Cyprien Katsaris, Beethoven: a chronological Odyssey, Piano 21 (1/6)

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Dès aujourd’hui, il faut que je parle d’un coffret exceptionnel qui paraît le 17 janvier mais est déjà précommandable. Même si son titre anglophone déçoit, le livret inclut l’intégralité des notes en français – ce qui est extrêmement rare, de nos jours, ma brave dame. Plus que cette guerre des langues, ce qui compte, c’est que, sans doute pour occuper son été, Cyprien Katsaris a gravé six disques. Le projet du mastodonte qui en est issu ? Parcourir l’œuvre de Ludwig van Beethoven, toute l’œuvre de Ludwig van Beethoven, et ce, au piano, rien qu’au piano, en suivant sa vie de compositeur, du premier au dernier opus. Au programme, de vraies pièces pour piano (dont du lourd, genre « La tempête ») mais aussi des transcriptions de sonates pour violon, de quatuors et de symphonies signées LvB, Wagner, Diabelli, Czerny, Moussorgsky, Winkler, Liszt, Saint-Saëns, etc.
Ce programme, original et passionnant, bénéficie d’une conjonction de qualités exceptionnelles : un pianiste aussi original que virtuose, qui a fondé son label pour jouer, aussi, ce qui lui plaît ; une cohérence de son (seule la Sonate « au clair de Lune » n’a pas été enregistrée pour l’occasion) ; un projet écoutable (chaque disque forme un tout) ; un excellent Bechstein D-282 superbement capté à l’église évangélique Saint-Marcel, studio parisien le plus recherché par les musiciens classiques ; et un projet dans la logique d’un prochain concert beethovénien qui s’annonce hénaurme.
Soit, pour ce premier disque, la première composition publiée par Ludwig : les Neuf variations sur une marche de Dressler (1782). D’emblée, Cyprien Katsaris articule le côté pataud de la musique militaire avec, d’une part, l’élégance d’une main droite aux appogiatures cristallines, au détaché retenu (deuxième variation), aux croisements exécutés avec grâce (sixième variation), et, d’autre part, l’énergie de la main gauche (sextolets de doubles dans la troisième variation). De cette musiquette mimi tout plein, la pianiste réussit à tirer le meilleur grâce à des doigts et un sens musical qui, associé à un choix de reprises tirées d’une version alternative, atomisent avec superbe l’ennui et la répétitivité de la partition. Avec le swing des reprises, la huitième variation l’illustre brillamment avant que la neuvième ne donne leur content de travail – sous forme de gammes – aux dix saucisses du virtuose.

Photo : Bertrand Ferrier

La Sonate en Mi bémol (WoO 47/1, 1783) s’ouvre sur un Allegro cantabile tonique. Le musicien tâche néanmoins de festonner les notes avec délicatesses (nuances lors des suspensions finales) sans niaiser avec les accents qui vont bien. L’usage sporadiquement abondant de la pédale permet d’associer une résonance précieuse à la pulsation des petits marteaux. L’Andante, tout propret à défaut d’être passionnant, se déguste avec gourmandise grâce au sens du groove de l’interprète (appogiatures, tonicité des ornementations, accents sur les contretemps, légères suspensions de la régularité, discrétion de la main gauche qui valorise les rares moments où la pulsation est soulignée). Le Rondo vivace conclusif se goberge d’une énergie ternaire et d’un souci – entre épatant et patent (pfff) – de nuancer.
Les Deux préludes dans toutes les tonalités majeures (1789) sont exécutés avec le même souci de finition qui déjoue la dimension figée de l’exercice. Le premier joue sur un système d’écho rabâchant quelques motifs. Sous les doigts de Cyprien Katsaris, le résultat est tout à fait séduisant. Le second prélude, pour être moins roboratif, ne se prive point pour autant de déployer ses charmes harmoniques autour du thème énoncé d’entrée. L’interprétation claire et engagée de l’artiste pimpe comme il sied cette découverte inattendue.
La Muzik zu einem Ritterballet (… pour un ballet chevalersque, WoO 1, 1791), en huit mouvements, est une transcription de LvB par LvB. Une Marche, animée par les bariolages des violons 2 fait dialoguer la flûte piccolo et les violons 1 à travers une partition sans surprise – n’eussent été les deux mesures en ré mineur qui réveillent l’attention. Une Chanson allemande toute simple trouve moyen de faire souffler clarinettes et cors tandis que les cordes égrènent leur air en le ranimant çà et là d’accents bienvenus. Une Chanson de chasse fait sonner du cor (on les entend vraiment, écoutez piste 9 à 0’12 !) que rejoignent régulièrement les clarinettes. La transcription sabre la partition initiale pour reprendre plus vite la Chanson allemande. Gourmande !
Une Romance pour cordes laisse chanter la délicatesse des aigus du Bechstein – il n’est peut-être pas interdit d’y entendre une marche harmonique que l’Allegretto de la Septième symphonie saura réemployer, la tierce picarde en moins. Après re-la Chanson allemande, un Chant de guerre laisse s’exprimer les cuivres… alors que revoilà la Chanson allemande, jouée plus détachée, comme habilement contaminée par la martialité (je tente) de la courte pièce précédente. Alors qu’il ne se saoule qu’au jus de cerise bio, Cyprien Katsaris empoigne avec soif la Chanson à boire qui suit avec rythme débile, cordes à l’unisson, puis trio dont la transcription rend avec efficacité le dynamisme benêt… alors que revoilà la Chanson allemande, cette fois exécutée très tonique. Une Danse allemande se balance et n’hésite pas à se libérer de l’original pour orchestre. Une coda, entre chasse et air martial finit la série sur le tutti – mais non sans nuances appropriées –, réinvoque la Chanson allemande en lui glissant une question sous forme de Si inattendu que résout une péroraison plus preste que finaude. En conclusion, une musique de genre qui ne se prend pas au sérieux mais que l’exécutant, lui, prend au sérieux – en tirant ainsi plus que sa substantifique moelle.

