Fruits de la vigne – Domaine Striffling, « Les voleurs »

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Photo : Bertrand Ferrier

 

De sinistre réputation chaque année quand il se renouvelle dans les grandes surfaces et les troquets fiers de s’encanailler avec béret et jus crapuleux couleur cassis censé sentir le cassis et goûter le cassis alors qu’il s’en tient souvent à une saveur à la hauteur de son fumet de poisson trop fait et d’huile de vidange rôtie au soleil africain puis oubliée au bord du périph parisien pendant quelques années dans un vague terrain flou jouxtant un camp de zombies crackomaniaques, le Beaujolais, à l’instar du Languedoc jadis, héberge, en sus de piquettes qu’il vaut mieux ne pas challenger avec un gosier de jouvenceau (qu’il vaut mieux ne pas challenger tout court, en fait), de délicieuses cuvées. Parmi les domaines réputés, Striffling, géré depuis 12 ans par Guillaume Striffling en personne, est désormais de ces vignobles capables de commercialiser son blanc villages « Les voleurs » près de 15 € (13,5 € sur Internet, 14,5 € en cave à Paris comme chez Thierry Welschinger) alors que, dans sa propre estimation de gamme, le jus n’affiche qu’une étoile sur trois.
La robe est taillée dans du jaune clair. Elle joue sur une transparence et des éclats pour le moins aguicheurs.
Le nez est discret. On y croit déceler quelque chose de végétal, peut-être de fruité s’ouvrant vers l’agrume. Modeste mais appétissant.
La bouche part sur le beurré acidulé des chardonnay bien travaillés. Elle s’appuie sur une direction minérale qui guide le gourmand, un peu de poire épicée dans le clapet, vers une finale longue et généreuse contant fleurette, nous semble-t-il, à la framboise.
Le mariage avec un miniplateau de fromages n’a rien d’exotique. C’est une cérémonie joyeusement polygame où la fraîcheur du liquide fricote souplement et sans rougir avec les trois compères qui lui sont proposés ; et chaque membre du quatuor vole de danse en danse, en pensant se trouver

 

là où ce qui n’a pas de regard s’étiole
peu à peu : la fleur d’oranger trop tôt cueillie,
la promesse oubliée, l’ombre d’une île
entrevue et remise à plus tard – nous dirons :
où donc étais-je, là-bas, si je n’ai pas dansé ?
(Guy Goffette, Éloge pour une cuisine de province suivi de La Vie promise [1991], Gallimard [2000], « Poésie », 2002, p. 247)