Corinne Kloska joue Brahms et Schumann (Soupir) – 1/2

admin

Première du disque

 

Le nouveau disque de Corinne Kloska, en deux parties, s’ouvre sur les sept Fantasien op. 116, composées et éditées en 1892. Elles comprennent trois caprices et quatre intermèdes.
Le premier caprice, un presto energico en 3/8 et ré mineur, va à la fois tout droit et de guingois.

  • Contretemps,
  • triolets de doubles croches,
  • sursauts d’intensité

sont rendus sans faseyer par la pianiste.

  • Énergie,
  • aisance dans le phrasé des octaves,
  • justesse de la trilogie ritendiaccelerandia tempo

séduisent, même si le Fazioli réglé par Jean-Michel Daudon et capté par Joël Perrot nous parvient plus plat que rond, sans doute pour privilégier la netteté des contours au détriment du confort d’écoute. Le premier intermezzo commence par un andante en la et 3/4. Corinne Kloska en rend

  • l’oscillation,
  • l’hésitation et
  • le désir de suspension.

Surgit alors un « non troppo presto » en 3/8 où la verticalité du premier segment est remplacée par une ondulation aux clapotis forcément irréguliers. En émerge le ronronnement de l’artiste en plein effort émotionnel. Bah, un peu de vie derrière la performance, comment diable s’en offusquer – sinon, écouter les œuvres de Conlon Nancarrow, au demeurant souvent passionnantes ? Le retour de l’andante en 3/4 s’accompagne de la tentation

  • du mode majeur,
  • du double ternaire (trois temps + triolets à la main gauche) et
  • d’un lyrisme toujours fragmenté, presque répétitif, donc incapable de se développer.

Ce sont ces suspensions que met fort bien en ondes l’interprète. Le deuxième caprice, un allegro passionato en sol mineur et deux temps, est secoué par

  • de féroces unissons octaviés,
  • des chromatismes solides et
  • des modulations de tempo

qui, ensemble, construisent l’intensité de cette partie. Un passage « un poco meno allegro » en Mi bémol frictionne

  • le binaire contre le ternaire,
  • le calme contre la tension, ainsi que
  • l’impression d’un danger d’explosion et le souci de se contenir.

En restreignant la palette des nuances autour du forte, comme on resserre les dimensions d’un ring pour intensifier le combat, et en s’astreignant à une pédalisation assez généreuse pour réverbérer mais assez acérée pour éviter d’envelopper le discours dans une confusion brouhahatique de mauvais aloi, Corinne Kloska rend les paradoxes et complémentarités de la miniature avant que le retour de la partie A ne prétende conclure une lutte intestine en réalité insoluble.
Le deuxième intermezzo est un adagio en 3/4 et Mi. Il offre à l’auditeur

  • un double ternaire revigorant (3 temps + triolets),
  • une stimulante association entre binaire et ternaire, et
  • une incertitude rythmique que, sous les doigts de la musicienne, l’exigence d’expressivité, stipulée sur la partition, renforce sans surcharger.

La seconde partie surgit quand on aurait pu penser que l’intermède avait pris fin. Ainsi, une idée de l’énergie vitale persistante, révoltée, inarrêtable fût-ce de façon éphémère, sourd de cette étrange miniature dont la pianiste rend le mystère, notamment grâce

  • à son legato soyeux,
  • à son attention précieuse aux phrasés et
  • à sa capacité à penser le son (attaque, durée, résonance) plutôt que la rigueur chronométrique sans pour autant sombrer dans le relâchement.

Le troisième intermezzo est un « andante con grazia ed intimissimo sentimento » en 6/8 et mi mineur. D’énigmatiques deux-en-deux enjambant la mesure et faisant frissonner l’harmonie ouvrent le bal. Sans chercher à euphémiser l’originalité de la pièce, Corinne Kloska semble veiller singulièrement sur

  • l’articulation des phrases,
  • l’étagement des dissonances et
  • l’emboîtement des nuances.

On goûte la différenciation

  • des registres,
  • des touchers et
  • des accents

qui titille l’imagination et la curiosité de l’auditeur. Le quatrième intermezzo, en 3/4 et Mi, travaille lui aussi le rythme en subsumant la mesure à trois temps pour privilégier des séquences de six noires commençant sur le troisième temps. À cette instabilité rythmique s’ajoutent d’autres instabilités :

  • de tempo,
  • de tonalité et même
  • de mode, à en croire la partie centrale, doublement ternaire.

L’interprète tâche d’en rendre les charmes polymorphes en soignant

  • les nuances,
  • l’agogique et
  • la pédalisation.

Loin d’une interprétation onirisante, elle préfère une franchise à la fois pensée et volontiers directe. Cette absence de concession, en écho à la matité de la prise de son, se retrouve dans le dernier capriccio, un allegro agitato en ré mineur et deux temps. En témoignent

  • la tonicité sans fard,
  • l’efficience des attaques et
  • l’engagement personnel qu’extériorisent les grognements.

Les changements

  • de mesure,
  • de tonalité et
  • de couleur

donnent du relief et du grain à une proposition fantaisiste moins au sens de facétieux ou d’aérien qu’au sens de ductile et imprévisible. Si l’on peut, selon les moments,

  • apprécier telle option puis se laisser surprendre par telle autre,
  • rêver ici d’une vivacité plus franche ou d’une tendresse plus smooth,
  • fantasmer un abandon émouvant au lieu d’une exigence de précision,

la radicalité des choix et la souplesse esquissée dans cette première partie augurent d’une connexion prometteuse avec la Grande Humoresque op. 20 de Robert Schumann, qui fera l’objet d’une prochaine notule.

 

À suivre !


Pour découvrir d’autres chroniques sur Corinne Kloska c’est ici et .