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Claudio Zaretti, guitariste rythmique du spectacle « Juste Catherine Ribeiro », le 5 novembre 2022 au théâtre du Gouvernail (Paris 19). Photo : Rozenn Douerin.

 

À l’occasion de la première du concert “Juste Catherine Ribeiro”, nous avons posé à Jann Halexander quelques rafales de questions. Voici la deuxième salve, articulée autour de la chanson « La vie en bref ».


Nous avons commencé par découvrir ton spectacle « Juste Catherine Ribeiro » avec une chanson d’amour de structure assez complexe et néanmoins placée en ouverture du récital. Voici, aujourd’hui, « La vie en bref », une chanson qui ressemble vraiment à une chanson, ce qui n’est pas toujours le cas dans le répertoire de Catherine Ribeiro. D’ailleurs, l’album La Déboussole, dont il est extrait, a été critiqué en 1980 parce qu’il contenait plus de titres jugés « formatés » qu’à l’accoutumée ! Avant la polémique, commençons par le texte : comment Catherine Ribeiro y résume-t-elle la vie, et comment son florilège résonne-t-il avec ton propre ressenti ?
Déjà, oui, ça résonne avec mon ressenti car j’aime bien quand un artiste résume un peu sa vie dans une chanson. Je pense à « Autoportrait » de Marcel Mouloudji, où il se livre complètement. C’est magistral.

Tu t’es essayé à l’exercice, toi aussi, avec « Le Mulâtre ».
Oui. D’ailleurs, dans mon répertoire, c’est une chanson particulière puisqu’elle existe aussi bien en version chantée qu’en version parlée ; et je trouve ça sain d’avoir une chanson qui est une carte d’identité.

 

 

En évoquant une chanson qui peut aussi être présentée sans musique (on sait que, au moment où nous nous parlons, Richard Gotainer dit ses textes de chansons au Lucernaire…), tu reviens sur la question que je te posais : qu’est-ce qu’une chanson ?
C’est vrai qu’on imagine un enchaînement couplet / refrain de 3’30 ; et c’est exact que « La vie en bref » ressemble plus à cet archétype que d’autres titres de Catherine. Pour autant, ça reste du pur Ribeiro condensé en 3’30 à peine. Tout y est. Sa voix, son écriture et son dynamisme sont signés.

En effet, même si la structure est simple, le texte reste poétique, on n’est pas dans le factuel ! De même, côté musique, en apparence, tout roule : sur les paroles se greffe la musique de Francis Campello… mais c’est pas si simple non plus ! Sous ses airs enjoués, la structure de la chanson est originale : deux couplets, un refrain, un pont, un élément exogène… Cet élément exogène, c’est toi qui l’as greffé. Explique-nous ce dont il s’agit.
C’est d’abord une question de principe. Je n’aime pas les hommages stricto sensu. Je ne vois pas l’intérêt de respecter à la lettre ou à la note près ce qu’un artiste a déjà fait. Quand je chante un collègue, j’y apporte forcément ma touche. Sinon, ça ne m’intéresse pas. J’essaye de faire la même chose sans faire la même chose. Catherine est complètement d’accord là-dessus. Manifestement, ses fans aussi.

Tu as eu contact avec un fan-club ?
Des admirateurs de Catherine sont venus voir la première. Ils ont aimé. Ils me l’ont dit. Certains me l’ont écrit. D’autres, qui ne connaissaient pas Jann Halexander, veulent venir lors des prochaines dates, cela fait très plaisir. Et ça tombe bien car « La vie en bref » est une chanson dont l’atmosphère est festive. C’est pas une chanson qui dit que la vie est brève ! C’est pas une chanson de désespoir, sombre ou noire. Ce que dit « La vie en bref », c’est que, quoi qu’il se passe, la vie continue. La musique de Francis Campello s’accorde avec ce projet. Il y a quelque chose de très punchy. Donc ça me fait penser à de la pop brésilienne de la fin des années 1970, début 1980. Je verrais bien ça chanté en portugais. Alors, j’ai voulu donner une forme de tonalité tropicale pour cette chanson-là.

C’est aussi une marque d’halexandérisation de Catherine Ribeiro : elle est d’origine portugaise, tu es natif d’un pays tropical, tu mélanges les deux !
Le Gabon est un pays d’Afrique équatoriale, en effet. Peut-être est-ce ce qui m’a pour partie aidé à être sensible à la chanteuse brésilienne Elis Regina.

Une star brésilienne morte à trente-six ans d’une OD de cocaïne (entre autres), en 1982…
Surtout, une artiste qui avait son propre répertoire auquel elle mêlait celui d’autres artistes, notamment lors de gigantesques shows à la télévision brésilienne. Je me souviens en particulier d’une séquence où elle reprend « María María », une chanson écrite par Fernando Brant, Milton Nascimento et Soledad Bravo, que Mercedes Sosa a popularisée en 1983 ; et elle la transforme en sorte de musical tropical. J’ai voulu m’inspirer de ça. L’occasion était trop belle pour passer à côté, dans « La vie en bref » !

