Ensemble Quentin le Jeune, Institut Goethe, 21 novembre 2017
Derrière son petit air de monsieur sage à lunettes, il y a de l’audace chez François Segré, le grand manitou des concerts mensuels intitulés « Classique en suites » et fomentés à l’Institut Goethe, soit qu’il programme un excellent pianiste que les gens raides jugeront controversé, ce qui est toujours bon signe, soit qu’il propose à ses spectateurs fidèles un concert de musique du dix-huitième siècle. Lui-même a conscience du défi que représente ce pourtant appétissant ensemble de quatre sonates en trio : ne pointe-t-il pas la présence de spectateurs somnolents dès son prologue parlé ? Il faut incontestablement prendre cette fatigue comme un compliment, signalant l’envie d’assister à cet événement en dépit de la lassitude du quotidien, ou du sommeil en retard !
Pour soutenir l’intérêt, les musiciens de l’Ensemble Quentin le Jeune (deux violonistes et une violoncelliste baroque, plus un clavecin, formés notamment par Patrick Cohën-Akénine, Patrick Bismuth, Thérèse Bollet, Sylvia Abramowicz, Nina Ben David, Michèle Dévérité…) problématisent leur concert, donc le disque qu’ils publient ce jour même avec une set-list quasi identique, et explicitent leur fil rouge – en l’espèce suivre les goûts d’Adélaïde et de Victoire, filles de Louis XV, musiciennes et sponsors. Le quatuor s’attaque à quatre trios au format presque identique (quatre mouvements en général, du type vite – lent – dansant – vite). L’intérêt sourd donc de la répétition, en ce sens que la norme et le formatage incitent l’auditeur à une écoute paradoxale. Dans cette musique qui flatte l’oreille mais paraît lisse voire anti-événementielle, qu’est-ce qui distingue l’automatique du talentueux, le codifié du p’tit supplément d’âme, le conventionnel du joyeux bizarre ?
Pour ouvrir le bal, voici Giovanni Pietro Ghignone, compositeur francisé en Jean-Pierre Guignon à une époque où la francisation patronymique n’était pas encore considérée comme une preuve de nazisme aggravée mais comme un gage d’intégration. En non-spécialiste, on peine à entendre cette patte italienne qu’annonce Jean-Christophe Lamacque, mais on est d’emblée saisi par le travail sur la synchronisation du quatuor, qui permet de faire chanter le lead. La chaleur, suppute-t-on, dérègle certes la belle mécanique sur les deux derniers mouvements, mais, après un nouvel accord, le combo se jette dans la première sonate en trio n°6 d’Antoine Dauvergne, surtout compositeur d’opéra, nous apprend-on. Le souci de concision, donc de concentration du matériau mélodique, bénéficie d’un violoncelle et d’un clavecin attentifs tant à la pulsation qu’aux inflexions des violonistes. À la fioriture, l’Ensemble Quentin le Jeune préfère la lettre et l’épure. C’est d’une exigence rare.
Hélas, les pistes d’écoute déroutent parfois : nos limites auditives nous empêchent de saisir le caractère « symphonique » de la Cinquième sonate à trois parties de Johann Stamitz, vendu par le premier violoniss. Au-delà de la piste qui nous est barrée, cette pièce est néanmoins l’occasion de vérifier la qualité du travail en commun : le souci de précision sur les sforzandi ou les (légères) ruptures de caractère, par exemple, permettent à l’auditeur d’apprécier la volonté de valoriser les micro-événements brisant la linéarité du discours musical. Ce nonobstant, on finira de décevoir les lecteurs en reconnaissant que nous échappe la dimension « géniale » de Julien-Amable Mathieu, dont le Deuxième trio n°3 est censé entremêler le chant des deux violons de façon fort originale – notre sens de la contradiction et notre méconnaissance de ce répertoire, probablement, nous empêchent, à la première écoute, d’abonder dans ce sens. Pour notre part, assumant la part d’inculte qui n’a pas su faire taire notre pulsion de curiosité musicale, nous goûtons plus modestement une belle musique jouée avec un enthousiasme qui passe par le ciselage plus que par l’extraversion.
Un double bis (un « Tambourin » et un « Andante » tiré de la suite symphonique qui a le plus passionné mes voisins grâce au storytelling du « compositeur suicidé car trop génial ») permet aux artistes de recevoir leur flot d’applaudissements mérités, avant de filer signer leur tout nouveau disque. C’est alors que survient le miracle : même les mamies permanentées que la perspective d’un concert baroque épuisait retrouvent leur énergie et leur grossièreté pour trottiner jusqu’au buffet afin de se jeter sur le vin, les chips et les p’tits saucissons offert aux survivants.
À tous, donc. Après le concert solide, le beau geste.
Prochain concert de la série, très prometteur : le 19 décembre, à 20 h, Irène Duval (violon) et Aurélien Pascal (violoncelle) jouent Bach, Kodály, Halvorsen et Milstein. Se rapprocher de l’institut pour réserver est une idée prudente – la plupart des concerts sont complets très vite. Prix : 5 ou 10 €. Placement libre.