Fhom, « Lignes de vie », Théâtre de l’île Saint-Louis, 26 mars 2022

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Fhom le 26 mars 2022 au théâtre de l’île Saint-Louis. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Mystère et énigmaticité ouvrent le concert de Fhom, un chanteur réputé poétique voire original, ce que laisse supputer sa blouse barrée – j’ai pas fini – d’illustrations colorées et du mot « GRAPHISTE », les vrais sauront pourquoi, nous sommes fiers de faire partie des faux, comme la mort.
Le tour de fredonneries s’ouvre sur une question astronomique (« Connaissez-vous Sirius ? ») et enquille sur une question tout aussi perchée : « C’est quoi l’amour ? » Par ce souci du questionnement, le chanteur affirme sa sécurisante ligne de vie. Il s’agira de feindre chercher la résonance chez son public. Pour faire résonner le chanteur raisonnant dans son exploration sidérale, Satsuki Hoshino pilote le piano et Matthieu Lecoq le violoncelle : excellents musiciens et néanmoins accompagnateurs distingués, l’association n’est pas si courante.
D’emblée, une évidence : la mélodie accrocheuse, le riff ravageur, le groove ébouriffant, très peu pour Fhom. Et pourquoi pas ? L’homme – peut-être récuserait-il cette appellation, son pseudonyme associant le F de femme, le H d’homme et le « om » des méditateurs orientaux, mais pour un vieux de mon acabit, il ressemble quand même vachement à ce que, précisément, les vieux de mon acabit appellent un homme – creuse ailleurs. Il use volontiers de la monodie et du parlando, manifestant sans la surjouer sa volonté d’associer spectacle travaillé et sincérité. Ainsi, les textes, sciemment accessibles sous leurs apparats recherchés, accentuent la volonté de trouver, selon l’expression de l’artiste, « ce qui est résonant » chez le spectateur. Point d’élucubration ou d’échafaudage de pensée complexe. Tantôt, l’amour est présenté comme « le miracle de tous nos possibles » ; tantôt, il est pointé comme pouvant « prendre tant de formes ». Ces synthèses, forcément, sont férocement résonantes.
Dans le prolongement de la quête de naïveté renouvelée, l’enfance est évoquée sous l’angle d’un dépassement mémoriel. Il semble que le chanteur cherche à briser le voile de l’incommunicabilité sédimentée par nos us, nos postures et nos pudeurs. Pour contrebalancer ces tendances, le silence apparaît comme une voie qui « permet d’apprivoiser les formes de la nature ». Toutefois, les chansons de Fhom creusent plus avant la tension entre notre pulsion de liberté et notre désir de nous rapprocher – d’un ami, d’un amour, d’un idéal, Souchon aurait proposé en sus d’un cheval, mais c’est complètement hors sujet ici. Illustrant cette électricité naturelle, le parolier esquisse, chemin faisant, un projet chiasmatique enserré dans une formule : « Tu parles leur silence et leur silence te parle. » Par le verbe, en silence ou dans l’intuition, il s’agit, violoncelle en pizz à l’appui, de « vivre sa vie » sans sombrer dans la déprime – le psy qui vibre dans l’interprète sait de quoi il parle.

 

Satsuki Hoshino, le 26 mars, au théâtre de l’île Saint-Louis. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Fhom le sait d’autant plus que sa chanson « Marie », polarisée entre modes majeur et mineur ausculte ce qui nous fait aimer la vie – en l’espèce, et l’exemple est savoureux, quitter quelqu’un qui nous plombe. Le fredonneur aime chanter les déchirures et la fragilité, au point de couper son spectacle pour un intermède instrumental laissant les musiciens jouer l’Élégie de Gabriel Fauré, chère à Cizeron et Papadakis. Autant que nous soyons concerné, voilà le genre d’hommage aux musiciens qui ne nous touche pas. Chacun a perçu la qualité savante des accompagnateurs. Les laisser jouer un tube – ce dont les artistes s’acquittent avec cœur et savoir-faire – sonne faux, en dépit de l’évidente bonne volonté consistant à rendre justice à d’autres aspects de leur talent instrumental.
Cela sonne même d’autant plus faux qu’appert un p’tit côté d’autoflatterie en miroir pas très finaud à notre sens : il ne s’agit pas tant de montrer que les zozos savent jouer de la vraie musique, plutôt de sous-entendre que la chanson, c’est aussi de la vraie musique – OK, on s’en doute, on est là pour ça, et peu importe si le musicien accompagnateur est un vrai virtuose ou « juste » un accompagnateur, en supputant que la distinction ait un sens en bonne compagnie. De la sorte, l’insert Radio-Classique, censé valoriser ce qui l’entoure, tend au contraire à le dévaloriser car celui-ci ne semble plus valable que si les musiciens savent aussi jouer « autre chose ». Or, un accompagnateur est bon parce qu’il accompagne bien, avec justesse et surtout feeling, pas parce qu’il peut aussi jouer des trucs de concours. Qu’il ait en sus une dextérité de dingo, façon feu Hubert Degex, ou un art jazzy assez puissant pour auréoler n’importe quelle chanson, façon Cyrille Wambergue, est un atout qui rend toute démo superfétatoire.
D’autres solutions que l’exécution d’une pièce connue existent si l’on veut bichonner les ploum-ploumistes, quand on n’a pas assez confiance dans l’oreille du spectateur. Parmi ces possibles :

