Gérard Morel, « Affûtiaux cafouilleux », Café de la danse, 5 février 2018

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L’affiche est alléchante, car elle rassemble deux artistes, produits par Vocal 26 (l’ex-producteur de Romain Didier et le toujours producteur de Michèle Bernard), dont nous sommes client enthousiaste dès que l’occasion s’en présente. Pour preuve, nous réservâmes notre place de février dès le 28 octobre 2017. Foufou, donc.
En première partie sévit Luc Charreyron, grand maître de la pifologie, autrement dit la science du pifomètre. L’expert en conférences pas si absurdes, aux accents sporadiquement françois-rolliniens et souvent poétiques, propose un florilège de son spectacle en « Surchauffe ». Le best of est constitué de trois extraits ouvertement scotchés ensemble pour l’occasion. Le texte part sur des bases comiques proposant une physique, quantique (avec un « qu ») ou non, du Père Noël, façon Alexandre Astier dressant un « bilan mitigé » à coups de PowerPoint ce soir partiellement interactifs. Puis il s’enrichit par la création du personnage de savant expulsé mais pas dupe, et s’achève sur une note poétique (et quantique) autour d’une petite fille que l’on aide à vélocipéder seule, dans la veine onirico-logique d’un Gauthier Fourcade. Hurluberlu avenant, Luc Charreyron impose très vite son personnage, y compris devant une salle venue entendre de la chanson. Sans doute cette rhapsodie de moments choisis semble-t-elle ajourée ou rapiécée çà ou là, par souci de ravauder des bribes qui ne matchent pas toujours au poil de fesse. L’exercice, ingrat, l’exige ; mais la singularité de l’artiste séduit une salle largement novice en charreyronades, et laisse présager d’heureuses découvertes, tant quant(ique) au spectacle intégrale que pour la seconde et grande partie.

Photo : Bertrand Ferrier

Car les gens, surtout des vieux (on aperçoit même une chanteuse à rouge crinière, mais quel âge ça lui fait donc ?), se sont déplacés en masse pour applaudir Gérard Morel, un chanteur qui renouvelle son répertoire en presque intégralité à chaque nouveau spectacle – ce coup-ci, surnageront quelques rares antiquités plébiscitées par le public, comme le très annesylvestrique « Claire et Clément » ou le navire amiral du capitaine Morel, « Les goûts d’Olga ». Là encore, la peinture semble un peu fraîche : « On rode notre spectacle à Paris avant de le tourner en province », affirme l’artiste, même si le spectacle a déjà tourné en province fin 2017. De fait, on note le travail effectué : travail de mémoire car Gérard Morel écrit de longs textes souvent parophoniques et peu narratifs, sans doute peu aisés à retenir et pourtant bien embouchés dans l’ensemble ; travail de problématisation car un fil rouge (« l’amour, hétéro ou lesbien, le seul engagement qui vaille une chanson »), qui rappelle le Ricet Barrier du double live québécois Tel quel chantant « le couple », chapeaute d’autres sujets tout aussi essentiels et tout aussi consubstantiels au zozo, venant se faufiler sans qu’ils ne tournent dos, au premier chef la gastronomie ; travail d’originalité, puisque, cette fois, Gérard Morel s’entoure de quatre mains qui l’accompagnent, en l’espèce Françoise Chaffois à l’accordéon et Stéphane Méjean aux saxophones, au « vase » percussif, à la flûte typique, aux castagnettes et à la cornemuse ardéchoise. Devant tant de labeur, accompagné d’un décor de cabaret et de nouvelles chansons qualitatives, comment expliquer que nous ne nous laissions prendre que difficilement au jeu de cet Achille Talon musicien ?

Stéphane Méjean, Françoise Chaffois et Gérard Morel. Photo : Bertrand Ferrier.

La première raison est évidente : la sonorisation est une honte. Le micro du chanteur fait cracher certaines consonnes assourdissantes tout au long du récital, et ce n’est pas la faute de la salle (nous y avions apprécié des chanteurs deux jours plus tôt, avec des voix supérieurement retransmises) ; et la guitare de Gérard Morel ne sera jamais amplifiée, mais les techniciens placés à la régie feront bien chier les rangs avoisinants en devisant à très haute voix – de leur incompétence, suppute-t-on. Devant la pléthore d’excellents régisseurs sons, on déplore bien sûr l’inefficacité, la mauvaise oreille et la grossièreté de l’équipe du soir.
La seconde raison est pour partie subjective : sans que l’on le souhaite, au contraire, quasi tous les choix esthétiques relevant de Stéphane Méjean, compositeur et arrangeur bien implanté localement et qui, sur scène, inspire la sympathie, nous hérissent. Pas tant le côté « on est fiers du terroir d’où c’est qu’on vient » (même quand on n’aime pas souvent les imbéciles heureux qui sont logés quelque part, cette veine souriante est un classique du genre : Wally, dans un genre pas très éloigné mais un physique désormais si, le revendique aussi – soulignant la stupidité de ces conventions qui trouvent le nationalisme répugnant, par opposition au régionalisme, tellement trognon). Plutôt le côté kitsch de l’habillage général, matérialisé par les costumes (même pas c’est une blague), dont la stérilité artistique est patente. Et aussi l’usage cliché de cet accordéon que l’on abhorre dès lors qu’il se cantonne à accompagner plus ou moins façon guinguette – oui, même quand il est, comme ce soir, bien manipulé. Et aussi le recours à des genres musicaux sciemment et systématiquement hors de nos goûts, entre java des familles et faux latino, et avec citations coupant les chansons, trop évidentes et stéréotypées pour être mieux que fat. Et aussi, enfin, la copie du personnage « cucul » de Nathalie Miravette, attribué à Françoise Chaffois qui le maîtrise beaucoup moins bien : pourquoi diable ?

Photo : Bertrand Ferrier

Ces incompatibilités artistiques, personnelles mais pas que, nous feraient presque oublier, sottement, le souci de mise en espace, qui pourrait certes être approfondi mais n’est pas si souvent aussi poussé dans les spectacles de chansons. Elles nous feraient presque oublier aussi une fin de spectacle en crescendo, très réussie. Et une palanquée de textes à la dégaine parfois similaire, mais toujours fouillés avec gourmandise (et avec, un peu pesant à la longue, un dictionnaire de rimes). Et elles nous feraient presque oublier, comble de leur malséance, Gérard Morel, un personnage de la chanson française truculente, variée, qui en a dans l’genou – un zozo que l’on se réjouirait de réentendre à Paris seul avec sa guitare qui l’accompagne.
Comme l’aurait proposé Ricet Barrier : tel quel.