Fruits de la vigne – Saintayme 2013

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Photo avec étiquette mutilée : Bertrand Ferrier.

 

Un peu comme les gewurztraminer, mais plus faciles à épeler, les saint-émilion et leurs sous-appellations employant le syntagme censément magique « grand cru » ont depuis longtemps délaissé la magie du vin au profit du miracle de l’étiquette. Difficile – c’est un euphémisme – de se repérer dans cette pagaille où les propositions médiocres côtoient les produits de luxe en décrivant, entre ces deux pôles, un large spectre de possibilités intermédiaires. Vedette des foires Lidl, un peu comme des baskets ou des voitures dûment brandées, l’appellation est souvent source de désillusion à la dégustation, à moins de réussir à se laisser hypnotiser jusque dans la luette par  l’illusion marketing ou le devoir social sur l’air du mais-fallait-pas. Par conséquent, la curiosité le dispute à l’excitation quand un flacon portant ce nom glorieux débaroule sur notre table. En termes binaires, le suspense consiste à supputer si le vin ressortira de la réussite ou de l’arnaque.
En dépit de son apocope pupute, le Saintayme laisse augurer d’un vin de qualité. C’est une marque sous laquelle feu Denis Durantou, multipropriétaire de domaines dans le coin, commercialise des raisins qu’il négocie avec un vigneron des alentours. Même avant qu’il ne soit laminé par un cancer dit « agressif » (j’en connais peu de tendres), les commentaires laudatifs sur l’homme et sa maîtrise de la vigne étaient diablement légion. Attaquons donc positivement l’exploration d’un flacon prélevé dans le millésime 2013 et commercialisé pour 14 € aux Galeries Lafayette.
La robe déploie un joli tissu aux rouges sombres et multiples. On apprécie d’y deviner une densité de caractère qui n’est pas exclusive de reflets lumineux très aguicheurs.
Le nez, dont nous déclarerions avec pédanterie qu’il s’enorgueillit de notes de café et de sous-bois, et hop, associe trois qualités : il paraît

  • équilibré,
  • riche et
  • satisfaisant.

La bouche assume le paradoxe des bons monocépages merlot. On y devine une multiplicité de saveurs, mais l’on regrette de les deviner comme concassées, écrasées les unes par et sur les autres. L’absence de rondeur tend, selon nos papilles, à densifier plus qu’à conjuguer (et re-hop) les notes que nous croyons apercevoir – des notes

  • d’épice (cumin ?),
  • de résidu boisé et
  • d’agrume (orange ?).

Le mariage avec un steak taillé dans la poire rend justice au jus. On y goûte davantage

  • de fruité (ananas ?),
  • d’équilibre et, inattendu,
  • d’un relief qui reste de basse altitude mais introduit la troisième dimension dans l’à-plat jusqu’alors examiné.

En somme, un vin à tiroirs qui, sans ébaubir, témoigne d’un savoir-faire digne qui n’entourloupe point le chaland. Certes, la bouteille de saint-émilion participe pleinement de cette logique selon laquelle

 

on manipule toujours les objets (au sens le plus large) comme signes qui vous distinguent soit en vous affiliant à votre propre groupe pris comme référence idéale, soit en vous démarquant de votre groupe par référence à un groupe de statut supérieur
(Jean Baudrillard, La Société de consommation.Ses mythes, ses structures [1970], Gallimard, « Folio » [1986], 2002, p. 79).

 

Les saint-émilion sont de ces objets. Leur diversité ajoute à leur saveur… ou à nos déceptions !