Estelle Revaz joue les caprices de Dall’Abaco (Solo musica)

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Première du disque

 

Depuis le Covid et la bataille pour l’indemnisation des musiciens, la musique en général et le violoncelle en particulier la partagent avec la politique. Estelle Revaz, étoile montante du violoncelle helvétique, a été élue au Conseil national suisse, l’équivalent suisse de notre Assemblée nationale. Comme pour rappeler qu’il n’y a point contradiction entre mission d’élue et vocation d’artiste, elle publie ces jours-ci un disque recensant les onze caprices pour violoncelle seul de Joseph Clément Ferdinand Barone Dall’Abaco (1710-1805), curieusement affublé sur la couverture d’une apostrophe inversée du plus vilain effet. Le cycle est l’un des chevaux de bataille de l’interprète, qui y voit la libération définitive du violoncelle de son rôle d’accompagnateur, après le choc des Six suites pour violoncelle de Johann Sebastian Bach.
Autour de marches diatoniques descendantes, le premier caprice en ut mineur travaille la reprise et la répétition de motifs en multipliant

  • registres,
  • nuances donc
  • couleurs.

En doubles croches, sol mineur et clef d’Ut 4, le deuxième caprice creuse une veine plus

  • jaillissante,
  • énergique et
  • équilibriste

au sens où il juxtapose des traits qu’il s’amuse à suspendre avant leur résolution. Profitant d’un choix judicieux de cordes en métal et d’un diapason à 442 Hz qui évite d’engoncer l’œuvre dans une historicité musicologiquement justifiable mais risquant de fleurer auditivement la naphtaline, Estelle Revaz en rend les radicalités avec un archet puissant de 1825 qui fait briller son Grancino de 1679 et étinceler la composition de Dall’Abaco.
Le troisième caprice en Mi bémol joue la carte du contraste entre

  • traits et pauses,
  • régularité des doubles et pétillements des trilles couplées aux triples croches servant de tremplin au motif suivant,
  • grandes aspirations ascendantes puis descendantes et stagnations autour de quelques notes pimpées par un grave assurant la pulsation,

laissant l’auditeur saisi par la capacité de l’interprète à faire miroiter les sonorités de son instrument. Le quatrième caprice, en ré mineur et à deux temps, pris sur un tempo plus paisible, explore davantage la sonorité à travers

  • le phrasé,
  • les résonances et
  • les complémentarités de registres.

La violoncelliste donne l’impression de sculpter le son en déterminant avec précision

  • l’attaque,
  • l’intensité du frottement et
  • le vibrato

attachés à chaque note ou à chaque phrase.

 

 

Le cinquième caprice, en Si bémol, s’appuie sur

  • des bondissements d’octaves ou de dizièmes,
  • des séquences que suspendent des silences énigmatiques, et
  • des changements de nuances qui modifient la texture du son jusqu’à intégrer des pizzicati.

Cette exigence dall’abacquienne permet à Estelle Revaz d’exprimer pleinement son désir non pas de jouer ces caprices mais, par-delà l’apparence mesurée et harmoniquement conventionnelle,

  • de rendre leur fantaisie,
  • de saisir leur vitalité et
  • d’incarner leur inventivité.

Le sixième caprice, en 3/4 et mi mineur, donne, lui, l’occasion à l’interprète

  • de compléter la régularité des croches par une agogique éclairante,
  • de jouer sur le détaché et sur le staccato non en opposition mais en dialogue, et
  • de casser l’aspect un rien fastidieux des deux reprises systématiques par des nuances qui, avec un savoir-faire frôlant la magie, changent en profondeur la présentation d’un motif pourtant identique.

Le septième caprice, en Si bémol à nouveau, investit le champ des doubles voire triples cordes, offrant

  • une verticalité à une partition jusqu’à présent surtout horizontale,
  • une tonicité dont la violoncelliste tire tout le bénéfice, et
  • une approche harmonique qui complète la veine mélodique principalement explorée jusqu’ici,

donnant l’illusion d’un miniconcerto pour un seul instrument – et confirmant l’intérêt d’une écoute en continu de miniatures dont on pouvait douter a priori qu’elles méritassent une audition enchaînée. Le huitième caprice, à trois temps et en Sol (majeur aux extrêmes, mineur au centre), poursuit la diversification de l’inspiration du compositeur.

  • Graves rythmiques et intervalles aigus,
  • itérations et balancements qu’Estelle Revaz accentue en resserrant telle partie,
  • doubles cordes et glissades monodiques,
  • passage du majeur au mineur (et retour)

revigorent l’auditeur, d’autant que l’interprète investit avec appétit son rôle de narratrice : elle ne se contente pas de lire la partition, elle n’hésite certes pas à « mettre le ton » ! Le neuvième caprice, en Ut, souffre sur notre exemplaire d’un problème récurrent de montage (la pièce commence à la fin de la piste précédente, comme sur l’ensemble du disque, mais là, sur mon gramophone, ça s’entend), même s’il s’agit d’une vétille en cas d’écoute continue et peut-être même d’une maladresse têtue de mon mange-disque.

  • Des deux-en-deux cèdent leur place à des doubles croches furieuses,
  • un propos posé se zèbre de triples croches à valeur d’ornements,
  • des appogiatures ajoutent de la folie dans l’électricité imprévisible qui anime cette page ontologiquement capricieuse.

Le dixième caprice, à trois temps et en La, joue sur

  • l’élégance du ternaire,
  • la tentation de la modulation et
  • le charme de la régularité dansante.

 

 

Le onzième caprice – le plus long – est en Fa. Il part sur un tempo tranquille avant de s’emballer dans un presto dont l’interprète rend avec jubilation la fougue à travers

  • la précipitation des doubles,
  • le balancement des rythmes pointés,
  • la fureur contenue des trilles et
  • la percussion des intervalles finaux.

Les changements

  • de tempi,
  • de caractères et
  • de sonorités

séduisent jusqu’à la cadence idiomatique qui conclut une partition réputée inachevée. Ainsi se termine un disque bouillonnant, au point que, 43′ après le début, on aurait bien repris une petite louchée de violoncelle – mais il faut parfois savoir être sage et apprécier la densité plus que la quantité. Pour les Franciliens, signalons que l’interprète sera de passage à Paris les 27 et 28 novembre afin de promouvoir son disque et son autobiographie. Rens. ici.


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