Bref, on l’aura subodoré, l’agréable intermède nous indispose. Et après ? C’est notre droit, et c’est tout autant le droit de Fhom d’avoir glissé cette respiration dans le tour de chant. Bref, tout le monde est droit, ce qui permet de reprendre la ligne du spectacle à l’occasion d’une « marche intérieure » où Fhom assume une nouvelle évidence : « Je fais partie de ma génération », clame-t-il entre majeur et mineur (encore). Être dans son temps plutôt qu’être de son temps pourrait être la nouvelle ligne de vie tendue par le chanteur entre ce qui est, ce que nous sommes et ce que nous croyons.
« Plus j’avance en âge, plus je sais ce que je veux », clame l’énergumène en dénonçant l’esclavage du soi. Pourtant, ses projets n’ont rien de révolutionnaire : « Simplement vivre dans le soleil » ou aller « au bout de nos rêves », mais ils s’habillent d’enthousiasme en qualifiant le finale d’une chanson « entre Rachmaninov et Oscar Peterson ». Entre rencontres de hasard, dans la queue d’un cinéma, et rêvasseries autour d’occasion manquées donc évaporées (toujours entre majeur et mineur), Fhom creuse un sillon qui peut paraître revendiquer, de loin, réinvesties et réappropriées, certaines manières de Charles Trenet (sa bouille n’y est pas pour rien) ou de Bernard Joyet.

 

Matthieu Lecoq, le 26 mars, au théâtre de l’île Saint-Louis. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Ainsi, le chanteur met en scène des amours qui vivent le temps d’un regard, guère plus. Quelques petites sautes de mémoire, bénignes et même bienvenues dans un récital (on pense à Ricet Barrier dans Tel quel, son double album issu des concerts québécois, ramant juste après avoir expliqué que, parfois, la mémoire d’un chanteur saute comme la maille de la dame qui tricote, ou à Romain Didier, échappant les paroles dans « Ta mémoire »), arrivent opportunément à l’approche de l’évocation de la vieillesse, incarnée par la grand-mère dont « l’esprit le corps se séparent ». On a connu plus poétique (la « Carcasse » d’Anne Sylvestre, par exemple), plus révolté contre l’esprit qui plus ou moins déménage (la « Retraite » d’Allain Leprest) ou plus puissamment évocateur (la bouleversante « Maladie » de Bernard Joyet). Fhom préfère le pragmatique, donc l’inquiétude : « Tu t’en vas où quand t’es pas là ? / On t’écrit ici, tu n’y es pas. » Cette pente conduit tranquillement, dans la joie et la bonne humeur, au moment magique de la mort.
La pauvreté du texte qui caractérise cette chanson « Magique » semble assumée. Sur « les grands sujets, les grands machins », la complexité profonde est-elle vraiment plus pertinente que la simplicité la plus déboutonnée ? Voici en tout cas l’acte de mourir présenté tour à tour comme « indéfinissable », « irrémédiable » et « indicible ». Plus banal faire ? Difficile ce serait. Peut-être Fhom tient-il à nous secouer en pointant que le pire de ce moment, c’est qu’on ne peut en dire autre chose que rien à dire. La possible référence à Anne Sylvestre (« il faut quitter sa vie sans un bagage » chante Fhom, évoquant aux annophiles le moment où l’âme se rend compte qu’on « y va sans bagage à ce rendez-vous-là » et en profite pour annoncer, menaçante, que, « croyez-moi, elle reviendra ») dit par contraste la ligne d’art choisie par Fhom : une sorte de réalisme du sentiment. Cette poétique tâche de rejoindre ses spectateurs moins par les notes et les mots que par la résonance. Résonance des projets, des dilections, des espoirs. Résonance fondée sur l’espoir que « toutes les chansons parlent de nous / quand on parle d’amour », espère l’artiste dans sa last song (« yes, je parle couramment espagnol », confie-t-il). Pas sûr que, pour trouver résonance, ce soit aussi simple, mais qui serions-nous, petit notuliste de blog, pour arrêter les colombes et leurs rêves en plein vol, à un au ras du sol ?


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