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C’est un disque carrément pas fait pour nous. Il célèbre le répertoire calviniste fomenté contre « les chansons deshonnêtes et impudiques », stipule la luthiste Christine Frantzen. Or, nous, notre came, c’est plutôt les chansons deshonnêtes et impudiques. Par chance, ces gens purs et les souillons de notre acabit partagent une même foi : la musique est « propre à émouvoir les cœurs ». Afin de renforcer cette émotion, les prot’ eurent même une idée hautement pernicieuse – afin de répandre la traduction du psautier, ils en proposèrent une exécution « bien convenable aux instruments » afin de « s’esjouir en Dieu, particulièrement ès maisons ». Le contenu du disque ici évoqué, quoique intitulé saintement Le Psautier de Genève, jamais ne fut interprété de la sorte à l’époque dans quelque temple ou église – et, s’il ne rassemble que quelques psaumes, contrairement à son intitulé maladroit car autrement plus ambitieux, il a aussi l’art du pas de côté ou de l’ouverture qui lui fait intégrer un non-psaume pour luth seul… même si la mélodie introduit au psaume 137. N’empêche, posons la question : p
ourquoi, aujourd’hui, écouter cet enregistrement très sainement capté il y a près de trente-deux ans à l’auditoire Calvin de Genève et d’abord réédité il y a huit ans ?

  • D’abord parce que la musique proposée a beau se prétendre accessible à l’exécution populaire, elle est magnifique – tantôt subtile, tantôt articulée autour d’harmonies savantes mais simples, tantôt rugueuse pour faire écho à son propos. Toute la splendeur – ou presque – de la musique du seizième siècle brille au long de ces quinze titres.
  • Ensuite parce que la diversité des pièces est soigneusement agencée : variété des compositeurs (Claude Goudimel, Loys Bourgeois, Paschal de l’Estocart, Adrian Leroy, Pierre Certon, Jan Pieterszoon Sweelinck, Jacob van Eyck et Nicolas Vallet), des formations (chœur a capella, cinq chanteurs et ensemble, haute-contre et luth, flûte seule, etc.), des durées (entre 1’30 et 6’), des styles (quoi que toutes les pièces se réfèrent à un psaume spécifique), et parfois variété interne comme en témoigne le psaume 33 convoquant douze artistes sans les concaténer.
  • Enfin, parce que l’exécution tant vocale (l’ensemble Clément Janequin) qu’instrumentale (le Centre de musique ancienne de Genève et Les Éléments) est d’un soin qui subsume toute crainte du type « n’aurais-je point mieux à faire qu’ouïr une musique du passé se référant à des codes qui, grandement, me sont étrangers ? ».

Le Grand Prince, assistant critique sur « Mon Dieu, c’est mon berger ». Photo : Bertrand Ferrier.

Surtout, le propos protestant, excluant hélas ici toute voix féminine, valorise moins le côté clivant de l’affaire que le désarroi sourdant de ces poèmes sans cesse réécrits depuis leur origine mythique placée dans ce salopard de David, comme par hasard soutenu par Dieu. Dans ce corpus, l’homme cherche sans cesse de l’aide, vu que le monde est souvent, malgré que l’on en ait, « ainsi qu’un lion devorant / Sans que nul me soit secourant ». La parole signifiante peut être portée par un ensemble de possibles proprement passionnant :

  • par les voix, comme nous l’offre ce chœur à quatre du psaume 37, semblant porter une espérance humaine forte, équilibrée et universelle, pour nous promettre que, si les « meschans » prospèrent en cette vie, ils « seront fauchez comme foin en peu d’heure », tu entends-tu bien ça, Pharaon de la Pensée Complexe ;
  • par les reprises instrumentales – ainsi du luth très expressif dans le psaume 50 ;
  • par le recours à des instrumentaria que coutume d’entendre point n’avons – ainsi du De profundis à quatre violes et un luth, où les cordes semblent vraiment extraire des abysses le cri de nos gorges ;
  • par le décalage entre le texte proféré par les différentes parties, comme dans l’impressionnant premier psaume musiqué par Sweelinck, qui souligne, grâce à l’étalement et l’interpolation du texte, le tiraillement entre les aléas de la vie humaine (le « conseil des malins », les avanies « des moqueurs », l’arrestation provoquée par le « trac des pecheurs »…) et la grandeur ferme de celui qui « nuict & jour la Loy contemple et prise » (comparez, piste 10, l’incipit avec, à 4’18, le moment de « L’Eternelles justes », solennel et presque fanfarique, ça ne veut rien dire mais on entraperçoit l’idée) ;
  • par le contraste entre le psaume et l’interprétation : ainsi du long psaume 133 composé par van Eyck pour flûte à bec seule… alors que le psaume, en version contemporaine, chante « qu’il est bon, qu’il est doux, pour des frères, d’habiter ensemble ! » (bien entendu, aucun organiste, vivant parmi des confrères toujours bienveillants, ne s’amusera de ce que soit confié à l’orgue seul le psaume 140, où l’on demande à l’Éternel de nous garantir des « mains des méchants » qui, « aiguisant leur langue comme un serpent » et massant « sous leurs lèvres un venin d’aspic », « méditent de me faire tomber », voyons) ;
  • par les syncopes swingantes du psaume 118 qui, après un unisson triomphal, rappellent que les « louange & gloire » de Dieu ne sont pas réductibles à des temps fixes mais, à l’instar de sa « bonté notoire » et de sa « grande misericorde », durent, nous promet-on, « perpetuellement ». Certains ont payé cher pour voir, mais bon.

En conclusion, les unissons sont impressionnants ; voix et instruments ne cherchent jamais à faire les beaux ; le spectre musical ici proposé souligne la richesse de ce répertoire. De plus, par contraste avec la vulgarité et la médiocrité asséchante qui gouvernent la musique liturgique chrétienne actuelle, ce disque souligne combien le beau peut faire dresser l’oreille à la Parole que l’on souhaite communiquer… pour peu que des musiciens exceptionnels, portés par un enregistrement à la hauteur de ce riche projet, en soient les agents. On regrette d’autant plus que pas de traduction des psaumes (on va pas se mentir, « L’Eternel, di-ie un iour enroulera / Un chacun peuple », c’est pas clair, clair) et que pas de texte pour les psaumes non chantés, alors que la musique se réfère à un texte qu’il n’eût point coûté bien cher d’insérer. Toutefois, l’on applaudit cette réédition qui n’est certes pas réservée aux passéistes, aux prot’ ou aux passionnés de vielle à roue : c’est beau, c’est varié, c’est riche, et c’est porteur tant de sens que d’Histoire. Même si la première de couv’ n’est peut-être pas hyper design, on a connu contenu moins enthousiasmant !