Corinne Kloska joue Brahms et Schumann (Soupir) – 2/2

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Première du disque

 

Voilà un regret récurrent qu’inspirent les livrets de disque. Souvent, les auteurs y font étalage d’une science – plus ou moins scientifique, et il n’est pas toujours certain que le plus soit le mieux – des œuvres jouées mais oublient l’essentiel :

  • l’articulation entre les différentes pièces,
  • la cohérence du choix,
  • la logique du florilège.

La raison d’être de l’attelage Brahms-Schumann n’est pas mentionnée par Christine Mennesson, peut-être pour laisser

  • l’imagination,
  • la raison ou
  • la sapience

de l’auditeur vaguer à sa guise. Après avoir admis que, pour le non-spécialiste que nous sommes, l’interprétation, après un Brahms de 1892, d’un Schumann de 1839 aurait mérité un petit mot pour jointoyer l’affaire, et faute d’une logique ou d’une sagesse suffisamment développée, remettons-nous-en à notre imagination pour postuler que l’interprète s’est proposé d’associer deux ensembles

  • versatiles,
  • fantasques,
  • imprévisibles,

et enregistrés – à dix-huit mois d’écart – chacun en à peine un jour de studio, sous les micros de Joël Perrot. La grande humoresque, aka Humoreske op. 20, s’annonce dans une interprétation posée : généralement claquée en vingt-six minutes, elle frisouille présentement les trente et une. Le passage à jouer « einfach » (simplement) associe

  • délicatesse de toucher,
  • élégance des modulations et
  • justesse de l’indispensable agogique.

Le passage « sehr rasch und leicht » (fort prompt et lumineux) joue la complémentarité entre

  • légèreté,
  • legato et
  • percussivité perlée de certaines attaques.

Le segment « noch rascher » (encore plus vite) se goberge de

  • contrastes,
  • ruptures,
  • modulations et
  • balancements

que les nuances embellissent avant que le motif précédent ne ressurgisse. La forme ABCBA finit de se déployer avec le bref retour du premier segment qui clôt le premier des cinq mouvements. Le deuxième mouvement s’ouvre « hastig » (vite) et sur trois portées, le thème apparaissant au ténor. Avec l’intensité qui la pousse à geindre en jouant, Corinne Kloska privilégie

  • l’énergie plutôt que le charmant,
  • le direct plutôt que le mignon,
  • le texte plutôt que la surinterprétation,

ce qui est loin d’être, en soi, un défaut. Le segment suivant se présente « nach und nach immer lebhafter und stärker » (de plus en plus vite et fort). Le la mineur succède au ré mineur.

  • L’efficacité des rythmes pointés,
  • l’effacement de la pulsation,
  • la suspension des arpèges justement pédalisés

emballent puis interrogent la narration avant le retour du premier motif, forme ABA oblige. Un bref adagio méditatif ouvre la voie au troisième mouvement, qui commence, en sol mineur, par une partie à jouer « einfach und zart » (simplement et tendrement). La pianiste y fait sonner

  • la liberté des retards distendant la métrique,
  • son inclination pour l’hésitation pimentant le discours, et
  • la puissance fructueuse de la répétition imaginative.

Surgit un intermezzo

  • prompt,
  • motorique et
  • strict

à souhait avant que la forme ABA ne nous ramène à de proches souvenirs. Direction le quatrième mouvement et sa première partie à exécuter « innig » (profondément). De fait, Corinne Kloska en propose une interprétation pénétrée qui n’oublie pas de sautiller, ponctuellement ou quand l’action s’accélère.

  • Les oscillations,
  • les ruptures et, ce nonobstant,
  • la continuité mélodique

sonnent très justes. Le segment « sehr lebhaft » (très vivant) rue contre cette paix éphémère. La pianiste en donne une interprétation échevelée non par la vitesse mais par l’audace

  • des accents,
  • des arythmies et
  • de la liberté de mesure

qui séduisent et attisent l’écoute.

  • La multiplicité des touchers,
  • la pertinence des respirations et
  • le contraste avec le dernier pan « strict »

convainquent également. La partie « mit einigem Pomp » (avec faste) fascine par ses modulations

  • martiales,
  • improbables et
  • fragmentées.

Le dernier mouvement, « zum beschluss » (décidé, si j’ai à peu près compris, étant – on s’en est peut-être aperçu – autant germanophone que Nelson Monfort est polyglotte, tout au plus en moins bien payé que cet immondice) commence néanmoins par un prélude indécis dont l’interprète suit avec attention les circonvolutions, approfondies par des adagios quasi rubato. Corinne Kloska tresse ce fil en quête de trame.

  • Ritendi,
  • silences et
  • élargissement de la mesure

contribuent à l’épaississement du mystère, habilement porté par la musicienne. L’allegro final et son chromatisme descendant ne dissipent pas cette chape d’énigme qui

  • habite,
  • agite et
  • fait palpiter

cette œuvre secouée et fascinante. Celle-ci ne trouve pas dans ce disque sa plus prompte exécution mais certainement une version

  • intériorisée,
  • sûre et
  • vibrante

faisant peut-être écho aux humeurs capricieuses dont Brahms rassasiait ses auditeurs dans les Fantaisies ouvrant le disque. (De l’importance de l’imagination pour entretenir l’illusion de comprendre les non-dits…)


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