Catherine Ribeiro by Jann Halexander #01

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Jann Halexander, le 5 novembre 2022 lors du spectacle « Juste Catherine Ribeiro » au théâtre du Gouvernail (Paris 19). Photo : Rozenn Douerin.

 

À l’occasion de la première du concert « Juste Catherine Ribeiro », nous avons posé à Jann Halexander quelques rafales de questions. Voici la salve liminaire.


Tu as tourné les chansons de ton nouveau disque, Consolatio, pendant un an. Quelques mois après la fin de la tournée, tu reprends la scène pour faire vivre le répertoire de Catherine Ribeiro après avoir rendu hommage à Paulien Julien. Qu’est-ce qui te rapproche de cette chanteuse ? Le rôle de la voix dans ta musique, par exemple ?
C’est vrai que j’ai chanté Pauline Julien entre 2018 et 2019, après avoir chanté Anne Sylvestre. À plusieurs reprises, sans jeu de mot ou presque, des spectateurs étaient venus me voir en me demandant pourquoi je ne chantais pas Catherine. Le projet m’attirait, évidemment, car la dimension vocale est très importante, pour moi. Chanter ne suffit pas, il faut oser chanter. C’est quelque chose de fondamental. S’excuser de pousser la voix ? Ça suffit. Donc reprendre les chansons de Catherine, c’est assez cohérent pour le plaisir.

Tu parles de « plaisir »…
… oui, parce que ce n’est ni un hommage, ni un exercice de style. Je reprends ces chansons parce que j’ai envie de les reprendre, de les chanter et de les partager.

Et parce que vos voix matchent, sous-entends-tu ?
En tout cas, actuellement, j’ai la capacité vocale de le faire, sans doute parce que j’ai pris des cours avec une autre Catherine, Catherine Braslavsky, qui s’est illustrée en interprétant des chants en vieux français, en latin, en grec et qui a fait un super spectacle autour de la femme, Ave Eva

Bien dans l’air de l’ère, non ?
Ce qui m’importe, c’est qu’elle m’a appris à mieux maîtriser mon souffle. Je travaille ponctuellement avec elle depuis près de quatre ans et cela a contribué à libérer ma voix. D’autant que j’ai pris conscience que je représente quelque chose pour pas mal de gens. Ç’a m’aide à me sentir plus libre d’oser faire des choix.

Tu as aussi échangé par téléphone avec Catherine Ribeiro…
Oui, et cela a évidemment contribué, aussi, à me libérer.

Catherine Ribeiro est souvent caractérisée par son engagement en faveur d’une gauche radicale – elle-même se revendique anar. On pourrait penser que cette fureur rouge vous sépare. Cependant, tu es toi aussi, malgré toi parfois et d’une manière sans doute moins flamboyante, un chanteur engagé : en faveur des droits des LGBTQIA+, ce qui t’a amené à témoigner à la télévision de ta bisexualité ; en faveur de la démocratie au Gabon, ce qui t’a a amené à chanter dans des salles de 500 spectateurs avec la diaspora gabonaise dont la pétillante Tita Nzebi ; et aussi en faveur du droit à la curiosité et à la réflexion sur les extraterrestres et les OVNI… L’engagement presque hardcore de Catherine Ribeiro t’inspire-t-il, t’effraye-t-il, t’amuse-t-il, te fascine-t-il, surtout dans une société où l’on peine à trouver une juste mesure entre l’indifférence coupable et la folie meurtrière ?
Je suis engagé du simple fait de ce que je suis, mais je ne sais pas si j’ai ou je n’ai pas l’engagement hardcore de Catherine. Peut-être que j’ai une image plus policée ou plus fils à papa donc plus diplomate. Néanmoins, l’engagement de Catherine ne m’amuse pas plus qu’il ne me fait peur. Il inspire mes propres engagements. C’est pourquoi il compte pour moi. La lutte de Catherine ou d’Anne [Sylvestre] contre un certain ordre établi du show-biz dans les années 1970 m’aide à m’affirmer tel que je suis, à aborder des thèmes et à faire des choix artistiques. Ces personnes-là ont ouvert la voie.

