Daniel Kientzy (2/3) joue Cornel Ţăranu, Nova-musica

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Depuis 1986, Daniel Kientzy travaille régulièrement avec des ensembles roumains, ce dont témoignent plusieurs disques, aux pochettes parfois quasi identiques, comme pour souligner la continuité du boulot entrepris. En 2017, en sus du projet « Hammond » chroniqué tantôt, est ainsi parue sur son label une monographie constituée par quatre compositions de Cornel Ţăranu. (Constituée de ? Constituée par ? Oh, pis mârde.) En voici quelques aperçus.

Diferencias pour sax baryton et orchestre (15’)

Concerto ou batalla ? La composition qui ouvre le disque raconte une histoire sanglante où les différences feutrées s’effacent derrière des dialogues résolument virils. Sur un motif rythmique sans cesse dupliqué, la musique se déploie, se cherche, s’emballe, s’éteint puis ressurgit dans des barrissements de sax baryton (des baryssements ?). L’instrument se risque petit à petit dans des galopades mourant dans un tapis de cordes. Surnage alors une clarinette basse qui ouvre la voie à une citation fuguée de Antonio de Cabezón, dont les diferencias sont fameuses. Le saxophone proteste contre cette intrusion. Alors, par grappes, l’orchestre commente les interventions du soliste. Aux deux-tiers du concerto, Cabezón est de nouveau convoqué, mais sa citation est ponctuée par des explosions que prolongent des gémissements saxophoniques. Le tempo en vient à se déliter, et le sax profite du retour au calme pour insuffler un début de tempête, nuance piano. Le souffle agite l’orchestre, avant que le motif liminaire zèbre cette harmonie jusqu’à transformer le baryton en didgeridoo grinçant. Plus personne ne rétorque. L’orchestre reprend par à-coups, et le baryton va chercher dans les aigus une réponse à cette quête initiale – celle qui prend fin mais ne se résout pas.

Hommage à Bartók pour sax sopranino
et quintette à cordes (9’30)

Sur une cellule évoquant, selon le compositeur, « l’anagramme de BELA », le deuxième morceau, pourtant de quinze ans antérieur au premier, travaille une rhétorique proche de Diferencias : ressassement d’un motif reconnaissable, soli ponctués par l’orchestre, rhapsodie de moments distincts, usage rare mais caractéristique du saxophone comme percussion, utilisation sporadique du silence pour couturer la trame. Ici, cependant, sous la direction du compositeur, le quintette, plus sobre et souvent à l’unisson pour ponctuer l’élégie du soliste, aime à jouer les extrêmes, dans l’aigu ou dans la nuance douce. Les amateurs de mélodie passeront leur chemin, mais les auditeurs qui aiment qu’un morceau leur raconte une histoire afin de récompenser leur attention goûteront ce récit drrramatique aux accents modaux ouvertement transylvaniens.

Semper idem pour sax soprano et alto,
avec orchestre (17’)

L’œuvre la plus récente (2015), présentée comme une forme sonate, chère au compositeur, s’inscrit dans la continuité des éléments de langage exploités et explorés jusqu’alors. Au soliste, armé de deux saxophones et de sa voix, c’est pas rien, répond un orchestre hésitant entre des accents répétés, un tapis de cordes, des échos de cuivre, des reprises du leader, le tout s’impatientant dans un labyrinthe semblant semper idem. Cristian Brâncuşi est à la baguette pour guider les tensions oppressantes promises par la partition. L’inquiétude et les brisures du discours, auxquelles font écho des battements de timbales, plongent l’auditeur attentif dans l’exploration d’un monde sans issue, toujours pareil, que la forme ABA surligne. La voix du saxophoniste (12’20) tente bien de s’extirper de son instrument lors de la cadence, l’orchestre reprend son martèlement et lui impose silence.


Laudae pour sax soprano,
quatuor à cordes et piano (8’30)

Dans le livret, Cornel Ţăranu indique les trois singularités de cette composition parmi les quatre œuvres au programme : pédales de sons aux cordes typiques de la musique populaire roumaine (le thème en moins) ; écriture non mesurée ; structure partiellement aléatoire ; et bithématisme. La pièce permet à Daniel Kientzy de faire briller sa virtuosité puisque ce n’est que par la tenue de son timbre, sur toute la tessiture, que tient le discours, à la fois translucide (un même motif similaire guide quasiment toute la pièce) et déstructuré (à force d’être rabâché, le motif hache le propos et lui ôte toute linéarité). Laudae gagne donc à être écoutée à la fin de cette monographie, comme y incite le disque, car elle propose une synthèse de l’art du compositeur, libérée du pathos narratif qui faisait vibrer les précédentes compositions. Moins concertante que les autres pièces, elle propose un duel entre, d’un côté, un saxophone, de l’autre, un quatuor à cordes et un piano. Le résultat ne manque ni d’énergie, ni de virulence, grâce à la baguette de Carmen Cârneci, d’autant que la relative brièveté de la pièce et le triple  contraste entre accents, nappes de cordes et envolées solistes, nourrissent l’intérêt de ces curieuses louanges.

Conclusion

N’en déplaise aux chastes oreilles, ce disque réjouit derechef notre curiosité. Non, les créations pour saxophone ne se résument pas à des cris de porcs que l’on égorge, comme on a pu lire çà ou là. Il faut reconnaître la spécificité de cette musique ainsi que la force d’un musicien aussi passionné de renouveler et de secouer son répertoire que Daniel Kientzy. Sur chacune des pièces, convoquant quatre sax différents, on apprécie les techniques de l’instrumentiste, son souffle qui semble parfois infini, sa précision rageuse et sa justesse anti-vulgarités dans l’ensemble des registres. Ces qualités sont soulignées par des ensembles toujours compacts malgré de nombreux breaks, et le tout bénéficie d’un son précis sans être sec. Encore une belle découverte pour mélomanes curieux.