François Couperin, « Leçons de ténèbres », Vigneron/Carpentier/Lévy (Quantum)

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Les Leçons de ténèbres de François Couperin sont un monument que l’on se réjouit d’entendre interprétées par des musiciens aguerris mais non stars dans leurs domaines actuels. Loin des lumières éclatantes, ces artistes ne peuvent que défendre, pour le plaisir et pour l’aura de cette musique qu’ils admirent, la beauté de pièces qui oscillent entre austérité, virtuosité et richesses mélodico-spirituelle. Le patron du projet s’appelle Pascal Vigneron, qui fut prof de trompette à l’ENM de Paris avant de muter organiste – Wikipedia nous affirme que « sa généalogie remonte à 1841 », bon, pourquoi pas. À ses côtés, pour les deux premières leçons à une voix, quoi que la notice omette de le préciser, chante Sandrine Carpentier, flûtiste devenue soprano, dont la notice nous apprend qu’elle s’est produite « en l’abbaye de Montmorency » (nous espérons juste pour elle que, à son heure, l’abbaye était déjà devenue collégiale). Pour la Troisième leçon à deux voix, les rejoint Clémence Lévy, pianimste devenue sopranimste, en général plutôt spécialiste d’Offenbach et récemment promue mettrice en scène.
Ce disque, enregistré entre 2014 et 2017, nous a été envoyé gracieusement, qui plus est par un producteur et éditeur jouxtant notre domicile : c’est donc peu dire qu’il se retrouve glissé dans le lecteur ad hoc avec gourmandise et enthousiasme. D’autant qu’il nous donne l’occasion d’entendre, joie, des instruments que nous ignorons – l’orgue de chœur de la collégiale Saint-Gengoult et les grandes orgues restaurées de la cathédrale de Toul, en l’espèce, si l’on en croit Internet, un Scwhenkedel de 1965 dépoussiéré en 2002 sous la houlette de Christian Lutz, que nous avons eu l’occasion d’admirer dans son boulot, et inauguré par Marie-Claire Alain, puis, à partir de 2014, revisité par les facteurs de Koenig et ré-inauguré en juin 2016 par Olivier Latry.
D’emblée, pourtant, nous sommes contraints de déchanter. Comme saisie de très près par les micros, la voix de Sandrine Carpentier, pardon mais bon, nous vrille les tympans. Aigre dès que l’on atteint le mi du haut de la portée, elle transforme ce moment sublime en grincement non pas perpétuel (le médium est très acceptable, la partition est suivie avec attention, la prononciation est soignée, l’ornementation est avisée) mais incompatible avec une écoute globalement épanouie. Le grésillement que l’on perçoit pendant les « petites pauses » exigées par le compositeur est presque un soulagement : du moins ne craint-on pas que la soliste s’égare dans les hauteurs, pourtant raisonnables, où son timbre devient pénible. On l’aura compris, notre souci n’est pas d’être blessant, mais cette voix nous heurte tant que nous préférons nous souvenir des meilleurs moments (début du « Jerusalem » de la Seconde leçon, en dépit de l’erreur de numérotation latine, sur le livret comme en quatrième du disque) et profiter des duos avec Clémence Lévy, dont on n’est pas certain non plus qu’elle soit totalement adaptée à Couperin en dépit de remarquables efforts pour respecter lettre et esprit de la partition, mais dont le médium réjouit davantage l’oreille, et dont l’aigu agresse moins. On est conscient du côté corrosif de la réflexion, il n’empêche : c’est déjà ça.
Quid de la partie de l’orgue ? L’accompagnement est scrupuleux et précis ; et les extraits des Messes, pour les paroisses et pour les couvents (Kyrie + pièce en taille, c’est-à-dire en trio, le lead étant au cormorne tandis que main complémentaire et pédale assurent l’accompagnement), sont sans fioriture ni effets superflus, avec une volonté de rectitude correspondant à la notion de « messe ». Un double regret néanmoins : ni registration ni composition des orgues ne sont indiquées sur le livret (on sait que l’auditeur organiste raffffffffole de ces détails) ; et quatre pièces d’orgue seulement sont proposées, alors que le disque ne contient que 46’ de musique – certes, les pièces des messes de Couperin sont censées alterner avec le plain-chant, gnagnagna, mais qu’importe, l’espace disponible laissait au soliste assez de temps non pas pour voler la vedette aux chanteuses mais pour donner corps à ces œuvres remarquables – ou, pourquoi pas, pour préluder, postluder, bref improviser sur des thèmes couperiniques.
En conclusion, voilà un disque intrigant mais frustrant : il met en son des musiciens dont l’exigence est à la hauteur de l’œuvre, mais dont le travail rendu ne peut que documenter l’intrigante lutte entre des moyens honnêtes et des ambitions sublimes.