Festival Érard, Salle Érard, 11 octobre 2024
Les mélomanes parisiens l’attendent avec impatience, ce festival Érard ! La jauge, pourtant conséquente, se remplit de plus en plus vite, au fil des saisons, et la plupart des cinq concerts sont complets en dépit de tarifs sérieux et d’un sponsoring assurément utile mais qui inspire méfiance. Crescendix, dont les services sont incontestablement très efficaces dans le domaine de l’organisation événementielle, a été fondé par Xavier Caïtucoli, réputé excellent pianiste – et toujours mélomane : il présente les concerts qu’il sponsorise et y assiste – quoique ancien de LVMH et de Direct Énergie (il a aussi taquiné l’immobilier, la santé et la finance)… et marqué à l’extrême-droite, une mouvance que l’on peut dire peu friande de ce genre de musique, sans que l’on puisse déterminer quelle mouvance en serait friande, hormis peut-être la roselynienne, peu engageante. N’oublions pas que la ministre de la Culture persistante, assez ignorante pour dire amen ou yallah à tout, est cette coquinette de Rachida, spécialiste en pension alimentaire (subvention cul s’il en est) et cumul de mandats, et ça ne choque personne ou si peu, alors bon.
Reste que, parmi les financeurs, on trouve aussi un fournisseur d’énergie mis en cause par l’enquête 2024 de Cash investigation (il l’assume sur son site en mettant en cause un courtier) et un autre fournisseur d’énergie qui, ô hasard, est lui aussi dans la main du patron de Crescendix. Bah, on sait qu’essentialiser les donateurs n’est pas finaud, d’autant que, pour une fois, le financeur est motivé et engagé mais, s’il est un secteur qui sent le soufre, au sale ou au figuré, l’énergie est sans doute aucun celui où la pollution et l’arnaque l’emportent. Pis encore, c’est possible, effraye la caution Télérama, dont le petit bonhomme niaiseux et prescripteur qui sourit est, jusqu’à preuve du contraire, synonyme de culture
- mièvre,
- sirupeuse,
- stupide,
- copiée-collée de communiqués de presse,
- pétrifiée sous les subventions croisées et
- si consensuelle qu’elle ne peut que nuire gravement
- à l’esprit critique,
- à l’intelligence et
- à l’appétit de culture.
Prévention paradoxale car
- la richesse,
- la cohérence et
- la qualité
font partie des caractéristiques qui ont contribué au succès du festival, et l’on peine à imaginer que le besoin de financement ait conduit ses prestigieux mentors à poursuivre des routes moins excitantes pour
- l’esprit,
- le cœur et
- l’imaginaire.
Le premier concert (sur les cinq programmés) de la troisième saison est complet, même si le main sponsor regrette le trop grand nombre d’invitations (dont nous sommes en partie) et de no show (dont nous ne sommes pas, tu penses, un programme aussi excitant, pas question de le louper !). Le récital s’ouvre sur les Deux danses commandées à Claude Debussy par un fabricant de harpes concurrent d’Érard. C’est pourtant sur une harpe Érard que Françoise de Maubus choisit de jouer la danse sacrée au côté d’un quatuor à cordes composé de Takashi Hamano et Saskia Lethiec – l’une des deux grands manitous du festival – aux violons, Vinciane Béranger à l’alto et David Louwerse au violoncelle.
Les cinq collègues engagent un concours de délicatesse qui aboutit : le son du quatuor se fond autour de la harpiste, et la solennité de l’ensemble rend raison du projet sacré annoncé dans le titre. Pour la seconde danse, profane, elle, Françoise de Maubus choisit une rutilante harpe moderne – sans doute l’autre est-elle plus complexe à manier, quoique l’artiste ne le laisse jamais subodorer : l’affaire est difficile à démêler pour les non-spécialistes. Avec ses acolytes, cette interprète qu’aucune péripétie ne semble faire frémir parvient – avec et par cœur – à magnifier une harmonie à la fois surprenante et suave que fragmentent de brèves explosions et que cautérisent des unissons attentifs. Merci à elle et à ses associés !
Vient alors le premier des deux moments Télérama. Sous l’égide de Philomène Mitaine vont être lus des textes de Paul Verlaine, d’Arthur Rimbaud et de Paul Valéry. La présence scénique de l’actrice témoigne d’un certain savoir-faire dramatique, soit. Reste que
- l’assemblage de textes et d’auteurs est pour le moins hétéroclite ;
- le costume couronné d’un hoodie à la Julie Ferrier, version initiale (un dauphin remplaçant Sergio Tacchini), donne ben du fun ;
- la mise en scène égare, avec des livres parfois lus, souvent non ; et
- la diction ne convainc carrément pas guère – les diérèses parfois souhaitables achoppent souvent (« dirent des mots si spé/ci/eux »), peinant à rendre leur rythme aux vers.
