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Yann Allano (guitare lead), Michel Hujeux (clavier), François Marzynski (chant, de dos), Christophe Patte (basse), Jean-Marc Fontaine (guitare rythmique) et Jim Bachun (batterie) en concert le 22 décembre 2023 au Vivat (Armentières). Capture d’écran tirée du film de Jean-François Devos édité par Jean-Marc Boël.

 

D’ex-jeunes fourneaux reprennent du service trente ans après. À l’instar des sœurs Castagnette, ils ne sont pas devenus les stars françaises qu’ils étaient certains de devenir. Leur aura a même difficilement dépassé le Ch’Nord, où la politique de soutien à la culture live, quoique imparfaite, reste vivace, entretenant un maelström d’initiatives artistiques assez étonnant vu de Paris. Quant à moi, qui ai eu l’heur de chanter longuement les louanges du chanteur François Marzynski lors de sa première renaissance, je n’avais jamais ouï une note du quintette, composé dudit François, de Michel Hujeux aux claviers, de Yann Allano à la guitare, de Christophe Patte à la basse, de Jean-Marc Fontaine à la guitare rythmique et de Jim Bachun à la batterie. Nulle nostalgie, donc (ce qui n’aurait pourtant rien de cracra), dans ce compte-rendu, plutôt une envie de découvrir une autre facette d’un formidable artiste capable, en 2023, de mener à bon port un projet

  • facétieux,
  • ambitieux,
  • énergique et, par contamination,
  • énergisant.

D’autant que ce nouveau projet sur l’ancien n’a rien d’anodin dans la trajectoire artistique du monsieur. La première fois que François Marzynski est rené, il avait découvert que, à force de courir après l’intermittence et le professionnalisme, il avait perdu la part artistique de sa vie et notamment sa fonction de chanteur. Il en avait tiré deux perles, sans les lâcher :

  • d’une part, un projet de reprises en trio magnifiquement soutenu par David Lainé au clavier et au sax, et par l’incomparable Mike Rajamahendra à la batterie, avec qui il formait le « VF trio » ;
  • d’autre part, un documentaire irrésistiblement percutant, drôle et touchant sur, justement,
    • la chanson,
    • la professionnalisation,
    • l’intégrité,
    • la lutte,
    • le désir,
    • l’espoir et
    • la lucidité qui est à la fois nécessaire et dangereuse pour l’artiste.

Cependant, aussi autobiographique, choral et passionnant soit-il, L’Intermittent (titre provisoire) ne se résumait pas à un egotrip au demeurant très stimulant. Il résonnait en chaque spectateur dont il interrogeait, à la première personne,

  • les espérances tacites ou explicites,
  • les renoncements, indispensables à la survie ou simplement paresseux, à supposer que l’on puisse distinguer scientifiquement les deux espèces,
  • la ligne de vie, et
  • le rapport entre
    • fatalisme,
    • déni et
    • rage de vibrer sinon plus, du moins mieux.

 

François Marzynski au début du concert du 22 décembre 2023 au Vivat (Armentières). Capture d’écran tirée du film de Jean-François Devos édité par Jean-Marc Boël.

 

François Marzynski est le meilleur biographe de tout le monde que je connaisse car, presque sans le vouloir, comme chanterait Jann Halexander dans « Le mulâtre », quand il parle de lui, il parle de nous, et sans la barrière infatuée de l’artiste qui sait que, bon, quand même, il nous est bien supérieur. Non, humainement, François ne se revendique pas comme notre supérieur, bien qu’il risque de l’être par sa capacité artistique à faire résonner en chaque spectateur, ce qui est le propre des artistes importants, quelle que soit leur notoriété encyclopédique voire, pire, francintérique,

  • ses espérances plus que ses ambitions,
  • ses orgasmes plus que ses petites satisfactions,
  • ses explosions plus que ses traumas, et
  • ses doutes plus que ses déceptions quand, le soir venu, il faut bien peupler son imaginaire avec des regrets, aussi assertifs soient-ils, et, quelques degrés plus tard, des lamentations magnifiques.

Cette fois, l’Armentiérois a collectivement décidé, grâce à des retrouvailles d’abord fortuites puis organisées, de sortir de la naphtaline Ex-Norma, nom final d’une aventure finie, oui, mais marquée par des concerts de prestige et un disque en 1993. Le 22 décembre 2023, était donc filmée simultanément la fin de la résurrection d’un zombie – après une tournée préparatoire – et le début de sa dissolution de première classe, dans une salle de six cents personnes blindée et incandescente. Ce soir-là, c’était leur dernier concert avant 2053. Si Dieu me prête vie, j’aurai alors soixante-seize ans mais peut-être essayerai-je de me téléporter à l’Ehpad d’Armentières, ne serait-ce que pour chasser le spleen en faisant mourir l’hiver.
Dans son long discours introductif (il faut presque dix minutes avant que la première chanson ne retentisse), le chanteur ne masque pas la pression

  • des fausses notes,
  • des ratages et
  • des sorties de route,

d’autant qu’un DVD et un double CD sont gravés ce soir-là en one-shot. Lui qui maîtrise tant l’art de la scène semble pris par l’émotion. En témoignent par exemple son triturage de lunettes et son jeu de veste (je l’enlève, la jette, la cherche, la remets) presque convulsif. Cette fébrilité difficile à masquer est joyeuse pour deux raisons : et d’une, elle illustre l’importance du moment en laissant l’artiste professionnel participer de la ferveur du public ; et de deux, elle n’impacte aucunement le travail scénique car

  • les paroles sont sues,
  • le chant est présent,
  • le rôle de go-between et de M. Loyal est assuré avec le métier requis.

