Ex-Norma, « Au Vivat 30 ans après » (Le grand grabuge) – 2
Nous avons quitté les foufous d’Ex-Norma en train de danser avec les macchabées, macchabées, macchabées. Nous les retrouvons avec « La métamorphose du chef sioux », une chanson signée François Marzynski et Yann Allano. On s’amuse d’écouter cet air blanchi sous le harnais, avec des jeux de mots dignes de Bertrand Ferrier (« je n’ai plus de Sioux ») et un exotisme topique alla Disney à faire frémir un woke, et le « e » final indique que je ne parle pas d’un ustensile pour cuire des légumes à la chinoise. Le visionnage en continu du concert permet d’apprécier le soin apporté aux transitions, qu’elle soient
- tuilées,
- parlées ou
- contrastantes.
Deux chansons de Jean-Marc Fontaine suivent et nous obligent à avouer notre insensibilité aux paroles et aux mélodies du guitariste. Les interprètes tentent d’habiller « Drapeau blanc » d’une aura acoustique qui s’électrise un chouïa grâce au solo de gratte, puis le miracle advient. Jean-Claude Hujeux, prodigieux bassiste-paysan (c’est lui qui se définit ainsi) croisé dans L’Intermittent (titre provisoire), confirme son excellence enthousiasmante avec une modestie scénique qui lui sied bien. Il est aussi de service dans « L’épave », la seconde chanson de JMF qui nourrit notre scepticisme quant à notre compatibilité avec les créations du gratteux. Le formidable bassiste s’impose par un solo planant au-dessus du vide stéréotypé des paroles. Ce n’est pas juste une question de technique, bien que celle-ci soit époustouflante : c’est de musique qu’il s’agit, avec
- du souffle,
- de la présence et
- de l’attention
- à l’harmonie,
- à la note et
- à la pulsation.
Magistral ! « Le train », de François Marzynski et Christophe Patte, se présente alors comme une chanson atmosphérique et persiste dans le mid-tempo évocateur qui a désembrasé – et hop – la scène. Un solo de guitare sans excès démonstratif précède un joli break. Avec métier, le chanteur crée du liant entre les musiciens : c’est aussi son rôle ! « Bonne santé pour intérim » renoue avec la veine Jean-Marc Fontaine, où nous échouons à nouveau à nous enthousiasmer devant
- un texte sans aspérité,
- une mélodie qui se dérobe,
- des trouvailles harmoniques qui se font attendre et
- un beat dont nous peinons à sentir le groove.
Néanmoins, la fin, joliment synchronisée, montre que le groupe (feat. JMF) n’omet pas d’essayer de pulser afin de raviver la flamme avant « Allegro Jo », une chanson écrite en 1986 par François Marzynski et Michel Hujeux. La fredonnerie rappelle l’essence de la musique pop et la conviction de tant de chanteurs qui veulent d’l’amour au moment qu’ils le disent et à la place qu’ils le disent. Version Marzynski, ça donne : « Tu n’as personne dans ta vie / Rejoins la chanson / Ça va te changer. » Soli guitare et voix permettent au public de taper dans les mimines avant une nouvelle jolie synchro finale, qui rappelle que ceci n’est pas un spectacle de MJC mais bien un truc de gens qui ont failli être les Oasis de la chanson en français. « Tous les interdits », le tube espéré écrit par Michel Hujeux, le claviériste, s’agrémente d’effets spéciaux dans le DVD édité par Jean-Marc Boël.
- Ambiance slow,
- vintage assumé,
- désir inchangé de musiquer pour « faire l’amour » :
les critères de la chanson d’époque sont là et s’enhardissent encore dans les « Nuits parallèles » dont rêvait François Marzynski en 1988. Avec son bagout de camelot pas dupe de lui-même, constitutif du personnage scénique qu’il s’est créé, il prélude à sa chanson en la présentant comme un titre qui « aurait pu être le générique d’un feuilleton de campus américain ». En tout cas, l’auteur-compositeur-interprète est formel : avec cette bombe, il compte « enterrer Elton John et Billy Joel » pour récupérer leur public et (ou donc) la belle qui l’a quitté. Sans être un tube caricatural, le titre est un slow qui assume et son efficacité, et sa singularité, et où
- le batteur et son fiston travaillent leurs combinaisons sonores ;
- les guitaristes adaptent leurs sonorités au style du morceau ;
- le second degré est justement ostracisé, même si l’indispensable solo de gratte post-coda fait forcément sourire ; et
- le texte est interprété avec l’intensité sans relâche qui caractérise le chanteur.