 

 

« María María » est un bon exemple de chanson qui paraît simple alors que sa structure ne l’est pas tant que ça ! Toi-même, en tant qu’ACI, tu n’écris pas que des chansons couplet / refrain. À mon sens, ça n’aurait rien de passéiste ou de vergogneux ; néanmoins, il faut croire que ce ne serait pas toi. En lieu et place, tu accordes beaucoup de place à l’instrumental et au texte parlé-improvisé, par exemple. Les multiples formes de chansons investies par Catherine Ribeiro te permettent-elles aussi de prouver au public qu’une structure « pas si simple » n’est pas forcément une structure compliquée, dans la mesure où la verve, l’énergie, l’inattendu et la poésie sont de bons compagnons pour un tour de chant ?
Pour ma part, je ne pense pas que je serais capable de donner un récital uniquement sur une base couplet / refrain. Je deviendrais fou ! Le show doit être complet. Le chanté, le parlé, le poétique, l’instrumental doivent se mêler ; et si on peut ajouter de la danse, on en ajoute ! et si on peut ajouter un magicien, on ajoute un magicien ! et si on peut faire des effets de lumière spectaculaires, on les fait !

Tu te revendiques d’ailleurs de la « chanson cabaret », pas de la chanson…
Oh, à une certaine époque, j’ai aligné des chansons couplet / refrain, notamment à mes débuts, mais je trouvais ça contraignant. Alors j’ai sollicité des invités qui venaient réciter des poèmes ou chanter en duo avec moi. J’ai ajouté des instrumentaux. C’est vraiment important pour moi ; et c’est aussi en cela que je me retrouve complètement dans Catherine Ribeiro et Alpes. Il y a un live de 1973 où ils intègrent de très larges plages musicales, et c’est tout simplement magnifique.

 

 

Si on joue au jeu de la vie en bref, on trouve des similitudes entre la tienne et celle de Catherine Ribeiro. Ainsi, même si elle est née en France pendant la guerre, elle revendiquait être « une Portos ». Chez elle comme chez toi, revient souvent cette question de l’appartenance, du lieu d’où l’on est, où l’on vit, d’où l’on parle. Est-ce aussi dans cette question des origines – tant humaines que géographiques et artistiques – que se joue, toutes proportions gardées, une partie de la connexion qui te lie à cette artiste ?
Toutes proportions gardées, oui. Clairement, oui. En fait, oui. Vraiment oui. Catherine est à la fois complètement française et complètement d’origine portugaise. Elle le dit. Elle y fait allusion. Elle cite son patronyme et son matronyme dans un de ses textes. Moi, comme elle, je fais partie des chanteurs-monde. Notre rapport au monde nous rapproche, et il nous distingue de chanteurs plus hexagonaux, pour ainsi dire. Cependant, je voudrais apporter une précision importante. Si je me sens en connexion avec Catherine et à l’aise pour la chanter, c’est pour une raison que « La vie en bref » représente bien, à l’instar du « Mulâtre » : je vois Catherine comme une collègue. Je ne l’envisage pas comme une figure tutélaire ou comme la mère que je n’aurais jamais eue. Non, non et non : c’est une collègue qui a plusieurs décennies d’avance sur moi et d’autres types d’expérience en tant qu’artiste. C’est une collègue qui, comme moi, fait partie du show-biz. Je tiens à le dire.

Votre autre point commun, sur le plan du chobizzz, c’est que, aujourd’hui, vous êtes à la marge…
Peut-être. Peut-être parce que nous l’avons voulu. Peut-être parce qu’on nous y a mis. Mais tant pis ou tant mieux, peu importe : nous continuons. C’est ça, « La vie en bref ». La vie qui s’écoule. Qui continue. Catherine chante ça en 1979, et elle continue de chanter après. Dans « Le Mulâtre », je parle de ma mort. C’était en 2006, et je suis encore là. Donc, oui, Catherine et moi faisons partie du show-biz. Nous avons publié des disques. Elle a fait de petites salles et de très grandes salles. J’ai chanté dans de tout petits lieux et dans de très beaux théâtres. Nous sommes cités dans des ouvrages. Des milliers de gens nous connaissent. Elle a été une superstar.

Elle raconte même avoir refusé de chanter quinze jours à l’Olympia parce qu’elle trouvait que c’était trop…
Nous avons des attitudes qui nous rapprochent, et nous faisons pleinement partie du show-biz. Peu importe que nous soyons à la marge.

 

 

Vous n’êtes pas beaucoup à avoir repris le répertoire de Catherine Ribeiro…
Oui, c’est un étonnement. Qu’aussi peu d’artistes s’y soient risqués, même de façon ponctuelle, ça me sidère. Sofia Portanet a repris « Racines » ; Vincent Dupas a repris « Jusqu’à ce que la force de t’aimer me manque » ; j’arrive. Avec un spectacle entier. Je suis dans la place. Il faut compter avec moi. Je n’ai pas peur de le dire. Tant pis pour les esprits chagrins et leurs frères les esprits chafouins. Beaucoup de gens m’ont dit que j’étais fou, que « reprendre du Ribeiro, c’est ambitieux ». Ben ça tombe bien : moi, je n’ai pas de problème avec l’ambition.

Alors voyons en musique en quoi consiste cette vie en bref de Catherine Ribeiro et Francis Campello by Jann Halexander…