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Première du disque

 

Intitulé Cantique ou le transfert de la matière d’inspiration, le premier disque d’Estelle Revaz, paru en 2015, s’articulait autour des « œuvres inspirées par des peintures d’artistes suisses ». Cette unité n’est qu’une façade (on n’a pas bien compris en quoi Schelomo d’Ernest Bloch rentrait, même de biais, dans la boîte annoncée), mais Andreas Pflüger s’est plié à la contrainte avec Pitture, le concerto que Facundo Agudin, à la tête de l’orchestre Musique des lumières (dont le slogan est « ceci n’est pas un orchestre »), lui a commandé sur mesure pour sa protégée. Chacun de ses six mouvements s’inspire d’une toile locale.
Première toile sur la platine, La Confiture aux péchés de Louis Soutter, « un dessin sombre et énigmatique », résume le compositeur. La musique suit donc ces directions. Elle associe

  • les graves de l’orchestre,
  • la résonance des percussions et
  • la fougue d’un archet rugueux qui entraîne avec lui la phalange qui l’accompagne.

Ça grouille, ça tangue, ça jaillit. La palette

  • sonore,
  • rythmique et
  • virtuose

revendique un spectre chromatique déclinant généreusement de nombreuses nuances de sombre et de sanguin.

 

 

Porté par l’expressivité d’une Estelle Revaz enflammée, le savoir-faire d’Andreas Pflüger est évident : l’orchestre

  • évoque,
  • dialogue avec la soliste,
  • se confronte avec elle

dans un va-et-vient entre

  • défis,
  • provocations,
  • indifférences et
  • furieuse confusion.

La deuxième toile de l’exposition bénéficie d’un titre tout à fait pimpant, puisqu’il s’agit du double portrait de Skt. Adolf-Broggahr-Chatzli-Stok und Skt. Adolf-Krohn-Prinzen d’Adolf Wölfli, « dont on perçoit la trace de la schizophrénie ». Le compositeur s’attache donc à inventer une musique

  • de la fracture dans l’unité,
  • de l’apaisement comme lien entre deux épisodes survoltés, et
  • de l’agitation dans l’aspiration à un impossible accomplissement.

L’instrumentarium sollicité est à nouveau très vaste.

  • Un trait de harpe lance l’évocation du tableau ;
  • la caisse claire se greffe sur cet élan ; et
  • le violoncelle entame un dialogue souvent houleux avec
    • clarinette,
    • percussions et
    • échos entre pupitres.

 

 

Andreas Pflüger travaille la pâte orchestrale jusqu’à parvenir à une émulsion sur laquelle surfe l’énergique violoncelle d’Estelle Revaz.

  • À-coups versus régularité,
  • brusques piani versus fortissimi,
  • graves inquiétants versus médium de l’attente et aigu de l’explosion

se confrontent avec une gourmandise frémissante, et hop.

  • Doubles cordes,
  • pizzicati,
  • archet lyrique ou volcanique

se déploient dans un mouvement heurté qui s’achève sur un glissando du violoncelle plongeant dans les abîmes. Virage à 180° avec  Amor am Lebensbrunnen de Giovanni Segantini, dont le compositeur loue la « palette transparente aux tonalités impressionnistes » ! Avec lui, le troisième mouvement de Pitture se pare

  • d’aigus enjôleurs,
  • de trilles évocatrices et
  • d’un violoncelle au lyrisme à la fois affirmé et raffiné.

 

 

Pour autant, l’écriture ne se satisfait jamais d’une joliesse détendue.

  • Des contrastes et des fondus déconstruisent ou infléchissent le récit qui semble se profiler ;
  • des ruptures nettes ou intérieures déchirent l’évidence et pimentent l’élégance,
  • des ondulations animent un propos polymorphe dont les passages tendres ne tardent point à se laisser absorber par ce qui ressemble fort à manière d’inquiétude qui paraît consubstantielle à l’avènement de la musique.

Tout se passe comme si, fort d’un métier roué d’orchestrateur, le compositeur se méfiait d’une certaine facilité cinématographique et s’amusait à la dissiper dès qu’elle risque de séduire l’auditeur. En refusant l’univocité,

  • il substitue l’intérêt de l’écoute à la satisfaction sucrée (non que celle-ci soit, en soi, infréquentable, heureusement !),
  • il stimule la curiosité au lieu de satisfaire ce que, dans ses Entretiens avec le professeur Y, Céline aurait appelé « la tentation du chromo », et
  • il irise les épanchements en les parant
    • d’éclats,
    • de reflets et
    • de sequins sonores

assez inattendus pour captiver l’oreille, jusqu’au fade out soliste qui conclut le mouvement. De quoi mettre en appétit pour les trois tableaux suivants, qui feront l’objet d’une prochaine notule !


Pour acheter le disque, c’est par exemple ici.
Pour voir Estelle Revaz en concert, c’est ce dimanche à Paris et à prix d’or .