Fruits de la vigne – Côte-Rotie Jamet 2008
Petite incartade pour cette rubrique qui, jusqu’à présent, s’est encanaillée autour des vins tricotés pour dix euros, prix parisien. Cette fois, on plonge dans des hauteurs ô combien plus élevées grâce aux découvertes faites jadis à l’occasion d’une dégustation à la cave de Thierry Welschinger.
Voici donc une quille désormais d’exception (on en trouve quelques rares exemplaires affichés sur Internet entre 250 et 350 € l’exemplaire – pour ordre de grandeur, nous dûmes l’acquérir au dixième de cette valeur spéculative) fomentée jadis par le domaine Jamet. En moins de cinquante ans, le domaine est devenu une référence dans la Vallée du Rhône. Le côte-rôtie local se paye le luxe d’assembler le raisin de nombreuses parcelles différentes pour permettre au vigneron de construire un produit revendiqué comme cohérent, riche et singulier. Sur ces terroirs prestigieux, le millésime 2008 est en général peu réputé. Néanmoins, il se pare ici de quinze ans de garde propres à lui rendre justice et à faire la nique aux dépréciateurs.
La robe apparaît d’abord d’une étonnante clarté. Aux lourds velours obscurs dont une forte propension de syrah drape parfois les flacons rhodaniens, elle oppose sa texture d’une élégance moins solennelle que mutine. La clarté trouble qui domine en surface s’assombrit mystérieusement dans les profondeurs, finissant par confondre – dans un précipité réussi – le rouge et le noir dans les abysses du verre.
Le nez frissonne et mêle en première intention des espaces herbeux – gazon et menthe fricotent dans nos narines. L’effet fraîcheur se dérobe ensuite pour virer vers le fruit fondu, peut-être piqué par la girofle. La complexité de la fragrance n’a rien d’intimidant ; sa richesse est aussi délicatesse. Point d’agressivité : le vin embaume sans rouler des mécaniques. Il y a de la délicatesse derrière la profondeur d’un Rhône de garde, de la finesse par-delà les mutations virtuoses, et du vivant nonobstant une assise solide.
La bouche ne surprend pas, après cette approche par le fumet. L’attaque tintinnabule plus qu’elle ne tonitrue. Équilibré, presque léger (12,5°), le breuvage n’est pas mièvre pour autant ; malicieux, il ne se dérobe pas ; fondu, il s’épice d’harmoniques qui résonnent subtilement en arrière-bouche. Là encore, point de vacarme, rien d’explosif mais un écho d’une profondeur précieuse qui vaut d’être écouté jusqu’à l’épuisement progressif du son viticole.
Le dialogue de la quille avec le cassoulet maison programmé face à elle fonctionne très bien, car les saveurs paradoxales du plat (force du canard, douceur du haricot, mélange et non écrasement des goûts) valorisent à la fois la beauté du sang de la vigne et ses intensités inattendues (exquises amertumes folâtrant a posteriori). Devant semblable démonstration, comme l’écrirait Roberto Juarroz in : Poésies verticales (trad. Fernand Verhesen, Gallimard, « Poésie », 2021, p. 153), quand le vin tiré est bu,
peu importe que ses chants s’abîment
seulement dans le mirage du vivant :
le miroir se peuple de rumeurs,
et nous continuons à les écouter bruisser bien après la dernière goutte. La musique après la lie, c’est encore du bon vin.