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Vinciane Béranger et Françoise de Maubus le 13 octobre 2024 à la salle Érard (Paris 2). Photo : Bertrand Ferrier.

 

Le dernier des cinq concerts proposés sur trois jours par le festival Érard s’intitule, sans doute avec ironie, « Chefs-d’œuvre ultimes ». Il s’ouvre sur la sonate pour basson et piano op. 168 de Camille Saint-Saëns. L’allegretto moderato suinte, sous les doigts de Mirai Sumino et le souffle de Victor Dutot, d’un mélange

  • de douceur,
  • d’évidence, et
  • d’apparente simplicité.

Une relecture téléologique pourrait imaginer que, à la fin de sa vie, le compositeur épure les effets pour revenir à l’essentiel : elle serait stupide, mais peut-être pas que. L’allegro scherzando montre un basson pétillant et une accompagnatrice à sa résonance, entre

  • légèreté,
  • agilité et
  • rebond des questions-réponses.

Le molto adagio conclusif allie

  • tranquillité,
  • allant posé et
  • souci du dialogue

avant qu’un finale tonique n’emballe l’affaire et ne suscite l’enthousiasme admiratif du public – plus pour la performance et la rareté que pour une partition certes maîtrisée mais, à nos esgourdes, pas vraiment chef-d’œuvresque. De Claude Debussy, l’équipe a choisi la sonate pour flûte, alto et harpe, sans doute l’une des seules pour une telle formation (c’est aussi pour cela que l’on vient jouir du festival !). Hormis le fait que le festival s’appelle Érard et la salle qui l’accueille itou, on ne comprend guère pourquoi Françoise de Maubus utilise pour le premier mouvement une harpe Érard (concurrent du fabricant qui sponsorisait Claude de France) puis une harpe moderne. Ô mystères de la musique savante !
La pastorale liminaire ressemble plutôt à un thrène qui contamine peu à peu chaque instrument. Les musiciens ne font pas moins leur miel

  • des passations de relais,
  • des superpositions et
  • des moments de relative exacerbation.

Malgré la présence, dans notre champ de vision, d’un paltoquet plus couramment résumé à l’acronyme FDP qui s’est décalé pour se placer dans l’allée centrale sans susciter de réaction de l’organisation (si, FDP pour un mec qui bouge son siège pour « mieux voir » et qui, ensuite, regarde plutôt sur le côté, c’est plutôt une bonne dénomination), on se laisse émouvoir par l’alliage sonore fomenté par le compositeur et ménagé par les artistes.

  • La mélancolie de l’alto,
  • la polymorphie de la flûte et
  • l’ambiguïté insaisissable de la harpe

font merveille. Petit à petit,

  • unissons,
  • réminiscences partagées et
  • decrescendi habiles

éteignent la lumière dans le grave troublant de la harpe… qui change pour un instrument « moderne » en vue des deux mouvements suivants. L’interlude en forme de menuet surprend l’auditeur à cause du changement instrumental qui fracasse tout espoir d’unité. Néanmoins, les musiciens rendent avec finesse l’aspect improvisé de l’interlude tour à tour

  • mystérieux,
  • pétillant,
  • joyeux,
  • méditatif et
  • enlevé.

Le finale « moderato ma risoluto » vibre bien

  • d’une pulsion vers l’avant,
  • de l’oscillation entre cohésion et emportement individuel, et du
  • plaisir jaillissant de la confrontation éphémère et de la fructueuse fragmentation – et hop, un chiasme.

 

Saskia Lethiec et Jérôme Granjon le 13 octobre 2024 à la salle Érard (Paris 2). Photo : Bertrand Ferrier.

 

Suivent les deux pièces pour violon et piano de Lili Boulanger, enfin non réduite à son rôle de femme compositrice, juste compositrice, ce qui la valorise bien plus que si elle était considérée comme un quota bien-pensant. Dans le nocturne, on goûte

  • le balancement rythmique,
  • la délicatesse harmonique et
  • la construction de l’écriture (soli, échanges, circulation des motifs).

Contrairement à ce que laisse supputer son nom, le cortège lui oppose

  • sautillement,
  • vivacité et
  • souplesse réjouissante des voltes.

Après avoir offert, avec une douce tendresse, un médius préalablement humecté à la connasse qui, devant nous, nous demande d’applaudir moins fort (« mais va donc écouter un CD, moule à gaufres moisi »), vient enfin cette œuvre magique qui nous attire et nous attriste à la fois : attire car magique, attriste car nous savons que nous ne pourrons l’écouter en entier – il nous faudra embaucher trop tôt pour ouïr l’intégrale. En présentant brièvement le second quintette pour piano et cordes op. 115, Jérôme Granjon a raison de prévenir que la pièce tranche avec d’autres œuvres – magnifiques – du zozo. Ici, il n’y a guère

  • de mignon,
  • de charmant,
  • de délicieux.

La dernière pièce du programme du festival édition 2024

  • grince,
  • proteste,
  • rue.

L’allegro moderato témoigne de la volonté des interprètes – Jérôme Granjon au piano, Saskia Lethiec et Takashi Hamano au violon, Vinciane Béranger à l’alto et David Louwerse au violoncelle – de

  • gérer le gonflement des voiles,
  • se laisser surprendre par la houle, et
  • laisser le piano arbitrer les conflits entre membres d’équipage.

Le mouvement offre

  • moins de mélodie que de mutations,
  • moins de ligne cohérente que de fuligineuses hachures,
  • moins de jolies harmonies que de tensions assumées.

Devant le flux de notes, les interprètes privilégient

  • l’instinct,
  • la vigueur et
  • le surgissement

à la saine clarté d’un premier Fauré, dont ils assument ici l’extinction, conformément au titre du concert. Le scherzo assume la célérité annoncée par l’allegro vivo. Le piano Érard joué par Jérôme Granjon, pyrotechnique, est en feu. Le violon de Saskia Lethiec menace de propager l’incendie. L’ensemble se mâtine de tenues et de percussions en pizzicato. La tentation lyrique des cordes frottées, par-delà l’urgence virtuose, est joliment maîtrisée. En sourd

  • plus de jubilation que de tension,
  • plus de tonicité que de précipitation,
  • plus de vigueur que de démonstration :

l’ensemble, qui clôt notre expérience Érard 2024, est férocement impressionnant. Hélas, nous ne pourrons ouïr les deux derniers mouvements et la transcription du « Jardin féérique » de Maurice Ravel qui concluait l’affaire. Oui, la vie est parfois regret, mais cela n’est point contradictoire d’être bravo itou.