Hansjörg Schellenberger, « Lebensfreude : ouvertures de Schubert », Solo Musica (1/2)
Au début était la symphonie, que nous appelons nowadays un instru. Ensuite est venu le temps des ouvertures, ces intros qui précédaient les opéras, même si les compositeurs les écrivaient en général quand ils avaient fini l’opéra, histoire de pas les écrire pour rien et d’avoir en tête tous les thèmes exploités dans le bouzin. Enfin, l’ouverture s’est autonomisée et est redevenue… une symphonie. Tant mieux pour Franz Schubert qui, en dehors des symphonies achevées, a composé des opéras ou assimilés qui ont souvent fait tchoufa. Aujourd’hui, ses ouvertures sauvent tout un pan de sa musique orchestrale, et c’est bonheur de s’apprêter à en entendre une sélection, qui plus est intitulée « Joie de vivre ». Par sens du défi et par humour, sans doute, le haubtoïste et chef Hansjörg Schellenberger (photographié en train de lire une partition de Haydn sur un disque 100 % Schubert : c’est sans doute très signifiant) raconte qu’il a enregistré – en respectant les conditions sanitaires édictées par les sachants, donc aussi débiles que draconiennes – cet album d’ouvertures quand le confinement de novembre 2020 a tout fermé.
L’album d’ouvertures s’ouvre et se ferme sur des œuvres « dans le style italien ». Première sur le pupitre, la D 591, en Ut, semble s’amuser de l’inspiration originale. Le tempo lent choisi par le chef la rend quasi pédagogique. À l’Adagio répond un Allegro lancé par les cordes avant que les vents ne reprennent le lead.
- Rythmes pointés,
- contretemps,
- répétitions,
- changements
- de mode (majeur vers mineur et retour),
- de couleurs et
- de thèmes
profitent d’une mise en place solide malgré les contraintes ayant présidé à la captation, et esquissent un opéra imaginaire qui eût été assurément croquignolesque. À défaut de folie, de fantaisie ou d’humour, une exécution sérieuse qui lance l’écoute sur de bonnes bases.
La deuxième ouverture décapsule, cette fois, un opéra achevé (le dernier) par Franz Schubert. « Fierrabras » pourrait être sous-titré « Le dindon de la farce ou « Le cocu de l’histoire », ça marche aussi. En effet, le héros qui donne son titre à l’œuvre est fait prisonnier lors d’une bataille ; il est amoureux de la fille du souverain ennemi, mais celle-ci a déjà un chéri avec lequel elle s’enfuit ; Fierrabras est donc puni car on le soupçonne d’être mêlé à cette disparition ; à la fin, tous les fiancés se marient, les ennemis se réconcilient – et le seul à être marri, c’est Fierrabras, le pauvre choupinet.
Un Andante à trois temps se présente d’emblée sous des habits fort dramatiques qui permettent au Berliner Philarmoniker de nuancer avec goût, groupes par groupes :
- les cordes d’abord,
- les cuivres avec la timbale ensuite,
- les vents enfin.
Signe que les choses ne se passent pas bien pour le héros, on passe
- en mineur,
- en deux temps et
- en Allegro ma non troppo.
L’orchestre se répond entre groupes de pupitres avant de s’emballer pour retrouver au grand complet le mode majeur. Néanmoins, promptement, la mélancolie pointe sous l’influence du hautbois, de la clarinette puis de la flûte. La tonicité martiale en profite pour faire surface. Quand cette inclination s’épuise, l’orchestre reprend ses dialogues internes, qui préparent le retour du tutti. Le jeu de systole-diastole coordonne le cœur de l’ouverture. Un grand crescendo anime, lui, la coda qui réitère la valse-hésitation de l’orchestre. À l’arrivée, l’histoire est très correctement troussée, sans pour autant nous avaler dans une effervescence narratrice fofolle – peut-être l’éloignement des musiciens, au nom des Mesures Gouvernementales, explique-t-il pour partie cette étrange coexistence entre qualité du jeu et frustration auditive.
L‘ouverture D 556, en Ré, démarre à l’unisson sur l’énoncé d’un accord de La. Avant d’oser le Si bémol, l’orchestre prend le risque du ritendo solennisant sans fard l’Allegro maestoso qu’il joue. Au hautbois de lancer l’Andante sostenuto où les cordes jouent les utilités – mais force reste aux clarinettes qui amorcent le groove de l’Allegro vivace. On salue la capacité de l’orchestre
- à sonner sourd ou léger,
- à contraster les atmosphères et
- à créer des nuances circonscrites à des pupitres ou englobant l’ensemble de la phalange.
La prise de son, très claire tout en restant unifiée, une performance de Ralf-Peter Brinkmann, joue son rôle dans cette réussite, en nous laissant savourer la qualité des solistes (notamment parmi les vents), lesquels entraînent derrière eux leurs collègues de qualité. Si l’on eût aimé, on l’aura compris, un soupçon de folie supplémentaire, la belle ouvrage se confirme.
Pourtant, ce beau travail semble se fêler en choquant contre la quatrième ouverture, la D 8 en do mineur, et sa double originalité. Elle est en mineur, justement, et elle est destinée à un ensemble de cordes. Or, le Largo ternaire n’est pas à l’avantage de cette phalange pourtant réputée. Ainsi,
- le ré des seconds alti, à la fin de la huitième mesure, n’est pas interprété au même diapason par tous (0’31) ;
- le premier ré des premiers alti à la mesure 18 est terriblement faux (1’08) ;
- pareil pour le sol qui jure à 1’31 : on n’est pas loin de penser que ce n’est pas très digne de laisser passer des mochetés pareilles avec un combo berlinois.
Si compliquée que cela fût grâce aux gouvernements sanitaires, une séance supplémentaire de captation semblait s’imposer. Et peu importe que l’on me chante « qui tu es pour défier un orchestre qui blablabla ? », je suis pas là pour lécher des pommes mais pour applaudir et inciter à découvrir quand cela me semble juste et bon, mais aussi pour modérer les brava lorsque l’affaire paraît se compliquer. Nous ne noterons donc pas nos sursauts suivants, tâchant de nous concentrer sur ce qui ne relève pas d’étonnantes disjonctions de justesse.
L’Allegro à deux temps travaille sur des notes répétées dont l’orchestre à cordes rend l’aspect inquiétant, en veillant à l’éclairer par des nuances. L’allant convient bien aux musiciens qui apprécient audiblement
- de rebondir,
- de relancer les courses après les points d’orgue,
- de profiter des contretemps pour gagner en élan,
même si, là encore, l’oreille tique malgré elle. De fait, les coups d’archet ne semblent pas toujours uniformisés, gâchant parfois l’effet d’ensemble et remplaçant la puissance incisive des croches réitérées par un gloubiboulga un peu flou (écoutez la différence entre 5’38 et 5’41, par ex.). La fin est plus favorable aux cordistes, qui y brillent d’un certain éclat et d’une énergie certaine, nous redonnant la gourmandise d’ouïr la suite… dont nous rendrons compte dans une prochaine notule.
À suivre !