Enjott Schneider, « Bridges to infinity » (Solo musica) – 2/3

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Première du disque

 

Après un concerto pour violon, voici Harmonies fatales de la noire douceur, un concerto pour alto. Enfin, à l’origine, c’était un concerto pour violoncelle et orchestre à cordes, mais il est ici confié à l’archet de l’altiste Alexia Eichhorn. Son inspiration est liée à un madrigal de Carlo Gesulado, d’abord meurtrier en pleine conscience, d’autant qu’il ne risquait rien pénalement, puis, après qu’il a refait sa vie et trouvé une nouvelle esclave sexuelle (c’est ça, une seconde épouse), compositeur qui se flagellait un peu trop pour vivre très longtemps – suivez-moi pour plus de biographies condensées.
Articulée en six mouvements dont un dernier deux à quatre fois plus long que ses prédécesseurs, l’œuvre s’ouvre sur un « Prologo – armonie mortali ». Habillé par le tremblement aigu des violons, bientôt enténébré par violoncelles et contrebasses, l’alto semble exprimer avec ses acolytes

  • les grandeurs et bassesses de l’âme humaine,
  • la fluctuation des aspirations et inspirations, ainsi que
  • la présence du drame au sein même de l’harmonieux, non comme un excipient ou un additif mais comme un élément consubstantiel de l’harmonie.

Dialoguent

  • nappes orchestrales,
  • soli de l’alto et
  • ensemble associant soliste et accompagnateurs.

Le compositeur profite de cette variété en tirant le mystère de la discontinuité du matériau musical pour installer discrètement la cellule Ut # | la | Si | Sol, motif récurrent de son concerto. S’avance alors une « cantilena – la belezza di Maria d’Avalos », portant le nom de la femme qu’a massacrée Carlo Gesualdo (avec l’aide de ses hommes de main : les hommes dits d’honneur sont souvent de pendables couards finis…) un soir où elle partageait sa couche et sans doute pas que sa couche avec un autre homme. Le thrène se poursuit, avec

  • tenues pesantes,
  • ligne brisée du soliste et
  • multiples contrastes
    • (de caractères,
    • de hauteurs,
    • d’intenstés et
    • de couleurs).

« Ballo mortale (I) » signe le début de l’exécution à grands renforts de pizzicati, de claquements de cordes, de percussivité sèche auxquels s’opposent les interventions parfois détrempées de l’alto.

  • La récurrence de motifs déjà ouïs,
  • l’insertion de nouveaux matériaux (ainsi des tenues suraiguës des violons orchestraux) et
  • le mélange des techniques expressives que troue des silences presque oppressants

participent d’une partition sinon programmatique, du moins ouvertement narrative… bien que le mouvement suivant, un « ricercare », ne revendique pas explicitement la part descriptive dévolue aux autres titres.

  • Unisson orchestral,
  • écho du soliste sur tapis de cordes,
  • refus de l’univocité

réinvestissent le concept de « ricercare » qui, jadis, ressortissait d’un fugato en plusieurs mouvements. Ici, la recherche fouille moins une mélodie ou un enchaînement de hauteurs traité de façon polyphonique qu’une tonalité dramatique où

  • la surprise,
  • le jaillissement et
  • l’intriguant
    • (notes répétées,
    • brusques embardées,
    • suspensions)

ont leur part, comme s’il s’agissait de s’interroger sur les méandres heureusement insaisissables de la psyché, qui plus est quand il s’agit d’évoquer un musicien tueur sur lequel les éléments biographiques sont moins fiables que faibles.

 

 

« Ballo mortale » (II) envoie en première ligne l’alto soliste zébrer l’espace sonore d’un zigzag déstructuré auquel répondent les percussions de la première balle mortelle.

  • Des échos désordonnés,
  • des emportements dégingandés,
  • des transmutations de motifs dansants

enveloppent les pistes esquissées par un instrument soliste plus déséquilibré qu’explosif. L’imposante « passaglia della morte – morire d’asfissia su un’altalena » commence par

  • des tenues funèbres,
  • des fusées descendantes et
  • des pizzicati explosifs claqués par Alexia Eichhorn.

S’y ajoutent

  • des glissendi,
  • des ruptures, et
  • des éclats de vivacité

habillant les quatre accords obsédants autour desquels tourne la passacaille.

  • Des accents puissants,
  • des pépiements têtus,
  • des silences synchronisés et
  • des nappes évocatrices

animent tour à tour ou simultanément le récit. Entre

  • éruptions spasmodiques,
  • contemplation hébétée et
  • déploration fataliste,

la fin du mouvement est de toute beauté – augurant du meilleur pour la symphonie de trois quarts-d’heure que nous raconterons prochainement dans cette colonne.

 

À suivre !