Helen Buchholtz, Lieder und balladen, Solo Musica
Même si la musique classique – business pur comme chacun sait – pince le nez quand on parle de cible, voici un produit qui exclut d’emblée le public français. Pas de texte de présentation en français et, surtout, 1 h 36 de lieder sans traduction des textes ni en français, ni même en anglais. Quelle absurdité ! Tant pis, donc, pour les mots, alors que cela compte un brin dans ce genre de projet… À part deux mélodies en français et un Ave Maria en latin, où la voix souffre dans les deux dernières notes graves, nous écouterons surtout la musique de Helen Buchholtz & more, interprétée par Gerlinde Sämann, soprano, avec Claude Weber (un homme, quelle honte dans ce projet féministe ! mais il était déjà du précédent disque de lieder de Buchholtz, en 2003, alors bon…) au piano.
Helen Buchholtz (1877-1953) était, avant tout, une rentière. Héritière d’un quart des parts de l’entreprise familiale, elle était « à l’abri du besoin ». Selon la novlangue spécifique, elle était « indépendante », ce qui ne l’a point empêchée d’épouser un médecin – un Allemand, juste avant la Première Guerre mondiale. Compositrice largement autodidacte, elle a revendiqué quelque cent trente-cinq numéros d’opus aussi bien instrumentaux que vocaux. Quatre compositrices – financements fléchés sur le thème « Femmes et genre » obligent – ont reçu commande pour dialoguer avec les références de la musicienne princeps. Helen Buchholtz se retrouve ainsi « éclairée » par les nouvelles pairesses. En a-t-elle besoin ?
Les mélodies de Helen Buchholtz
Les lieder et les longues ballades déploient un sens mélodique accrocheur et un langage harmonique charmant, sinon toujours inventif – admettons-le, l’accompagnement, parfois trop modeste, peine à s’inventer un intérêt (« Wenn ich tot bin, Liebste »). La voix de Gerlinde Sämann, entre envolées lyriques et aspects plus bruts (typiquement, sur le premier disque, piste 3, 0’19, attaque et tenue de « Wein » ; piste 4, 0’45, passage de note sur « i-il l’a choisie » ; piste 8, 0’43, justesse de « Tanz », etc.), convient au propos qui prend à l’occasion la forme de chanson à couplets (« Die rote Blume »). Armé d’un joli Steinway D 274 bien capté, Claude Weber, attentif, technique et nuancé, est idéalement au service et de la musique et de sa partenaire. Peut-être s’étonne-t-on aussi, lors de la première mélodie en français, en entendant un accent sporadiquement exotique voire inapproprié (« démoiselle », 1’28 are you sure of it, Gerlinde?), la seconde mélodie en français réservant une surprise puisque le « ciel » remplace le soir dans le texte de Marcel Noppeney (le « soir » reprend sa juste place dans la réécriture d’Albena Petrovic-Vratchanska)… mais peu importe, ça tombe très bien !
Ainsi, l’on apprécie la diversité des climats qui osent parfois, sur de brèves séquences, s’emporter (« Pythia »). Plus généralement, séduit la capacité des artistes à se laisser guider par les inflexions de l’écriture. On goûte les quelques modulations inattendues (« Einsamer Weg », 2’31 ; étonnant début de « Blauvögelein » enchaînant Db, Dm et Am, etc.) et l’écrasement momentané de la tonalité (« Illusions »). En dépit de la déperdition liée au non-texte, lors d’une écoute au long cours, on se réjouit de la variété des durées, qui oscillent entre 2’ et plus de 6’ pour les ballades complexes – à cette aune, l’enchaînement entre « Die Zigeuner » et la jolie chansonnette « Ro’ A Fridden » est finement pensé.
Les créations autour des mélodies de Helen Buchholtz
Les « 5 Coloristic Miniatures » de Tatsiana Zelianko reposent d’abord sur d’abondantes guirlandes pianistiques. Dessus se posent des bribes de voix, chantée ou parlée. Des accords disparates rythment, en dialogue avec le silence et la résonance, la deuxième micropièce, qui se conclut sur une phrase parlée. La troisième proposition ose le ternaire sans renoncer à la liberté du bancal. Le quatrième segment est introduit par le piano. Une voix presque plus plaintive que lyrique va le surplomber, suscitant l’emportement du clavier. Une phrase parlée conclut le mouvement. Le dernier morceau du puzzle offre à la voix, portée par un motif obsédant du piano, de s’exprimer jusqu’au suraigu.
Pour la création de Catherine Kontz, nous avons laissé tomber la notice explicative où un amphigouri synesthésique passe le flambeau de la composition féminine au Luxembourg à travers l’évocation d’oiseaux et d’un jardin maternel qui etc. (je synthétise à peine). L’œuvre conduit le pianiste à travailler au-delà du clavier pour créer des sons répondant à la vocalité de sa partenaire, chargée d’imiter des oiseaux en faisant « tchip tchip », « haha » ou « toutoutoutou » – soit, comme le « tictac » du piano et de la voix dans « Die Alte Uhr », mais la musicalité explicite en moins. On peut sans doute être sensible à ce type de proposition ; alléluia ! on n’est pas obligé.
La troisième création, signée Albena Petrovic-Vratchanska, recourt à une percussion de type cloche, au piano et à une voix entre parlée, dégoulinante et lyrique. Le piano commente les interventions de la soprano, et résonne d’autant qu’il martèle et est frappé. En dépit d’une recherche d’expressivité qui accroche l’oreille attentive, avouons que nous sommes aussi resté à la porte de cette suggestion.
La quatrième création est siglée Stevie Wishart. Inspirée par une mystérieuse lettre d’amour, elle est indicative puisque la partie notée sert de base à une improvisation où « l’expressivité est du ressort de l’interprète ». Tout commence par un accord égrené en boucle pendant 2’30 par le piano, avec des accents variés. Sur cette base hypnotique que la pédale de sustain nimbe d’un halo, la voix se pose et oscille entre texte et vocalise. Puis le piano change d’accords pour suivre les volutes vocales, rythmant le propos ternaire par la vitesse à laquelle il déploie ses notes. Se revendiquant du récitatif baroque, cette musique mute vers 4’20 pour laisser plus de liberté au pianiste, quitte à ce que les synchronisations avec la voix deviennent moins nettes. La tonalité se dissout, et la musique s’efface dans le suraigu résonant du piano, laissant le propos en suspens– comme toute mystérieuse lettre d’amour ?
La conclusion
En dépit du discours pompeux et sexiste qui habille ce double disque au nom d’un féminisme pas plus aguichant que le serait un machisme de circonstance, il ne manque pas de pimpant. Restent deux défauts agaçants :
- un livret qui n’a plus sa place une fois extrait de sa planque (opter pour un collé plutôt que pour un glissé s’imposait) ; et
- l’absence de traduction qui, on l’aura compris, empêche les non-germanophones de goûter une grande partie des subtilités de ces chansons avec des poèmes dedans.
Il faut reconnaître que Sony ne le distribue qu’en Allemagne, Autriche et Suisse… Dommage que, pour une fois, le Luxembourg reste une île hermétique à la diversité linguistique. Sera-ce que la musique est moins rentable que la finance ?
Pour écouter le double disque en intégrale, c’est ici.
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