Gauthier Fourcade, « Le Cœur sur la main », Scène Thélème, 5 avril 2019

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Photo : Bertrand Ferrier

On a eu l’occasion de dire du bien, ça nous arrive, de l’hurluberlu qu’est Gauthier Fourcade. Cette fois, c’est beaucoup plus sérieux. Quasiment archéologique, pour dire. A priori, il s’agit du premier spectacle écrit par Gauthier Fourcade. En réalité, pas tout à fait : il s’agirait du un-et-demier, ce qui en dit long sur le bonhomme.
À l’invitation du patron de la Scène Thélème, le comédien expert ès loufoqueries reprend son Cœur sur la main qui sera aussi à l’affiche de la rétrospective des Abbesses, à la rentrée – Gauthier Fourcade y reprendra ses cinq spectacles. Rien de paniquant pour un type capable de faire une Maria Joao Pires : comme il joue plusieurs spectacles en même temps, il lui arrive de débarquer dans un théâtre en croyant qu’il va jouer la « mauvaise » pièce, et donc de jouer au pied levé la « bonne ». Loufoque jusqu’au bout. Et puis, ce soir, pas de trac en vue puisque son vrai trac, c’est pour dans quarante-huit heures, quand il animera son premier « café philo » pour enfants.
Tenons-nous le pour dit, Gauthier Fourcade a un grain qui le pousse, par exemple, à fleurir dans cet endroit étrange où pas de régie lumière, pas de coulisse, juste quelques spots fixes et un rideau qui cache surtout le mur. À jardin, une chaise, une table, un verre d’eau et un grimoire. À cour, un mini synthétiseur. En scène, un zozo qui, faute de régie, va faire à la fois le texte, le sous-titreur et le diseur de didascalies.

  • Didascaliste, il explicitera régulièrement son jeu de scène « normal », expliquant pourquoi, étant données les circonstances, il joue différemment ; et, comme il s’agit d’un spectacle découpé en chapitres, il promet de laisser bien voir les moments où le public bien élevé pourra applaudir, puisque aucun noir ne le lui indiquera.
  • Sous-titreur : le texte est aussi métatexte, c’est-à-dire qu’il se montre dès le début en train d’être texte, par ex. en réfléchissant à « comment commencer », plus tard « comment écrire » et « comment finir une histoire » voire un spectacle.

Attention, phrase genre hyper pas intelligible : cette démystification de la sacralité – tant de l’incarnation dramatique que du texte comme entité absolue – participe de la facétie fourcadienne alors que l’actualisation strictement scénique n’a été ajoutée, avec astuce, que pour la circonstance. (Voilà, ça, c’est fait, même si le pire c’est que c’est pas fait méchamment : parfois, on met des gros mots parce qu’ils semblent s’imposer, et puis na. Ou « yo », c’est bien aussi, yo.)



L’auteur-acteur commence par jouer « De Boue à Si », un de ses oxymorons classiques. Né à Boue, l’homme en scène veut aller à Si – ce qui l’oblige à prendre un vélo quoi qu’il ne veuille pas aller à la selle. Chemin faisant, il apprend qu’il n’y a plus de station à Si car Si gare est partie en fumée. Résultat, la voie qui part de Boue arrive aussi à Boue, ce qui permet de joindre les deux Boue. Ces bonds et rebonds ne sont que mise en bouche car, enfin, parvenu à Si, l’artiste peut se mettre pour de bon (et rebon) à écrire son spectacle : de fait, tout le monde sait qu’écrire, ça se fait à Si. D’autres problèmes surgissent alors car, le personnage ayant une araignée au plafond, celle-ci ce met en tête de gober sa production, écrite en pattes de mouche.
À force de regarder l’étoile de l’art régner, l’heure-désastre guette. L’auteur, pas à la hauteur, se retrouve coincé dans un livre où nul ne le retrouvera – aucune chance, ce bouquin a une bonne couverture. Aussi l’olibrius décide-t-il de tourner la page et d’évacuer son histoire sans paniquer, « mais avec un peu de panique quand même » pour ne pas trop tarder. Il peut ainsi affronter son nouveau défi : boire de l’eau. Sauf que l’eau finit toujours dans l’évier, id est c’est un liquide déviant, obligeant à déposer plainte contre X. C’est ce qu’on voit, de façon presque obsèques, quand surgit l’idée saugrenue d’aller boire non pas deux mains mais un coude dans un café, et pas n’importe quel café, messieursdames, puisqu’il s’agit d’un café décaféiné où l’on peine curieusement à boire des mous. Du coup, boum, les catastrophes vont s’enchaîner. Suite à une erreur du garçon, le consommateur est victime de racket, en l’espèce un service volé. Pis, le pauvre loustic se prend un pain quand le patron du café trempe ses tartines dans le café. C’est là la lie. Manquerait plus que de tomber sur des curés.
L’on comprend que notre lunaire Pierre Richard des mots préfère fuir vers la mer rose, mieux que la mort du même épithète, de Saint-Jean de Pouët-Pouët. La mer rose, c’est celle qui précède la mer, et désigne donc l’attroupement de vacanciers devant la mer, l’autre. Une brève description du séjour ? « J’étais à la mer. Il y avait tout le monde, sauf ceux qui n’y étaient pas. » Le danger, avec ce genre de facétie, est de décapiter le public. Car, ainsi que l’admet le bougre, « je vous ai pris la tête et vous l’avez perdue avec mon humour révolutionnaire ». Pour pallier ce danger, il essaye d’acheter des applaudissements dans les boutiques spécialisées. Même des applauses moins chers, ça lui irait – tiens, par exemple des applauses d’une main. Las, son vrai problème est qu’il a le cœur sur la main, ce qui est très voyant et souvent fort fâcheux. Anne Sylvestre n’en disait pas moins, ce qui est presque toujours bon signe.

