Estelle Revaz, concert-conférence, ambassade de Suisse, 27 novembre 2024 – 1 : les paillettes
Estelle Revaz n’a pas attendu de devenir politicienne pour aimer parler. Déjà, quand elle était juste seulement rien que musicienne soliste concertiste internationale (guère plus), elle concevait mal de donner des récitals sans parler au public voire échanger avec lui. En sus des concerts avec des mots dedans, elle a développé pendant le Covid cette forme du concert-conférence qu’elle propose ce soir de fin novembre à l’ambassade de Suisse, à Paris. Le principe est simple comme un match de foot ou, pour ceux qui préfèrent le sport, de rugby. Il y aura deux mi-temps,
- une pour jouer des caprices de Dall’Abaco, objet d’un disque commenté ici et sujet de la présente notule ;
- l’autre pour évoquer les parcours qu’elle esquissait tantôt lors d’un grand entretien et qu’elle a formalisé dans La Saltimbanque (Slatkine, 2023), parcours
- de femme,
- d’artiste et
- de représentante du peuple suisse… presque en dépit de son plein gré.
En d’autres termes, explicite la musicienne, « on va commencer par les paillettes de la scène avant de plonger dans les coulisses de la vie d’artiste ». Sauf que les paillettes ont aussi leur making of. En l’espèce, Estelle Revaz prend le temps de placer les caprices de Joseph Clément Ferdinand Barone Dall’Abaco (1710-1805) dans le contexte musicologique qui les rend particulièrement sapides.
- D’une part, ils contribuent à extirper le violoncelle de son seul rôle d’accompagnateur pour explorer sa potentialité d’instrument soliste.
- D’autre part, ils profitent de la mutation de la lutherie, qui bat alors son plein, pour profiter des nouvelles formes donc sonorités d’un instrument qui se cherche encore.
Pour autant, l’interprète prévient qu’elle ne compte pas se laisser enfermer dans une contextualisation qui risque vite non seulement de devenir asséchante voire sclérosante, mais surtout de se révéler contradictoire avec le concept même de « caprice ». Point, donc, de cordes en boyaux ; point non plus de ces caractéristiques fâcheuses qu’affectionnent trop souvent les options « historiquement informées ». En clair, elle rejette
- toute exécution précautionneuse faute d’indications suffisantes du compositeur (alors, pour pas trahir, on joue a minima…),
- tout souci de présentation sage à souhait pour circonvenir le plus de mélomanes découvrant ces œuvres rarement jouées (l’engagement et la fougue risqueraient de faire fuir les esgourdes plus habituées au mou), et
- toute univocité dans le choix des tempi, par exemple (dans un caprice, si la partition semble y pousser, breaks et bousculade du métronome ne sont pas à fuir a priori, au contraire).
Le premier des sept caprices du soir (sur onze possibles) sautille avec de puissants accents groovy. Suivant un tempo résolument souple, la violoncelliste propose aux spectateurs de se laisser aller au plaisir du mélange des
- registres,
- nuances et
- dynamiques.
C’est moins un premier caprice qu’une sorte d’avertissement de ce qui nous attend ! Le deuxième caprice confirme la veine du compositeur tel que le ressent l’interprète :
- ça surgit,
- ça frétille,
- ça brandit en étendard une apparente irrégularité dont les oscillations claquent au vent de l’inspiration en chantant le doux mot de liberté.
Le troisième caprice revendique, lui,
- la lenteur,
- la claudication, et
- une hésitation dont émane un intrigant fumet d’étrangeté.
Le quatrième caprice, bondissant, travaille différentes façons de maltraiter l’archet (et même les doigts) contre les cordes. D’un seul coup d’un seul, nous voici projetés à la fois dans
- l’explosivité et la retenue,
- le geyser furieux et le débit mesuré du petit ru,
- la vocifération et le murmure suggestif.
Le cinquième caprice danse grâce aux
- contretemps,
- itérations,
- multiples sources d’énergie
- (attaques,
- glissades,
- mutations des sonorités parfois presque détrempées…) et
- alternances modales, entre majeur dominant et mineur têtu.
Le sixième caprice reprend presque souffle après ces secousses. Toutefois, rien de linéaire ou de monolithique, ici. Plutôt des
- pointillés à suspense,
- des demi-teintes évocatrices et
- un concentré de contrastes (débit de notes, volume sonore, couleurs du violoncelle).
Le septième caprice (onzième et ultime dans le recueil) est, nous avertit Estelle Revaz, à peu près impossible à jouer pour deux raisons principales :
- les quintes exigées par le compositeur sont anti-violoncelliques en diable, et
- la partition, proteste l’artiste, oblige à écraser ses phalanges jusqu’à « faire des bruits bizarres » et, surtout, menacer de rompre.
La dramatisation est habile pour raviver l’attention de l’auditoire ! Dès les premières notes, saute à l’oreille le paradoxe qui électrise le texte. Dall’Abaco se focalise sur l’exploitation de l’unité du multiple. Dans ce finale, le bougre
- explore de front plusieurs motifs qui fricotent et se font autant concurrence qu’écho ;
- se goberge de réexpositions qui forment manière de tourbillon musical ; et
- ne néglige jamais l’apport puissant
- de la suspension,
- de la rupture, et
- de la respiration qui, dans ce contexte, fait tout autant récit que
- la note,
- la phrase et
- la résonance
(difficile, pourtant, de trouver de la résonance dans le « salon de la tapisserie de l’ambassade », pimpant mais à l’acoustique redoutable !). Le temps
- d’accueillir les brava enthousiastes du public,
- de stocker les fleurs de l’ambassade et
- d’aller protéger « Louis XIV », son cher violoncelle et son violoncelle cher,
et la dame promet d’être de retour pour nous guider dans les coulisses d’une vie d’artiste. Cela vaudra bien une prochaine notule !
À suivre…
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Le disque Dall’Abaco
Le grand entretien
Le disque Inspiration populaire (volets 1 et 2)
Le disque Journey to Geneva
Le disque Bach & friends
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