Fruits de la vigne – Couvent des Jacobins 2019
C’est l’histoire d’une marque bourguignonne qui ne manque pas de se faufiler habilement sur le marché. L’entreprise Louis Jadot claque ses produits avec, nous affirme-t-on, un certain succès tout en demeurant – qualité non négligeable – au-delà des modes qui consistent à renommer les vins en fonction des pulsions des marketteurs. Stipulons que, sur la quille que nous sirotâmes, la boîte n’est qu’entrepositaire. En d’autres termes, elle agit non comme un récoltant mais comme une cave qui fabrique son vin avec, eh bien, ce qu’elle a négocié – c’est moins classe et moins fiable que si tu es récoltant, évidemment, mais c’est pas illogique quand tu es, précisément, entrepositaire.
La robe qui résulte du mélange est claire. Son rouge framboise frisotte en surface et persiste en queue de verre. La dominante de pinot noir que l’on subodore explique une certaine clarté qui n’est certes pas sans charme dans un monde bourguignon parfois plus enclin à certaines ténèbres où le regard aime à s’encanailler.
Le nez ne va pas chercher mamie dans les orties ni midi à l’heure d’hiver. Il présente sans barguigner le charme affriolant des baies de bonne compagnie. Ceux qui, jadis, en cueillirent dans le jardin familial, capteront au gré de leurs naseaux le fruit du froissement d’une feuille de cassissier. C’est léger et pertinent, frugal et croquant, modeste et juste : la promesse est ténue, sera-t-elle tenue ?
La bouche capte d’emblée. Confrontée à nos papilles, elle renonce aux baies lisses pour basculer vers le versant framboisé du pinot. Immédiatement saisissante, cette piste s’estompe hélas trop vite à notre goût. La percussion séductrice du pinot noir se délite sans fard, et son dialogue avec une entrecôte aillée accompagnée de pommes de terre du jardin n’est pas en mesure de lui tailler un costume plus flatteur. Le produit est disponible pour 16,5 € aux Galeries Lafayette de Paris. C’est à la fois honnête et excessif, car la séduction est brève. Comme l’écrivait Dubravka Ugrešič,
nous ouvrons à nouveau nos bouches. C’est trop tard, il n’y a pas de retour possible.
(Karaoké culture, Galaade, « Auteur de vue », 2012, p. 126)