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Première du disque

 

Andreas Pfügler a choisi six tableaux pour son exposition, tableaux qu’il a confiés à

  • Estelle Revaz en tant que commissaire principale,
  • Facundo Agudin en tant que régisseur général, et
  • l’Orchestre Musique des Lumières en tant qu’accrocheurs distingués.

Nous avons découvert les trois premiers tableaux de Pitture dans la précédente chronique ; il est temps de se diriger vers les trois derniers. Notre promenade s’arrête d’abord devant In den langen Erlen de Carl Pfügler-Gotstein, une « scène de promeneurs au manège ». Il y a donc

  • du brouhaha,
  • des flonflons,
  • des éclats,

bref, une atmosphère à la fois festive et vaguement inquiétante. Le violoncelle semble essayer de se frayer un chemin entre

  • cuivres,
  • percussions variés,
  • quelques nappes de cordes.

La partition, farouchement expressive, s’articule entre

  • crescendo,
  • fortissimo et
  • brusques silences

jusqu’à l’apaisement final, étrangeté plus que soulagement.

 

 

Les Allemands bondiront sans doute en découvrant que la promenade passe alors devant l’Insulata Dulcamara de Paul Klee, le plus grand tableau de l’artiste que le compositeur décrit comme « une vision féérique pleine d’humour ». En effet, le chef promettait un disque « consacré à des œuvres inspirées par des peintures d’artistes suisses » ; or, Paul Klee a beau être né en Suisse, il est mort allemand. Puisque Giovanni Segantini, dont nous avons écouté un tableau juste avant, était italien, disons que le projet annoncé par Facundo Agudin est mollement exact, et brisons là sur ce sujet !
Le violoncelle d’Estelle Revaz émerge d’une évocation extatique, sur un écrin de cordes rehaussé par des bois attentifs. Andreas Pflügler semble prendre plaisir à tirer sa musique hors du gouffre du silence. Nulle mollesse pour autant : la partie de violoncelle se révèle bientôt déchiquetée, hésitant entre

  • tenues,
  • brisures,
  • glissandi,
  • vigueur de l’archet,
  • doubles cordes survoltées et
  • suspensions presque apaisées.

Le discours du compositeur avance par

  • vagues successives,
  • ondulations d’intensité et
  • polymorphie mouvante,

enveloppant l’auditeur dans une matière sonore agréablement insaisissable qui se dérobe sans cesse aux certitudes et à la prévisibilité. Y font merveille

  • la maîtrise de l’écriture orchestrale,
  • l’inventivité de la partition et
  • la variété technique de la soliste.

 

 

Dernière station de l’exposition : La caduta della ballerina de Felice Filippini, « où l’imminence de la mort suscite une frénésie compulsive ».

  • Gravité du violoncelle,
  • aigu des clochettes,
  • écho donné par l’orchestre au soliste

emballent d’entrée le mouvement. Ici, tout est

  • agitation,
  • poursuite,
  • grondements,
  • vigueur.

Après un tableau fluant, Andreas Pfügler choisit de terminer son hexalogie sur une proposition spectaculaire et plus univoque, même si le récit se brise çà avant de reprendre sa cavalcade implacable. De la sorte, Pitture se conclut sur une habile synthèse des principales qualités du cycle :

  • usage riche de l’orchestre ;
  • écriture paraissant parfaitement adaptée au violoncelle en général et à la violoncelliste en particulier, avec
    • sons filés langoureux et, ici surtout, rusticité roborative des coups d’archet furibonds,
    • exploration des différents registres de l’instrument, des tréfonds aux cimes,
    • caractérisation variée des rôles solistes (sur son promontoire, dans la nasse orchestrale, en duo ou en confrontation avec tel pupitre…), et
    • astucieuse exploitation du potentiel d’une grande musicienne
      • (ébouriffante virtuosité des triples croches enragées,
      • troublante sensualité du lyrisme posé,
      • enveloppante capacité à susciter une atmosphère mystérieuse par la façon
        • d’attaquer,
        • de tenir ou
        • d’effacer une note…) ; et
  • agencement plaisant et malin
    • des crescendi,
    • des accents et
    • des contrastes,

le tout joliment coordonné par Facundo Agudin, meilleur chef que livrettiste – c’est évidemment mieux que l’inverse !

 

 

Une dernière notule sur ce disque nous permettra de boucler l’exploration des quatre Tondichtunen nach Arnold Böcklin, op. 128 de Max Reger, qui ont été disposés de part et d’autre des pièces assemblées pour Estelle Revaz et dont l’écoute a commencé ici.


Pour acheter le disque, c’est par exemple ici.