Guy Bovet joue Gregorio Strozzi (VDE-Gallo) – 1/2

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Première du disque

 

Double audace dont témoigne ce disque :

  • d’une part, la musique pour orgue du dix-septième siècle supporte difficilement, à nos tympans modernes, une écoute continue ;
  • d’autre part, comme le reconnaît l’interprète, Gregorio Strozzi traîne une réputation de “compositeur dilettante”, peu familier des règles de composition et griffonnant des mesures injouables au clavier, même avec des mains rachmaninoviennes.

C’est donc avec curiosité que nous nous apprêtons à nous laisser convaincre que l’écoute vaut la chandelle. Étant considérées les difficultés de fomenter un disque, impossible d’imaginer que l’interprète ait consenti cet effort dans le seul but d’engoncer ses auditeurs dans un ennui nonchalant. Sous ses mimines, il a choisi de glisser un orgue construit par Giovanni Battista Reina en 1712, augmenté d’un clavier d’écho en 1717, modifié en 1819 et restauré à l’état d’origine en 2018. Au programme :

  • deux claviers (incluant chacun une octave courte, c’est-à-dire avec des notes en moins) ;
  • treize notes à la pédale (accouplée au grand orgue en permanence) ;
  • une composition confortable avec,
    • au grand orgue, une dizaine de jeux,
    • six au clavier d’écho,
    • une contrebasse de 16′ et 8′ à la pédale ; et
  • un diapason à 442 Hz dans des conditions climatiques moyennes.

Guy Bovet ouvre son récital par une pièce d’ampleur, la Toccata prima qui inclut, contrairement aux promesses de son titre complet affirmant que l’affaire se jouera manualiter, une pédale obligée afin de tenir les notes les plus graves. L’ouverture solennelle sur le plenum fait apprécier un son riche que l’interprète laisse s’épanouir quitte à reléguer au second plan les dentelles en doubles croches, triples et ornements. La masse du plenum habite l’espace et voile en quelque sorte l’agitation des petites saucisses, obligeant l’auditeur à redoubler d’attention pour attraper quelques bribes mystérieuses de traits ou de danse à 6/4. De la sorte, on devine – c’est le jeu – plus que l’on ne savoure pleinement les

  • jeux chromatiques,
  • mutations rythmiques et
  • systèmes d’écho entre les voix.

 

 

Cette entrée en matière solennelle contraste avec les deux brèves gaillardes proposées à la suite. La registration, évidemment plus légère et variée, offre une meilleure vue sur l’art musical ici à l’œuvre à travers, notamment,

  • les choix d’ornementation,
  • l’enrichissement du texte lors des reprises, et
  • la précision du phrasé incluant les cahots rythmiques qui contribuent au swing de l’ensemble jusqu’à la tierce picarde conclusive.

La troisième ricercata del nono tono naturale propose d’entremêler deux sujets fuguant de conserve.

  • La clarté de l’énoncé,
  • le charme des timbres,
  • la simplicité paradoxale des
    • enlacements,
    • séparations,
    • échos et
    • retours

contribuent au plaisir et à l’intérêt de l’écoute, que quelques surprises dans les effets d’attente aiguillonnent à dessein.

 

 

La Mascara sonata e ballata s’acoquine en première et troisième parties d’une percussion. On y apprécie au premier chef

  • les contrastes de registration,
  • l’usage habile du clavier d’écho et
  • l’efficacité de cette pièce dansante en partie reconstituée avec intelligence par l’interprète.

La Sonata seconda del settimo tono naturale vibre joyeusement sous les saucisses de l’organiste. Une première partie fait circuler un thème solaire qu’électrisent de jolies trilles. Sur des jeux flûtés du plus bel aloi, la deuxième partie continue de sautiller avec élégance. La troisième partie est se présente en toccata libre, respiration comme improvisée, associant

  • tenues,
  • traits et
  • ornements.

La vigueur est de mise dans la quatrième partie où les deux mains pépient en dialoguant jusqu’à l’accord final que l’interprète semble couronner d’un sol triomphal non prévu dans la partition mais complètement dans l’esprit du texte. La Toccata quarta per l’elevatione s’avance lentement sur la pointe d’un arpège serti dans un tremblant approprié. Guy Bovet prend son temps pour

  • poser les harmonies,
  • travailler le grain des fonds et
  • laisser imaginer le moment solennel de l’eucharistie que l’œuvre aspirait à envelopper.

 

 

Le tempo est assez juste pour jouer à la fois de l’hypnose qu’inspire la libération de toute bousculade, et de l’intérêt qu’éveillent les micro-événements prévus par le compositeur

  • (mini traits ascendants,
  • contretemps,
  • surgissement de la pédale,
  • mutations harmoniques…).

Après ce temps long, le musicien choisit astucieusement de placer six pièces brèves. C’est par elles que nous ouvrirons prochainement le second épisode de cette recension.


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