Cyprien Katsaris chez lui, le 24 février 2018. Photo : Bertrand Ferrier.

La Première sonate pour piano en fa mineur (op. 2 n° 1, 1794) se place sous le signe de Joseph Haydn. Son Allegro liminaire est attaqué tambour battant par les doigts légers et solides de l’artiste. Même l’église Saint-Marcel ne semble pas prête à cette pétillance, comme en témoigne le bruit de fond à 0’05 – toujours laisser croire à une écoute précise, même si ça fait mieux quand ce genre de remarque s’applique à un bruit vers 15’38, mais bon. L’allant n’est certes pas contradictoire avec la délicatesse ; en témoignent les respirations proposées à la reprise. Les différences d’accentuation et l’art de faire sonner spécifiquement chaque registre du piano captent l’oreille autant que la tentation du majeur, en seconde partie. Maîtrise technique, sens des nuances, science du crescendo et de l’indépendance des voix font swinguer sans la moindre afféterie ce premier mouvement… conclu, en fond, après le silence, par des chants d’oiseaux – excellente idée de les avoir gardés au montage !
L’Adagio en Fa rappelle que le musicien n’a pas peur des tempi lents et ne cherche pas l’esbroufe du trépidant quand elle n’apporte rien à la partition. Ici, Cyprien Katsaris montre sa confiance dans la partition dont il rehausse les couleurs par une exécution attentive qui retient l’intérêt grâce à l’art de mettre en valeur les trouvailles de Ludwig van B. Le Menuet revient en terres mineures. Le musicien souligne les hésitations et les foucades du mouvement. Au centre, un trio majeur – où l’on apprécie les différences d’interprétation dans la seconde reprise – prélude au da capo. Le Prestissimo permet à l’artiste de se dégourdir les mimines avec son coutumier mélange d’aisance, de désir de contrastes dans les nuances et les attaques. Amateurs de vertige musical, bienvenue chez vous : vous allez entendre gronder la Terre entre 1’45 et 2’, ça envoie ! La deuxième partie du mouvement pivote en majeur, mais cette fois en La bémol plutôt qu’en Fa. Une modulation tranquille ramène la tonalité à la raison pour un dernier tricotage des chipolatas. En bref, voilà une version maîtrisée et musicalement engagée qui secoue une sonate habituellement peu fréquentée par les vedettes.
Alla Ingharese quasi un Capriccio (1795), comme la sonate « au clair de Lune », est plutôt connu grâce à son sous-titre apocryphe, en l’espèce : « Rage contre un Sou Perdu, Déversée dans un Caprice ». Bis chéri des pianistes facétieux, sa place en dernière piste du disque témoigne de la volonté de construire chaque épisode de ce « voyage » comme un récital à la fois intégré dans un tout mais écoutable en tant que tel. C’est évidemment brillant mais ça n’est pas que ça. En témoignent les effets de nuances et d’accentuation dans cette furie inarrêtable quelles que soient les modulations – en sol mineur, en Mi…  Cette capacité à être brillant tout en restant musicien et pas juste clown acrobate époustoufle, point exclusivement (j’avais écrit « et pas juste », mais déjà platement utilisé, alors bon) pour le confort de l’auditeur rassuré de retrouver un tube de LvB après ce qui pourra être pour beaucoup d’entre nous des découvertes.
Parfait pour donner envie de découvrir le deuxième disque !