Fruits de la vigne – Pinot d’Alsace 2021 de Laurent Barth

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Photo : Bertrand Ferrier

 

Notre dealer nous a averti : dans cette chronique,

  • pas de vagues,
  • pas de piques,
  • pas de wouououh.

Drôle de coup de pression, qui a en général l’effet inverse sur nous car, oui, nous sommes taquin, nous sommes taquin, c’est ainsi. Sauf que Laurent Barth a beau s’être imposé comme une référence dans son Alsace d’origine et bien au-delà, il est réputé pour être d’une grande sensibilité avec un penchant sporadique pour le doute. « Si tu n’aimes pas, nous a-t-on encore supplié, n’écris rien, d’accord ? » Comme on est du genre à cumplir pactos cuando son entre caballeros, le suspense sur la tonalité générale de cette chronique risque d’être limité. Tant mieux : plus le projet paraît complexe, plus il est excitant de chercher à retenir l’attention des curieux qui nous font l’amitié de venir fureter sur cette page.
Précisons donc d’emblée que le présent flacon est signé par un vigneron-producteur-négociant (ici négociant) qui semble être un drôle de coco. Il a bourlingué à travers le monde avant de reprendre le domaine familial à la mort de son père. Il cultive en bio, tâte d’engrais « boostés par la biodynamie » et ne le revendique pas sur ses bouteilles avec force étiquettes puputes et vertes. Sur ce vin, il évite le piège contre lequel nous nous escagassons parfois du branding inutile consistant à donner un nom catchy à des bouteilles (« Il fait soif » en est toutefois un exemple amusant), pratique commerciale devenue quasi systématique alors que son apport pour les gourmands est nul et non avenu. En revanche, l’individu est capable de nommer ses vins selon le numéro pas sexy de leur parcelle ; et, sur chaque étiquette, est imprimé « l’esprit du vin » dans moult langues, dont le géorgien et le marathi – pour plus de détails, un portrait séducteur de l’artisan est disponible par exemple ici. Bref, désolé d’employer une terminologie particulièrement précise et experte, oui, nous n’en pouvons mais, le bonhomme semble bel et bien être un drôle de coco. Quid de son vin ?
Affiché sur certains sites comme métissant pinot auxerrois (un cépage lorrain, comme son nom l’indique) pour 80 % et pinot noir pour le solde, le vin froufoute dans une robe tout à fait seyante, tout à fait accorte, tout à fait appétissante. Sa teinte dominante domine peu : le jaune est ici très clair, presque diaphane, d’une élégance confinant à la modestie.
Le nez séduit immédiatement. Nous nous laissons enivrer par des harmoniques d’agrumes et peut-être de cannelle, là où les vrais experts décèlent fruits blancs rôtis et fruits rouges, c’est dire si l’imagination de nos naseaux est fertile. Le résultat est

  • fin mais présent,
  • délicat mais affirmé,
  • subtil mais franc.

La bouche saisit. Se déploient des caractéristiques multiples et, pour certaines, délicieusement contradictoires. L’on est

  • scotché par une amertume hypnotisante,
  • ému par une délicatesse d’une grande sensualité,
  • effleuré par une légèreté qui semble effacer un instant la pesanteur boueuse nous liant au tellurique et au mondain,
  • capté dans un tourbillon voire in a mosh, là où l’on est tellement ébaubi qu’essayer de raisonner est like clapping with one hand,
  • happé par une résonance qui ne cesse de transformer le goût en paillettes multiples et changeantes – objection, Votre Honneur, je précise et stipule que, notez, greffier, quand j’ai pris ces notes, je n’avais gobé d’autre produit qu’une gorgée de pinot d’Alsace.

Le mariage avec manière de raclette fonctionne du tonnerre de Zeus.

  • La confrontation avec la chair ferme des patates et le délicieux fromage fondu révèle un écho pamplemousse
    • inattendu,
    • jonaszien et ce nonobstant
    • savoureux,
  • la rencontre avec les jambons rehausse l’intensité du propos, et
  • la friction avec le projet solide valorise la petite pointe d’acidité qui corse habilement l’équilibre du nectar.

Bref, c’est super bon. Comme ça, Pierre-Benoît Pérard devrait conserver ses allocations de boutanches en provenance du domaine, et l’impatientant chanteur de Perpignan, pourtant pas le premier à taper dans la dive (il le revendique), peut fermer sa grande mouille : malgré l’ambiance délétère et les grondements politiques hors de contrôle, peut-être c’est déjà maintenant, le bonheur. Courons-y vite, il va filer !