Catherine Ribeiro by Jann Halexander #04

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Sébastyén Defiolle, le 5 novembre 2022 lors du spectacle « Juste Catherine Ribeiro » au théâtre du Gouvernail (Paris 19). Photo : Rozenn Douerin.

 

À l’occasion de la première du concert “Juste Catherine Ribeiro”, nous avons posé à Jann Halexander quelques rafales de questions. Voici la quatrième salve, articulée autour de la chanson “Soleil”.


On ne va pas trop en dire pour ne pas spoiler, sans apostrophe, mais « Soleil », qui conclut l’album Tapages nocturnes (1986), arrive à un moment de bascule du spectacle. En effet, après une partie intimiste, ce titre envoie du bois et assume la diversité du répertoire de Catherine Ribeiro, à la fois intérieur, engagé, mystérieux et, parfois, pêchu. Est-ce aussi ta vision d’une certaine chanson « à texte » qui n’oublie pas qu’elle est aussi chanson « à musique » et « à spectacle », et donc que, aux moments-clefs, il faut envoyer du lourd pour faire plaisir et se faire plaisir ?
Oui, il faut envoyer du lourd pour faire plaisir, mais pas seulement avec du lourd – j’ai toujours l’obsession de proposer un spectacle complet. Il y a très longtemps, j’ai eu l’occasion de voir Jean Guidoni sur scène, il était entouré de danseurs. J’ai aussi vu Mylène Farmer à La Défense Arena, et, après un tableau très chorégraphié, elle s’est retrouvée uniquement avec un pianiste… puis les danseurs sont revenus pour « Désenchantée ». Je me souviens aussi de représentations du cirque Pinder, et j’avais été frappé par la variété des numéros proposés. En clair, je n’aime pas m’ennuyer et j’aime le spectacle vivant dans sa diversité. Ce n’est pas un hasard si on retrouve cette pluralité chez Catherine ! Comme elle, je veux ressusciter sur scène et dans la salle des émotions de la vie ; comme elle, je ne veux pas que ces émotions soient pareilles aux émotions de la vie. Les spectateurs ne viennent pas chercher une imitation de la vie, ils viennent chercher des émotions, nuance.

Quelle est, dans tes spectacles, la plus-value de la scène par rapport aux émotions de la vie ?
Le concentré. Le fait que je tienne à proposer un kaléidoscope de sensations pour que ceux qui viennent en prennent plein la vue, les oreilles et le cœur, donc repartent heureux. Nous autres artistes n’avons peut-être pas assez conscience de ce que signifie, concrètement et symboliquement, pour un spectateur, l’acte qui consiste à venir au spectacle. C’est un moment en suspens. Un moment vivant et un moment que je qualifierais comme « un peu plus que la vie ».

Tu as souvent revendiqué ton aspiration artistique à la transcendance…
C’est vrai. Même si j’ai conscience que certains trouvent ça too much, je crois que le spectacle offre une forme de transcendance. Tant pis si ça choque ! Pour moi, la poésie et la chanson sont très puissants.

Tu as eu l’occasion de tourner « Soleil » sur scène par le passé. Avais-tu déjà en tête le spectacle, ou était-ce un signe avant-coureur d’une envie de faire un spectacle autour du répertoire de Catherine Ribeiro, même si tu ne te le formulais pas encore ainsi ?
Pour être honnête, j’avais déjà en tête le spectacle Ribeiro quand je tournais le spectacle Consolatio. J’avais conscience que ma tournée était un cycle. Je ne comptais pas l’étirer sur deux ans. Il correspondait à une période – celle de l’après-confinement, des années Covid, avec pass sanitaire et vaccinal, une certaine atmosphère… J’en ai déduit que, si je voulais continuer à donner des spectacles à la rentrée, je devais trouver autre chose.

Tu aurais pu offrir au public un florilège en version piano-voix, par exemple…
Oui, mais non. Je ne voulais pas reprendre cette formule, avec Jann Halexander qui enchaîne ses chansons… Je voulais me surprendre et surprendre les fans. Comme toujours. C’est ça qui me motive à monter sur une scène, à inventer des projets musicaux. Donc, quand j’ai chanté ponctuellement « Folle Amérique » et « Soleil » pendant le Consolatio Tour, je savais que ces titres seraient dans le prochain spectacle !