Histoire de se remettre, l’artiste tente de jouer du piano. Il y développe une musique très posturologique, qui consiste à jouer uniquement sur le do pour économiser les mains. Mieux, dans une perspective agronomique, Gauthier Fourcade tâche de traire son piano, « même si le résultat est très lait ». Compositeur, il revendique aussi d’être à l’origine du plus célèbre des arias : l’air de rien. Ce nonobstant, son succès n’ôte rien à sa folie intérieure. Des années après l’écriture de ce texte, il tremble toujours, le 31 mars, que les poissons s’apprêtent à prendre le contrôle du monde. La preuve ? Cette année encore, quand le téléphone sauna, il décrocha en nage et entendit : « À l’eau ? »
En dépit de ses émotions, le gugusse ne manque pas de conclure son spectacle par les quatre indices pensables.

  • Premièrement les remerciements, y compris à la scène car « Je vis grâce à mécènes, surtout en France – je n’ai jamais fait de scènes à Rio. »
  • Deuxièmement, la conspuation, et hop, du public-ventouse, celui qui refuse de décarrer en dépit des suppliques de l’artiste qui se retrouve enferré dans une page d’ascète.
  • Troisièmement, le bis, en l’espèce une démonstration scientifique sur l’importance du con – et j’aime toujours que l’on parle de moi quand je me faufile incognito.
  • Quatrièmement, la rencontre avec le public – façon Roberto Alagna : deux ans plus tard, le mec est capable de se souvenir des gens venus l’applaudir pour Liberté ! – fomentée par Jean-Marie Gurné, le patron des lieux, autour d’un savoureux Premier cru classé de Sauternes, offert dans son bistro chic – apéro idéal pour les chanceux allant profiter de son restaurant étoilé après la représentation.

Photo : Bertrand Ferrier

En conclusion, double plaisir :

  • d’une part, la découverte d’un lieu carrément pas commun, où les gens humiliables, popopo, n’hésiteront pas à s’habiller chic pour ne pas déparer dans le standing moyen des autres spectateurs – on regrette que la place plein tarif soit à 26 €, on s’y fût re-faufilé pour applaudir l’étrange jongleur annoncé en mai ;
  • d’autre part, la joie de revoir un artiste singulier, plus frappadingue que marrant, plus profond que saltimbanque, plus intelligent que divertissant quoi qu’il divertisse ses clients avec art, tact et délicatesse, c’est dire.

Si réduire l’art de Gauthier Fourcade à quelques blagounettes – grappillées çà et là ou inventées pour la cause, car la cause rit, bien – est réducteur (j’ai vérifié : c’est réducteur), cela permet néanmoins de résumer cette longue blablaterie en une phrase : le spectacle est acheman bien écrit et joué – singulier, lunaire et revigorant.
En guise de point provisoirement final, l’on notera que :

  • le site de ce spécialiste de la chronologie est résolument moche – non, cherchez pas, encore plus que le mien, ce qui est rarement mauvais signe ;
  • sa « lettre d’information » est un plaisir aussi publicitaire que gracieux pour ceux qui s’y inscrivent ; et
  • ses prochains projets incluent
    • Avignon, dont il est un habitué,
    • la réédition d’un jeu qu’il a créé et que nous avons hâte de découvrir,
    • l’intégrale de ses spectacles à La Manufacture des Abbesses parisienne à la rentrée… et, donc,
    • des ateliers philo pour ceux que Florence Foresti décrit comme « des trucs avec des bras ».

Parfois, y a pas à dire, les enfants ont de la chance.