Gauthier Fourcade, « Le sens de la vie… », Manufacture des Abbesses, 18 décembre 2024
D’un côté, les clichés et leurs hashtags du type #lunaire ou #absurde. De l’autre, un comédien qui n’électrise jamais les salles autant que quand il interprète ses propres élucubrations. Soit, donc, Gauthier Fourcade, de retour à la Manufacture des Abbesses, une salle montmartroise où l’artiste a désormais ses habitudes. Il y présente son nouveau spectacle, intitulé Le Sens de la vie est-il un sixième sens ou celui des aiguilles d’une montre ?. Cet inventeur de jeux – il avait presque créé, et nous étions de l’aventure, une fédération autour de son Yin yang – estime que la vie est elle-même un jeu, sauf qu’il lui manque en général – et qu’il nous manque en particulier – la règle voire le mode d’emploi.
C’est sans doute cette notice technique qu’il cherche dans le liquide amniotique de la scène tandis qu’entrent les spectateurs et que lui est déjà au travail. La quête du sens de la vie n’a pas de fin, mais elle n’a pas vraiment de début non plus, suggère peut-être l’artiste en s’agitant comme, subodore-t-on, un fœtus mouvant. Autour de lui, en guise de décor,
- deux échelles tordues,
- des boules de papier mâché et
- deux poufs.
Quand la salle s’éteint, la scène se met à étinceler de jeux de mots :
- parophonies,
- concaténations,
- parallélismes,
- décalages et
- resémantisation
pullulent dans une première partie hilarante où le personnage qu’incarne le comédien semble, et on le comprend, un rien stressé par l’ampleur de sa tâche. De nombreux bégaiements et fourchements linguistiques, inhabituels chez Gauthier Fourcade, montrent que le spectacle est encore en rodage et que la problématique est vertigineuse. Il s’agit ni plus ni moins de découvrir, alla Monty Python, le fameux sens de la vie ou, au moins, sa direction.
- Les filles, d’abord, que tout garçon bien né rêve d’avoir à ses pieds, à ses genoux ou, à défaut, à ses tibias.
- Le cosmos, ensuite, pour en remontrer à ces étoiles qui lui lancent : « T’es rien ! » ou pour se libérer de la boue du sol fournie sans boussole.
- La métaphysique, enfin, qui amène à constater définitivement qu’aucun de nos cinq sens ne dévoile le sens de la vie – il faut donc en chercher un sixième.
Celui-ci serait-il le fric ? Ni une, ni deux, le narrateur décide de devenir l’homme le plus riche du monde, sans doute parfumé au musc. Pour cela, il se lance curieusement dans le théâtre, sans perdre de vue l’objectif sous-jacent à la richesse : moins la conquête de l’espace que la conquête de l’espèce. Féminine, en l’occurrence. Faute de devenir Crésus, il constate que certaines femmes aiment l’échec plus que les chèques car celui qui échoue est chou. Encouragé, il est frappé par l’apocalypse, cette fameuse révélation-dévoilement qui lui assène qu’il ne peut pas trouver le sens de la vie parce que la vie n’a pas de sens mais deux sens, celui de l’homme et du dauphin. Aussitôt, il écrit à l’Académie des sciences une bafouille très sérieuse et très écolo, expliquant notamment
- pourquoi la Terre est entourée d’or dur,
- pourquoi, à force que l’eau sature, ça tuera les poissons, et
- pourquoi notre drôle de cuisine a abîmé les plats nets en fomentant une sous-croûte qui fait qu’on aurait bien besoin d’un casse-croûte – d’autant que, plus il y a de trous, plus il y a de forêts.
La rebuffade qu’il reçoit de ses collègues scientifiques change son projet d’existence. Plutôt que d’avoir le blues de la blouse, il décide d’exploiter son penchant rigolo avec une petite aide de Bacchus. Bah, oui, puisque tout est vin, autant le boire. Essaye !
- Grâce à la gnôle de Dieu, la vacuité va te cuiter ou te quitter, qui sait.
- Tu verras l’avenir si rose… Mieux !
- Tu deviendras même médium, voyant double grâce aux bouteilles devins – divin !
