Guitarp duo joue de Falla, Debussy et Ravel (Solo musica) – 2/3
Transition entre le premier cycle de de Falla et le suivant de Debussy, Homenaje du premier pour feu le second. C’est la seule pièce du disque jouée telle quelle, id est sans transcription. Habanera libre, la pièce exige que l’interprète, en sus de posséder une technique très pointue, sache aussi
- s’appesantir,
- sentir le juste moment pour poser notes et harmoniques octaviées, et
- créer un swing funèbre d’une belle complexité entre
- repères à la basse frottant contre agogique en général et changements de tempo en particulier,
- inégalités,
- arpèges,
- triolets de croches ou de doubles,
- quintolets voire sextolets de doubles,
- ornements, appogiatures et accents, etc.
Maurizio Grandinetti déploie avec une grande poésie
- la noirceur du morceau,
- son harmonie saisissante et
- sa brûlante brièveté sans cesse en ébullition intérieure.
Pour tuiler Manuel de Falla avec Claude Debussy, le Guitarp duo choisit de bousculer l’ordre d’Estampes afin de rester dans un rythme de habanera avec « La soirée dans Grenade ». Choix évidemment contestable, comme presque tout choix intéressant, mais qui témoigne d’un souci de penser le disque comme un récital cohérent et non comme un catalogue de possibles. À la harpe l’ambiance liminaire, à la guitare les harmonies hispanisantes. Si l’on se déprend de la délicieuse complexité pianistique originelle (enfin, « délicieuse » quand c’est pas toi qui joue, certes), on ne peut que saluer
- les ruptures de tempo parfaitement senties,
- les audaces harmoniques rendues avec grâce,
- la richesse des registres convoquées sans faseyer, et
- la belle capacité à traduire la ductilité du propos
- (rubato,
- agogique,
- caractère,
- tonalité).
Octaviation comprise, les complices veillent à rendre la complexité stimulante de cette pièce intermédiaire avec un à-propos jamais démenti.
Les estampes – mot que les auditeurs fantômatiques de Georges Brassens vénèrent, surtout avec des hanches quelque peu convexes – continuent donc par leur début, « Pagodes », en Si et sur un tempo « modérément animé ». Idéalement dessiné pour une harpe à laquelle se mêle une guitare tantôt harmonique, tantôt mélodique, le mouvement est rendu avec
- la juste exigence rythmique, tantôt souple, tantôt précise,
- le sens du dialogue stimulant, tantôt complémentaire, tantôt fusionnel, et
- le mystère ad hoc, tantôt onirique, tantôt swingué par des accents saillants.
Derrière l’exotisme de pacotille que cet arrangement dissipe du reste quelque peu, la proposition du Guitarp duo se révèle
- très intéressant,
- techniquement en place et
- musicalement fouillé.
Les « Jardins sous la pluie », passage indiqué « net et vif », convient également aux cordes grattées avec leur prédominance de simili arpèges qu’investissent avec aisance les deux complices séduisant par
- leurs permutations judicieuses,
- l’art d’habiter l’harmonie égrenée tout en faisant sonner le lead (donc les références aux deux chansons enfantines qui tiennent lieu de fil rouge et finissent par s’interpénétrer),
- l’habileté à détricoter l’enchevêtrement rythmique pour mieux plonger l’auditeur dans cette trame, ainsi que
- la faculté à rendre naturelles les brillantes modulations.
On ne peut que s’incliner devant
- un choix d’œuvre malin,
- une réinterprétation brillante et
- une capacité à rendre poétique le complexe.
Du meilleur augure avant les trois Miroirs de Maurice Ravel qui s’annoncent…
À suivre !
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