Elvin Hoxha Ganiyev joue les sonates pour violon d’Eugène Ysaÿe (Solo musica) – 3/6
Dédiée à Georges Enescu, la troisième sonate en ré mineur d’Eugène Ysaÿe se présente comme une ballade constituée d’un seul mouvement. Évidemment, l’histoire est plus compliquée, donc promet d’être plus intéressante. Tout commence par un lento molto sostenuto annoncé in modo di recitativo (un prélude, voilà). Elvin Xhoxha Ganiyev en rend la tension liée à la liberté
- de mesure,
- de tempo et
- d’agogique.
L’expressivité de son jeu fait crépiter
- monodie,
- quartes,
- sixtes,
- accords et
- arpèges
qui étincellent dès les premières minutes. Même si, dans ce passage presque paisible et souvent piano, la proximité du micro avec le violon – donc avec les inspirations-reniflements de l’interprète – peut instantanément agacer voire diffuser un sentiment de gêne chez l’auditeur qui n’y verrait point un signe d’une musique sinon vivante, du moins en train de sourdre, l’on se gobergera d’une partition où
- sautes de registre,
- rythmes pointés,
- glissendi et
- silences prolongés
ouvrent les possibles d’une écriture (de violoniste) pour violon seul. Certes, c’est
- riche,
- multiple et
- profus,
mais nul show-off, ici. Eugène Ysaÿe connaît assez son instrument pour transformer
- la virtuosité patente,
- la complexité intrigante et
- la diversité sonore
en musique et non en bons points pour le compositeur (comme aimeraient s’en voir adresser certains contemporains lorsqu’ils recourent à TOUTE la palette de l’instrument pour bien montrer qu’ils n’en ignorent rien, alors qu’ils prouvent ainsi qu’ils le connaissent encyclopédiquement mais pas intimement). Un molto moderato, officiellement quasi lento, ne tarde pas à s’animer.
- La mesure, jadis à quatre temps, s’agrandit et en compte désormais cinq ;
- le tempo s’accélère ;
- le temps bat plus vite puisque les deux en deux deviennent
- triolets de croches,
- ensembles de quatre doubles croches puis
- quintolets de doubles.
Eugène Ysaÿe semble ainsi chercher à se libérer
- de la vitesse (lente ou rapide) pour privilégier l’expression,
- de la mesure pour laisser sa place au geste inspiré, et
- de la régularité rythmique pour développer une narrativité catchy, et hop.
Voici qu’il fait exploser ses lenti dans un allegro in tempo giusto (cette fois) e con bravura. Mais la partition exprime une tension patente entre ce « tempo giusto » et le texte qu’elle porte. À Elvin Xhoxha Ganiyev, en l’espèce, de tenir les deux bouts d’une exigence de rigueur et de la mobilité voire de l’oscillation que créent
- un trois temps qui devient parfois deux,
- une mesure à trois croches qui privilégie les triolets de doubles, et
- un carcan officiel que défient et distendent
- rythmes pointés,
- mordants,
- appogiatures et
- ritendo.
Or, comme indifférent aux monstrueuses difficultés techniques et musicales, l’interprète paraît brillamment se nourrir de la prolifération
- d’allures polymorphes,
- de caractères contrastés et même
- d’harmonies résolument en friction,
assurant, par-delà les cahots d’une écriture survitaminée, la fluidité du ruisseau musical que renforcent et traduisent à la fois une série de sextolets de triples croches, d’abord en solo puis à deux voix… au point de rendre presque insensible le ralentissement progressif suggéré par la partition.
- Le phrasé,
- les variations d’intensité et
- la précision rythmique que ne perturbent pas des septolets chromatiques
offrent à l’auditeur, en sus de l’effet waouh de la pyrotechnicité – et re-hop – au sens de technique en feu d’artifice perpétuel exigée, un intérêt constamment renouvelé. Un finale à diastoles et sistoles avec
- un tempo poco vivo,
- puis più mosso,
- puis slargando (un « élargissement » pas vraiment sensible sous les doigts et l’archet du violoniste, qui privilégie la fougue conclusive au respect littéral des indications), et
- enfin vivo
couronne le propos battant de la troisième sonate. En bref, cette ballade n’est pas de tout repos. À moins de préférer
- le mou,
- l’ennui et
- la viole de gambe,
il faut s’en réjouir mille fois : quand on reposera en paix, ce sera mauvais signe !
À suivre…
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