Connaissant l’exigence de l’artiste, on est d’abord un rien surpris par la qualité des plans larges, pas vraiment au niveau des précédents DVD. Cependant, on peut se demander si ce défaut n’est pas, en réalité, une touche vintage assumée pour la remise en scène de chansons vintage, interprétées avec des arrangements proches des originaux et des paroles inchangées. De plus, cette imperfection technique est largement subsumée sous une approche holistique :

  • les plans larges investissent une image parfois digne des années d’antan (pas toujours, heureusement : les plans plus serrés sont correctement définis), mais d’autres plans alternatifs travaillent les multiples qualités et types d’images possibles
  • le montage aux petits oignons est mené de main de maître par le maître-guitariste Jean-Marc Boël en personne, et
  • le son est excellent, même si le clavier semble souvent sous-produit, y compris pendant ses soli.

Pour combattre le stress, mieux vaut commencer par le « Trac », chanson « de fiotte » (entendez : susceptible de plaire à tous, le Ch’Nord a son langage et sa crudité déboutonnée, ça nous change du corsetage des éléments de langage bien donc trop cadrés) de François Marzynski et Christophe Patte. On y apprécie

  • la liberté de la versification alla Higelin (si, « et qui claque, CLAQUE ! », c’est du Higelin), dont le parolier-interprète tire brillamment le meilleur,
  • la bonne rythmique du groupe et
  • les bonnes synchros, et

ça l’fait grave.

 

Le public de zombies rassemblé pour le concert des Ex-Norma, le 22 décembre 2023 au Vivat (Armentières). Capture d’écran tirée du film de Jean-François Devos édité par Jean-Marc Boël.

 

François Marzynski assume seul de « Tuer le sommeil » même si, à force, il doit « tuer le soleil ». Le solo de guitare est assuré par un bras orné d’un vieux tatouage yin et yang qui va bien. À son image, le solo de Korg reste

  • sage,
  • simple et
  • gentiment convenu (on apprécie ce souci de ne pas en faire des caisses…),

avant l’attendue – et bien menée – modulation au ton supérieur pour le dernier double refrain avant la coda. Il y a de la joie dans cette volonté d’assumer une manière de chanson qui, grâce à la vitalité de la scène, n’a rien de has been ou de bof. Comme cette chanson en particulier, la chanson en général porte

  • des espoirs,
  • des questions et
  • des désirs d’envie d’avoir envie

disproportionnés par rapport aux humains qui la propulsent. C’est pour ça que l’aiment les humains qui l’écoutent : elle

  • les inspire,
  • les apaise,
  • les met debout – c’est ça : en érection, avec la fragilité des sculptures d’un Giacometti.

Comme l’admet le mode d’emploi habilement glissé par le chanteur également prof de scène, l’ambitieuse « Danse des macchabées » dudit François Marzynski et de Yann Allano (plus de 9′ dans cette version, mais déjà plus de 5’30 en version studio) vise à « faire l’amour avec le public », c’est-à-dire à enflammer son enthousiasme en métissant les deux tubes en vogue au moment de sa composition par les membres de Delirium vitae : « Thriller » et « La salsa du démon ». En gros plus qu’en gore, c’est l’histoire d’un gardien de cimetière qui retrouve sa Stratocaster, et les musiciens affluent pour l’accompagner. Après un coup dans le zig, un coup dans le zag, s’organise une danse des morts pas très saint-saënsienne. Porté par le bon son de Jean-François Devos et la batterie sérieuse, aux cymbales parfois poétiques, orchestrée par Jim Bachun, le groupe paraît prendre la confiance. Aux claviers, Michel Hujeux affiche un sourire radieux qui ne le quitte guère. À la basse, Christophe Patte propose un solo de bon aloi qui ne va jamais chercher les effets waouh propres à une virtuosité démonstrative. L’instrumentiste ne semble pas posséder

  • la palette technique,
  • la célérité digitale et
  • la créativité musicale du stratosphérique Nicolas Marsol

mais, bonne nouvelle, il le sait ou l’intuitionne, et hop. Par conséquent, il assume sa relative simplicité en dessinant

  • ses boucles entêtantes,
  • son rythme serein,
  • ses volutes inspirées

avec une gravité festive qui résonne joyeusement dans le cimetière local. Le bien fait n’est pas l’ennemi de l’efficace ! Un break transformé en mi-temps permet à ceux qui sont devenus de vieux fourneaux de

  • respirer,
  • s’hydrater (les vieux boivent de l’eau, incroyable !) et, pour le chanteur, de
  • détendre les cordes vocales que froisse, confie-t-il, le choix de reprendre les chansons dans leur tonalité originelle.

L’habile appel à la participation du public pour l’effet spécial visuel – dont le making of est détaillé dans le bref bonus du DVD – ouvre la voie à un mid-tempo bientôt électrisé par Loïc Bachun, le fils de Jim, aux percussions, en solo puis en duo avec son papounet. François Marzynski, possédé, déploie une chorégraphie macabre et dégingandée, parfaitement adaptée à son physique de grand escogriffe. L’ambiance est électrique. Comme on disait peut-être dans les nineties, c’est mortel – au point que nous allons faire comme les ressuscités du rock’n’roll alla francese : souffler dès à présent, et repartir en goguette avec le quintette élargi dans une prochaine notule !

 

À suivre…


Contact : legrandgrabuge@laposte.net