Cela se fête par une petite chorégraphie accompagnant une pénible chansonnette ensoleillée. Disons-le une bonne fois de bonne foi : la musique est affaire
- de goût,
- d’égout ou
- de dégoût.
En l’espèce, as far as we are concerned, c’est le point le moins séduisant de ce spectacle passionnant. Ce nonobstant, grâce au nectar, le danseur découvre un téléphone qui mène à Dieu – Dieu, ce concept tellement illimité qu’il est difficile de l’imiter. Pour plus de praticité, le personnage monte aux cieux, puis ses souvenirs se mélangent. La preuve, il ne sait plus où le met l’ange. Se retrouvant grâce au chouchen sous chêne sanglant car sans gland, il espère cependant trouver le sens de sa vie écrit sur une feuille d’arbre, ne trouve pas la bonne, envisage donc de se suicider mais reproche au suicide d’avoir ce terrible inconvénient qui consiste à raccourcir la vie (le pire serait que cela advint à Étretat, quelle que soit la région mentale où se situe cette ville, ses fadaises et ses falaises. Pris dans les échelles, physiques et symboliques, le personnage perd pour partie son inclination pour le verbe en optant pour un constat philosophique selon lequel la taille de l’univers dépend de la taille de celui qui l’évalue. Jusqu’à claquer cette punchline qui rappelle que ce one-man-show drôle-et-pas-que charrie aussi une réflexion spéculaire sur l’homme, l’art, l’artiste et tout un chacun (nous, donc) :
On a bien raison d’être petit, ça nous permet d’inventer l’infini.
Les pérégrinations ne sont pas vaines.
- La conscience,
- la mort (« tout est provisoire, sauf la mort mais, par la mort, l’homme atteint l’infini »),
- les paradoxes temporels
emmènent Gauthier Fourcade vers de plaisantes fulgurances qu’il semble excuser par sa compréhension phonique du langage (« j’aspirais au sublime mais, quand je l’ai su, blim »). Fulgurent donc des histoires
- de présent impossible à décrypter,
- de mouton alphabêêêêêtique et
- de mondes où un type dit « j’erre » sans avoir mangé.
Les énigmes qui l’assaillent n’ont, à l’en croire, qu’un objet : lui faire accepter que, pour comprendre, il faut accepter de ne pas tout comprendre. Y compris
- le sens de la vie,
- le monde concret qu’on crée et
- les forêts au vert forever de faux rêveur.
Alors que la musique tente de boucler la boucle (en un sens) en rappelant l’incipit, l’admirateur des arbres et des étoiles sourit en refusant de n’être que sous cieux. L’auteur-acteur ne se laisse pas emporter par des torrents de jeux de mots qui, sur la durée, pourraient paraître ronronnants, car ceux-ci sont toujours insérés dans une économie diégétique efficace. Bon, d’accord, même moi j’ai sursauté en relisant ça, mais ça veut dire, en gros, si je me suis bien entendu : les jeux de mots ne sont pas des à-côtés, ils font avancer l’histoire qui nous est racontée. Le vagabondage mental du personnage fourcadien a l’élégance d’associer
- humour efficace,
- méditation intérieure et
- singularité assumée.
Le résultat est
- puissant souvent,
- parfois poignant, et
- habilement orné de ce zeste de désinvolture qui n’est point indifférence mais légèreté.
Du Gauthier Fourcade qui
- tape dans l’os en jouant à la fois sur la spécularité du théâtre (je suis l’acteur qui joue l’acteur qui joue le texte) et sur le miroir dramatique (je sors du cercle du personnage pour ne pas être qu’un personnage, quitte à passer pour le sage comédien dirigé par Vanessa Sanchez investissant un décor minimaliste de Blandine Vieillot),
- ne se contente ni ne se satisfait de savoir être drôle avec malice (ce qui ne serait déjà pas rien dans un monde envahi d’humoristes consternants) et
- n’a pas peur de se poser en tant que
- citoyen,
- roseau pensant,
- humain.
Dans un théâtre qui permet la proximité et la vibration avec l’artiste, si j’étais Joe l’influenceur, je dirais : « Francilien, rates-tu pas ça ! »
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