Corinne Kloska, « Sous le signe de Bach » le disque, Soupir éditions, 2018

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Ce disque, révérence parler, vaut d’abord pour le piano qu’il met en ondes, un sublime Fazioli avec des graves à tomber et une mécanique de précision qui permet à l’artiste de jouer, parfois simultanément, du halo (pédale de sustain), du legato et du détaché (fugue BWV 543). C’est ensuite un enregistrement soigné et signé par le patron du label, Joël Perrot, qui parvient à saisir des atmosphères variées, des intensités contrastées et des instants vivants à la juste distance (y compris pour la respiration de l’artiste, point trop envahissante). Enfin, ce disque, c’est un projet singulier porté par Corinne Kloska : évoquer le Johann Sebastian Bach pour orchestre et voix, pour orgue ou pour violon à l’aide du piano et des transcriptions d’Éliane Richepin, de Ferrucio Busoni, de Franz Liszt et d’Alexandre Siloti.
Nous avions cru sentir l’artiste un peu en dedans lors du récital fêtant la parution du disque. Certes pas une question de talent ni de niveau : peut-être un problème d’adaptation au Blüthner local… ou de travail spécifique, six mois après l’enregistrement. Le disque lui rend mieux justice. Sur un programme constellé de tubes et de difficultés techniques, Corinne Kloska a la vigueur de caractériser chaque pièce avec une efficacité plus convaincante que lors de son concert à l’institut Goethe. Au titre du goût personnel, tel ou tel critique égocentré pourra certes regretter un usage toujours abondant de la pédale de sustain ; néanmoins, force est de reconnaître que, cette fois, la résonance ne sonne pas comme une béquille mais comme un choix stylistique. Elle permet à l’artiste de créer une atmosphère dans laquelle son habileté digitale dessine les entrelacements des voix, les variations d’énergie et les glissements de frissons. Partout, l’on retrouve ce souci quasi pédagogique pointé tantôt de faire comprendre la musique (fugue de Franck) et de la donner à goûter sans pathos ajouté (BWV 508). Point d’excès de subtilité, point de sensationnalisme ou de surjeu : sur son piano de luxe, Corinne Kloska parcourt des œuvres redoutables avec l’exigence de l’honnêteté et la confiance dans la musique bien écrite qui suggère à l’interprète de ne pas prendre une place qui n’est pas la sienne, par exemple en abusant de ritendi ou de sforzendi en plastique. Cela peut, çà et là, donner une certaine impression de brutalité ; s’en tenir à cette intuition pataude conduirait à confondre puissance et indifférence, aisance et automatisme, précision et sécheresse. En vérité, Corinne Kloska n’assène pas ces remixes de Bach ou sa version du triptyque pianistique de Franck : elle les joue avec la sérénité de l’évidence.
En conclusion, un disque franc, sans maniérisme ; un programme original dans la galaxie Bach ; une artiste sans afféterie : bref, une découverte qui en appelle d’autres.