C’est la force proprement jubilatoire de ce concert que de jouer sur la tension et non la contradiction entre musique à consommation immédiate d’antan et pérennité de la date limite de consommation. « Batida de Coco », de François Marzynski et Yann Allano, le confirme en marquant l’arrivée du vaillant grand-père du percussionniste (et donc père du batteur). Pas de chougne sur ce combo trigénérationnel, juste une idée
- judicieuse,
- intime,
- efficace :
bien joué. Les ex-futures stars sont comme tous les fredonneurs en particulier et tous les zicos en général : elles veulent du soleil sur quatre accords. Dans le public, les femmes s’approchent pour danser (un couple aussi, de sorte que l’on devine qui tient le lead dans ce duo). La froideur de la fin décembre et la tendance au gris d’Armentières s’éclairent à la chaleur de l’ambiance tube de l’été qui résonne au Vivat. Certes, le solo de clavier est mal valorisé par le mix, mais Michel H. y démontre
- une ténacité,
- une tonicité et
- une créativité tranquille
qui vibrent bien.
Ensuite,
- le triple solo mauricien des percussionnistes « le fait grave », ainsi que l’on eût dit jadis ;
- le break déchaîné et dialogué qui les foudroie rayonne d’efficacité, eh oui ;
- le chanteur endosse à nouveau avec pertinence son rôle chéri de musicien-réalisateur ;
- le bassiste et le claviériste expriment leur plaisir d’être sur scène par la musique ou par la voix.
C’est ça, même, c’est ça ! Souvenance d’antan, deux titres anglophones surgissent soudain. D’abord le « Evil Ways » popularisé par Santana (l’origine du titre n’est pas à 100 % attribuée à Carlos), avec Éric Brousse à la guitare solo : quelle intervention
- puissante,
- juste,
- percutante
du musicien en intro ! Trois notes suffisent quand
- le son,
- le rythme et
- l’esprit
surgissent comme inopinément. Le texte narre l’histoire d’un type trompé qui, en rentrant chez lui, se sent « like a clown ». Néanmoins, l’ambiance est festive, ce qui pourrait surprendre si l’on oubliait que, longtemps, l’hymne des mariages fut « I will survive », éloge fougueux du célibat retrouvé. Les percussionnistes assurent la pulse, et le clavier s’offre un solo à nouveau sous-produit, propre donc un peu sage à nos esgourdes (on aurait bien aimé qu’il devînt foufou vers le finale, boudu !). « Long train running », écrit par Tom Johnson – pas le compositeur minimaliste, évidemment – a été popularisé par les Doobie Brothers – une référence pour les Ex-Norma d’alors – après son remix par Bananarama en 1991. L’incroyable Jean-Claude Hujeux revient pour offrir au titre un groove
- puissant,
- lourd et
- aérien à la fois.
Pas du tout au sens husserlien, il faut se rendre à l’évidence : il est vraiment, il est vraiment phénoménal, ce zicos !
Se joignant à la danse, un étranger investit la scène. David Krüger, le photographe, clique à tout-va et fait les chœurs – pas toujours pile poil très justes mais, dorénavant, qu’importe !
- Le clavier opte pour un solo vintage ;
- Loïc Bachun enflamme la salle ;
- avant le guitariste, Jean-Claude Hujeux défonce tout : il y a
- du son maîtrisé,
- de la virtuosité joyeuse et
- de la perfection dans la construction du solo.
C’est euphorisant. Pour terminer fort le concert, Ex-Norma envoie « Autour de la Terre » de François Marzynski et Michel Hujeux. Le titre ouvrait l’album enregistré en mars 1993. C’est donc une façon symbolique de boucler un voyage forcément circulaire puisque « tout commence à Armentières et tout finit à Armentières », du moins pour ces ex-jeunes-là.
Aspirés par une ambiance reggae de belle facture, les enfants se rapprochent pour danser même si les gamines moovent moins leur booty que les vieux venus s’enjailler. Sans perdre en rigueur, les artistes finissent de se détendre. François Marzynski profite des instrus pour se muer une dernière fois en cadreur sauvage. Comme chez les stars du rock, la gratte rythmique se rapproche de la six-cordes lead pour le solo. Ados et préados gagnent la piste de danse improvisée. Les enfants se laissent contaminer par le souffle chorégraphique qu’activent les musiciens. De part et d’autre de la scène, ça s’éclate. Un « Je t’aime » mutuel conclut la fusion entre groupe et public, couronnant ainsi une performance de haute volée, qui
- chasse la naphtaline à coups de décibels,
- accepte le temps qui passe sans se réfugier dans le regret ce qui ne fut pas, et
- rappelle que c’est parfois dans les vieux pots qu’on fait les meilleurs punchs.
Le résultat suscite le respect du spectateur et l’envie de parler de cet événement étonnant, presque au sens étymologique du terme. D’où cette double chronique !
Contact : le grandgrabuge@laposte.net