François Rollin, L’Européen, 10 novembre 2016
Admettons-le : pour les ancêtres type vieux trentenaires, au moins, François Rollin risque fort d’être assimilé à ce renégat de roi Loth d’Orcanie, cousu sur mesure pour lui par Alexandre Astier. C’est pourtant le costume du Professeur qu’il remet depuis le 10 novembre au théâtre L’Européen, idéal pour ce one-man-show intelligent, drôle et, par petites touches bienvenues, poétique.
Le principe : dans un décor binaire (bureau et coffre à jardin, second coffre à cour) appuyé par des prompteurs papier, rappelant un dispositif chéri par Dieudonné dit le Honni, le professeur Rollin reçoit du courrier de lecteurs aussi passionnés de connaître sa bibliographie préférée quant à la chasse à la perdrix (ou aux perdrix), que de savoir s’ils sont homophobes ou moches, voire s’ils ne pourraient pas gratter un conseil culinaire. Le professeur leur répond – ou pas, c’est selon – avec mauvaise foi, condescendance, agressivité, affection, ironie, sympathie, blablabla. De cette variété de postures sourdent de nombreuses sources de rire : logique absurde, presque british type Monty Python ; reprise de la gestuelle, de l’idiolecte et des manières des universitaires componctueux, façon Luc Charreyron ; décalage entre le contenu de l’épistole et la réaction du prof – de l’enthousiasme amoureux à l’ire dieudonnique ; oscillation entre running gags et effets de rupture ; confrontation de facéties pour tous et du plaisir pour connaisseurs d’intertextes issus de précédents spectacles ; changement de rythmes montrant l’efficacité comique du dérèglement bergsonien – que le professeur mentionne avec difficulté – lié à cette fameuse mécanique plaquée sur du vivant ; blagounettes spéculaires (« et là, je me donne une contenance en demandant : alors, qu’est-ce qu’il y a, maintenant ? ») pour assumer crânement la nécessité, en ce soir de première, de s’habituer à son nouveau spectacle – ce qui ring a bell, bien entendu, avec son personnage auto-ironique du roi Loth ; etc.
Tout cela serait déjà bel et bon et même excellent, que l’on connaisse ou non Kaamelott, mais les auteurs (Rollin himself, Joël Dragutin et Vincent Dedienne) en rajoutent une couche en proposant, en guise d’interludes irréguliers, des méditations sur « pourquoi souhaiter rire » et « comment retrouver le goût de rire ». Ce ne sont pas les passages les plus drôles du spectacle, peut-être pas non plus les plus convaincants, et cependant cette idée de casser la logique du « catalogue de questions » est essentielle pour transformer ce qui, sans cela, ne serait qu’une succession savoureuse de chroniques néo-vialattiques et non un spectacle plein. La synthèse de ces intermèdes, qui conclut le spectacle en l’ouvrant à autre chose que de la drôlerie, est une trouvaille de très bon aloi, qui relie avec brio l’humour aux autres formes d’expression dramatique dont il est trop souvent séparé. (Oui, je pourrais être plus explicite, mais ce serait spoiler les futurs spectateurs, alors non. En plus, je fais c’que j’veux, ici, non mais.)
En conclusion, même si l’on regrette un prix cossu (30 € la place, quand même) voire une sonorisation étrange (de façon incompréhensible, seul le bureau est sonorisé), et même si l’on se déceptionne, et pourquoi pas, que, pour la première au moins, la vedette renonce à venir rencontrer ses fans (ce n’est pas une obligation, il est vrai), Le Professeur se re-rebiffe est un spectacle drôle-mais-pas-que, réjouissant, intelligent et superbement incarné par un acteur portant des bretelles, ce qui n’est pas négligeable. En dépit de l’étonnement de voir cette salle provisoirement à moitié vide – aucun doute que le buzz va remplir rapidement ce « petit » théâtre –, j’aurais même pu me contenter de citer le pitch : « Le mot pitch est le verlan de tchip, la moitié par conséquent du chant du pouillot véloce (famille des Phylloscopidae), oiseau connu pour faire tchip tchip. Tout est dit. Ajouter quoi que ce soit serait une perte de temps. » Dont tact, petit canaillou.