 

 

Le « Soleil » qui illumine ton spectacle n’est pas seulement celui de Catherine Ribeiro. Il est latinisé, décalé, halexandérisé. Les sots crieront au sacrilège, ça les occupera ; toi, tu assumes cette mutation pour trois raisons :

  • un, tu vas pas copier l’original, on l’a dit ;
  • deux, l’artiste t’en a donné licence ; et
  • trois, tu as sollicité pour ta part ses volontaires pour qu’ils chantent du Jann Halexander à leur façon, aussi bien pour Ils et elles chantent Jann Halexander que pour « Rester par habitude ».

Comment vis-tu ces transformations, parfois radicales ?
Je les vis en liberté. Même si Catherine ne m’avait pas autorisé à m’approprier ses chansons, je me les serais appropriées car ses titres existent et sont à la disposition de qui veut les saisir. Aucune chanson n’appartient à son interprète. Pour « Soleil » spécifiquement, vu le titre, j’aurais eu peine à ne pas en proposer une sorte de version latine, tropicale, équatoriale. Non, en réalité, je n’aurais pas pu passer à côté de cette recolorisation !

Et quand d’autres chanteurs reprennent tes chansons…
C’est exactement pareil. Mes chansons ne m’appartiennent plus. Elles appartiennent à l’humanité. Les gens en font ce qui leur plaît. Vraiment. En 2016, les Tontons rigolos ont remixé « Papa, Mum », et c’était très, très réussi. Même quand le résultat s’éloigne beaucoup de l’original, aucun souci, au contraire. Je trouve ces propositions plutôt flatteuses !

Finalement, « Soleil » semble rappeler qu’une chanson, ce n’est pas que des paroles et une musique : c’est aussi une interprétation et, sur scène, l’inscription dans un spectacle. Autrement dit, à l’art s’associe l’artisanat. Souvent, parler d’artisanat paraît réduire la chanson et le fait de chanter à des « trucs » ou astuces. Ça va pourtant bien au-delà de ça car art et artisanat se mêlent, par exemple quand tu te laisses emporter par une direction un peu prévue mais pas trop, quand tu te dis « Tiens, ce soir, y avait une bonne idée après le riff, faudrait creuser ça avant la prochaine date pour en faire vraiment quelque chose », bref, quand tu es à la fois dans la chanson, dans l’instant et dans le partage avec le public dont les réactions ou la présence silencieuse peuvent aussi influer sur ton interprétation. J’imagine que c’est une réflexion que tu as menée – pas que sur « Soleil » ! – après la première de Juste Catherine Ribeiro
L’attitude du public, l’atmosphère générale, l’état dans lequel je suis avant et après une représentation, l’état dans lequel je trouve les musiciens, tout cela joue sur la qualité du spectacle et de l’interprétation. Il est certain que ces variables changent d’une soirée à l’autre. Il ne faut jamais que ça se ressemble. Sinon, ce serait atroce ou, a minima, répétitif. Ça, je n’en veux pas. Je veux jouer plusieurs fois de façon rapprochée sans m’embourber dans le copié-collé !

Comment fais-tu pour éviter de te répéter tout en te répétant ?
Eh bien, une chanson, comme tu l’as dit, ce n’est pas que des paroles et de la musique. C’est une voix qui porte une émotion. C’est organique. Biologique. Viscéral. La chanson, ça sort d’un corps, au sens physique. C’est pour ça que mes collègues chanteurs – même les chanteurs d’opéra – et moi, nous suscitons la peur autant que l’admiration. Nous exprimons par notre corps des émotions que beaucoup de gens ressentent mais n’osent pas assumer. Un chanteur, c’est quelqu’un qui ose.

Alors voyons en musique en quoi consistent ces racines de Catherine Ribeiro et Anne Sylvestre by Jann Halexander, le chanteur qui ose…