l’harmonisation,
  • unité du propos et contrastes.

Il faut saluer le travail sur

  • la spécificité des registres,
  • la justesse des touchers et
  • l’exigence des phrasés

qui

  • éclaire,
  • aère et
  • embellit le propos.

Toujours avec quatre dièses mais en ut dièse mineur, cette fois, la quatrième étude creuse la complémentarité des deux mains en perpétuelle poursuite. La tonicité du pianiste jouant à tombeaux ouverts offre un dialogue à trois entre

  • énergie saisissante,
  • bondissements captivants et
  • transitions d’intensité séduisantes.

Derrière le brio obligé et didactique, on applaudit

  • la sensibilité du geste,
  • la modestie du fan de Chopin qui n’en fait jamais trop et
  • l’excellence de l’interprète qui se saisit du projet pédagogique pour en faire, autant que possible, de l’art.

La cinquième étude en Sol bémol, 2/4 officiel mais 12/8 à la main droite, est réputée pour n’autoriser qu’une touche blanche à la main droite. Pas de quoi effrayer Herbert du Plessis qui maîtrise, sans souci de la couleur et de la dimension des touches,

  • la furibonderie (ben si) de la main droite,
  • la vivacité ponctuante de la senestre et
  • la magie des nuances malgré la difficulté.

Rien qui

  • ne minaude,
  • ne s’esquive ou
  • ne faseye :

l’artiste croit assez à l’efficience de ces tueries techniques pour ne pas chercher à en tirer gloriole.
La sixième étude en mi bémol mineur (donc un peu en Mi majeur à un moment : même jeune, Frédéric Chopin a un kiff avec la modulation…) s’unit à la cinquième puisque la dernière note de l’une est la première de l’autre. Nouvelle tierce picarde comprise, Herbert du Plessis, fort d’un phrasé onctueux et d’un legato soyeux, y valorise le charme

  • du chromatisme entraînant,
  • de l’exigence de la régularité comme source mélodique, et
  • de la tension fructueuse entre motorisme et souplesse métronomique.

Interprétation majestueuse d’un grand art en construction ou d’un projet sonnant comme un « bon courage » aux grands élèves chargés de maîtriser les différentes techniques testées par chacune de ces études ? Nous poursuivrons l’examen de cette question dans une prochaine notule.

 

À suivre !


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