 

 

Qu’est-ce qui t’inspire particulièrement chez Catherine Ribeiro ?
Elle a pris position en son temps sur les questions LGBT, comme dans sa chanson « Elles ». Elle a tonné contre les dictatures, notamment au Chili. Elle s’est élevée contre la situation au Cambodge. Elle avait un regard assez acide sur l’actualité.

Certains lui reprochent non pas ses audaces mais ses erreurs de jugement qu’elle n’a pas vraiment rétractées…
Catherine est une femme entière. Elle a pu se tromper. Il arrive que, lorsque nous, artistes, nous engageons, nous en faisons un peu trop, nous sommes un peu excessifs, voire nous nous fourvoyons. Mais, franchement, c’est pas très grave du moment que nous ne nous contentons pas de renvoyer une image tiède.

Tu n’as pas découvert Catherine Ribeiro à l’occasion de ce spectacle, mais tu l’as redécouverte.
J’ai beaucoup écouté et réécouté Catherine lors du confinement et des « mesures sanitaires » que j’ai, l’un et les autres, évidemment combattus, comme la politique prolongée du confinement culturel que je n’ai pas acceptée. Dans ce combat qui n’avait rien à voir, en apparence, avec les siens, sa virulence m’a beaucoup inspiré dans mes démarches d’opposition.

Et pourtant, tu as choisi de commencer ton spectacle par « Jusqu’à ce que la force de t’aimer manque », la deuxième chanson de l’album Paix (1972), une pierre angulaire dans la discographie de Catherine Ribeiro. Est-ce une façon de rappeler que la flamboyance de Catherine Ribeiro n’est pas que « la pasionaria d’ultragauche », elle est animée par une fougue amoureuse qui irrigue une grande partie de son travail… même si cette veine est souvent oubliée ?
Non, je voulais commencer par cette chanson parce que, à mon sens, cette chanson qui a un demi-siècle est l’une de ses plus belles chansons. Elle résonne énormément en moi. Chez moi, l’amour est une obsession. Aimer, être aimé… C’est quelque chose de très fort. Quelque chose qui peut nous élever ou être un fardeau. Quelque chose qui est plein d’incertitude mais qui n’est pas plus rassurant sous sa forme routinière, que j’ai chantée dans « Rester par habitude ».

Est-ce que, finalement, l’amour et l’engagement ne se rejoignent pas, l’amour étant un engagement ?
En un sens, si. Et, au fond de moi, je ne pense pas que l’amour et l’engagement politique soient incompatibles. Catherine Ribeiro a toujours mélangé les deux. À mon sens, c’est une militante de l’amour universel, envers et contre tout. Elle pensera que l’amour sauvera le monde et la sauvera, elle. Elle voudrait mourir à force de trop d’amour ! Ne voir en elle qu’une pasionaria anarchiste serait une erreur. Elle n’a jamais cherché à distinguer e sentiment et la rage politique. C’est le sentiment amoureux qui guide ses utopies politiques. Il ne faut pas laisser ses détracteurs nous laisser imaginer le contraire, parce que ça n’est pas vrai !

Ce risque d’être réduit à un engagement guette tout artiste. Toi-même, tu ne veux pas être « réservé » à ceux qui sont sensibles à ton engagement du côté des LGBTQIA+ ou du côté de l’Afrique. On peut être « non-racisé » et hétéro et kiffer te voir en concert…
Il y a toujours un risque à être réduit. Tronqué. Confiné dans une partie de ce que l’on est. Catherine est une illustration de ce malentendu. L’amour est tellement présent dans ses chansons, comment la résumer à une chanteuse engagée ? Elle parle énormément d’amour donc de mort. Si bien que mon spectacle « Juste Catherine Ribeiro » parle énormément d’amour. De l’amour en couple, de l’amour de l’humain (d’où la chanson « Racines », écrite par Catherine et composée par Anne, d’où aussi mon texte inédit « L’erreur est inhumaine »). Et je tiens à ce que l’on rappelle que l’amour est une thématique essentielle chez elle comme chez moi.

Démonstration avec « Jusqu’à ce que la force de t’aimer te manque », qui ouvrait ton spectacle Juste Catherine Ribeiro