Puis on est venus ouïr des musiciens, point subir des textes dont il n’est pas certain que la lecture à haute voix, fût-elle sentie, soit le meilleur moyen de leur rendre justice. C’est autre chose quand musique s’en mêle, et Jean-François Novelli, ténor qui connaît plus que bien la mélodie française et a enregistré le répertoire du soir avec une excellente claviériste, accompagné cette fois par le formidable Jérôme Granjon, l’autre grand manitou du festival, ont mission de le prouver. Dès « Spleen » de Gabriel Fauré, on est happé par la clarté de la diction et le piano coloré. « J’ai quelquefois aimé », musiqué par Raoul Laparra, fait dialoguer chanteur et instrumentiste. L’on goûte la netteté d’une voix qui sait où elle va, mais on ne serait pas contre un peu plus de tendresse derrière la maîtrise technique. « Ô ma belle rebelle » composé par Charles Gounod avec un piano simple accompagnateur à l’accompagnement pas si simple, envoie le ténor ténoriser plus dans l’incarnation que dans les aigus. Avec constance, Jean-François Novelli dégaine ses arguments-massues :
- investissement scénique,
- maîtrise des notes tenues et
- galbe des finales.
Le célèbre « Néère » signé Reynaldo Hahn illustre l’art qu’ont développé les deux voisins de scène pour poser
- le tempo,
- les mots,
- la narrativité et
- la brillante suspension finale.
« Mandoline » de Claude Debussy associe
- tonicité pianistique,
- élan vocal, et
- variété tant harmonique que rythmique.
Le minirécital s’achève sur deux « à la manière de ». Le « Menuet » de Camille Saint-Saëns minaude comme il sied, révérence exclue. La « Sérénade environ » de Juliette Noureddine, elle, navre gentiment : l’humour et la parodie sur la musique savante en général ou le lied en particulier ont connu des sketchs autrement
- plus drôles,
- plus percutants,
- plus ramassés.
De plus, en baissant l’exigence lyrique pour faire plus chanson, ce qui n’est pas absurde, Jean-François Novelli abaisse drastiquement son intelligibilité, ce qui, pour le coup, nuit gravement à l’intérêt de ce qu’il profère. Enfin, cette injonction à l’humour (bien Télérama via Juliette) est assez vulgaire dans ce contexte. Après de très belles mélodies, elle arrive comme un ch’veu gras dans mon thé, eût estimé Michel Bühler qui, à défaut d’aimer l’art lyrique, avait du goût, lui.
Avant le grand moment de la soirée, il nous faut derechef supporter la récitante téléramique qui nous évoque immédiatement le personnage d’André Roussin criant, dès l’apparition de sa belle-mère : « FEU ! » Son entrée façon présentatrice de jeu pour télévision culturelle (« Je vais vous proposer un p’tit quizz ») nous consterne plus qu’un spectacle de fin d’année de la troupe de théâtre de première année de la MJC de Rosny-sous-Mercotte. Sa tentation de donner un cours de littérature (il est vrai que son CV commence par rappeler ses « études de Lettres Classiques à Henri IV et à la Sorbonne ») ou sa dernière distribution d’éventails mallarméens dans le public achève de nous enfoncer dans notre siège de tristesse effarée.
Heureusement, reste le highlight de la soirée : le premier quatuor pour piano et cordes en ut mineur op. 15 de Gabriel Fauré, avec
- Mirai Sumino au piano,
- Saskia Lethiec au violon,
- Vinciane Béranger à l’alto et
- David Louwerse au violoncelle :
rien moins que prometteur. L’allegro molto moderato, cet oymoron, associe trois qualités :
- la cohésion des cordes frottées,
- l’engagement attentif de la pianiste et
- le triple souci mutuel de
- communiquer plus que de jouer la partition sans écouter l’autre,
- vibrer aux mêmes fréquences que les collègues lors des fréquents changements de couleurs, et de
- caractériser les différentes émotions exprimées par un mouvement aux variations thymiques multiples.
Le scherzo allegro vivo permet aux interprètes de rendre avec tact
- la légèreté,
- les sautillements et
- les versatilités
qu’exige la partition. On est séduit par la façon d’habiter les récurrences et par l’énergie qui anime les échanges. Le trio central gagne en spécificité dans l’étagement des forces entre
- ensemble,
- duel alto versus violon, et
- unissons avec le violoncelle.
La reprise du motif liminaire assure, comme on dit en musicologie, enfin, je crois, un boost de dynamisme. L’adagio offre un début élégiaque à souhait avec les douze cordes frottées çà et là à l’unisson. On se repaît
- du tempo retenu mais point languissant,
- de la précision des événements synchrones et
- de l’efficacité des crescendi-decrescendi collectifs.
Le finale, allegro molto, fait la part belle à un piano tour à tour
- motorique,
- explosif,
- en soutien ou
- en dialogue.
Mirai Sumino, que la partition n’épargne ni n’effraye, paraît pleinement chambriste tant son regard circule d’un musicien à l’autre, et tant son piano – un Érard, à la sonorité formidable mais pas si simple à manier – sait quand il peut
- TONNER,
- mener la danse,
- chuchoter ou
- se fondre dans le quatuor.
Face à la frappocordiste, les trois frottocordistes se gobergent
- des mutations de style,
- du lyrisme récurrent et
- des liants que nouent entre eux le compositeur.
Le résultat, qui déclenche l’enthousiasme de la salle, est
- moins rangé que débordant,
- moins bourgeois que remuant,
- moins allègre qu’allant,
- moins guindé que résolument versatile.
Certains reprocheront peut-être à cette version d’être peu canalisée et pas très Radio Classique, aïe. Loin de ces pinaillages, comme un seul zozo, les spectateurs font un triomphe tonitruant à cette version vivante d’un chef-d’œuvre. Loin de nous de leur donner tort !