Par-delà l’arithmétique moutonnière
Depuis que les bergers insomniaques ont institué le comptage de moutons, les caprins sont devenus les grands oubliés de l’arithmétique. Alors, oui, je sais, les artistes engagés sont passés de mode, mais tant pis ! Si cette chanson parvient à réinjecter une dose de diversité dans l’algèbre, je crois que je n’aurai pas totalement fredonné en vain.
Herbert du Plessis joue Frédéric Chopin (Anima) – 2/7
Oxymoron ou mot réversible, l’étude version opus 10 de Frédéric Chopin peut être aussi bien considérée
- comme un exercice de haute voltige proposé aux pianistes cherchant à perfectionner leur technique que
- comme les tentatives de « créer un monde nouveau encapsulé dans le piano » d’un jeune compositeur inspiré par
- la virtuosité des études de Niccolò Paganini, on l’a vu dans le premier épisode de cette recension,
- l’extravagante technique d’un Franz Liszt à qui il a dédié le cahier regroupant ses douze premières études, et
- la petite voix intérieure qui exige de s’approprier tant un genre que des passages obligés.
- la virtuosité des études de Niccolò Paganini, on l’a vu dans le premier épisode de cette recension,
En témoigne cette septième étude en Ut et 6/8, qui envoie l’interprète à l’assaut d’une palanquée d’intervalles (et pas que des tierces et des sixtes) à peine dissimulés sous les apparences d’une toccata dont il est obligatoire de rendre, malgré la difficulté, la musicalité. Voilà pourquoi, par-delà son motorisme roboratif, et hop, la redoutable exigence technique doit être celée derrière
- une maîtrise du toucher (diversité
- des attaques,
- des articulations et
- des tenues),
- un art de la nuance et
- une précision permettant de faire sonner notammant, à la main gauche,
- le chromatisme descendant,
- la spécificité des notes longues et
- l’énergie des sautes d’octaves qui animent bientôt la partition.
À cette étude davantage brillante et wow que chatoyante et envoûtante (il en faut) succède la huitième en Fa et en 4/4 (pas la voiture, tsss, tsss), obsédée par un point technique essentiel au pianiste : le passage du pouce, qui permet de jouer des traits dépassant les cinq notes. Sur un tempo démentiel mais très convaincant, Herbert du Plessis déploie les qualités attendues, que sont
- la parfaite fluidité du phrasé, celle que les amateurs – même « grands » comme aiment à s’autoappeler les hobbyistes de bon niveau – et quelques pianistes égarés dans les milieux professionnels peinent à atteindre quand le passage du pouce s’effectue de façon très répétée et à grande vitesse,
- un sens de l’accompagnement à main gauche qui agrémente sa fonctionnalité par l’optimisation de la partition
- (tremplin des appogiatures,
- efficacité des combos croche pointée – double croche,
- accords accentués, selon le texte, de façon plus groovy que martiale ou pacyhdermique), et
- l’élégance des synchronisations en mouvements inversés ou en parallèles, avec les accents-rebonds qui vont bien sans déstabiliser la liquidité du legato.
L’interprète envole cette salsa du démon par une aisance joyeusement vertigineuse faisant confiance
- à la partition (en omettant d’en rajouter),
- à l’auditeur (libéré d’effets et de clins d’œil lourdauds) et
- au piano.
En effet, l’exploration des registres, aigus voire suraigus mais pas que, témoigne de l’excellente restauration d’un Bechstein modèle E de 1941 par l’atelier Baudry et est servi par une prise de son précise, semblant délaisser tout excès de réverbération, signée Cécile Lenoir, également créditée pour
- la direction artistique,
- le montage et
- le mixage.
La neuvième étude en fa mineur et 6/8 propose de donner un avantage aux pianistes
- ayant une main gauche géante ou
- souhaitant essayer d’étirer leurs os jusqu’à l’extrême voire plus si affinités.
Herbert du Plessis en profite pour
- faire ronronner le piano grâce à l’obstination de la senestre,
- presque transformer l’étude en nocturne avec accompagnement à gauche et mélodie à droite, et
- jouer avec les contraires apparents
- (staccato versus sustain,
- régularité versus agogique,
- notes répétées versus accords en arpèges brisés,
- sextolets versus quintolets, etc.).
Au jeu des surnoms, la dixième étude en La bémol et 12/8 a gagné celui de « La harpe ». On retrouve un accompagnement en arpèges brisés à gauche. Avec souplesse, le pianiste y fait
- résonner une valse survitaminée,
- tinter sa maîtrise de la pédalisation qui ne floute jamais les passages legatissimo ni n’atténue les staccati,
- vibrer les modulations si chères au compositeur, et
- courir les petits doigts tout en ménageant quelques habiles respirations dans cette course fofolle.
Ce moment scintillant précède la grande fête des arpèges fomentée par la onzième étude en Mi bémol et 3/4. Sans s’exonérer d’un souci de variété d’intensité, Herbert du Plessis y déploie
- une saisissante articulation de l’espace sonore,
- une capacité subtile à valoriser les notes qui font avancer l’harmonie, ainsi
- qu’une savante souplesse
- manuelle,
- digitale et
- rythmique.
Au fameux jeu des surnoms, la douzième étude en ut mineur et quatre temps a gagné, elle, celui de « Révolutionnaire » en référence à des hypothèses autobiographiques tournant autour du sort de Varsovie. En réalité, cet allegro con fuoco compense surtout une faiblesse du recueil : jusque-là, rien pour travailler en priorité la main gauche. L’interprète y démontre avec un mélange
- de force,
- d’évidence et
- d’apparente simplicité,
que
- trépidation n’est pas forcément précipitation,
- vibrance du jeu pas forcément fortissimo ad libitum, et
- défi technique pas forcément que démonstration circassienne.
Gageons que les douze études opus 25 – que nous commencerons à écouter dans une prochaine notule – contribueront à approfondir cette triple évidence hélas pas toujours vérifiée.
À suivre !
Pour acheter le disque de Herbert du Plessis, ce peut être ici.
Pauline Klaus – Le grand entretien – 5/6
À l’occasion de l’édition 2024 des Musicales d’Assy, festival impulsé par Pauline Klaus, nous publions un grand entretien avec la violoniste-pédagogue-organisatrice.
- Diplômée du CNSM de Paris,
- lauréate du Conservatoire royal de Bruxelles,
- auréolée – au moins – d’un master de philosophie en Sorbonne,
l’artiste nous ouvre les coulisses d’une carrière singulière mais pas solitaire, associant, entre autres,
- le quatuor (avec ses complices du Lontano),
- le concert avec orchestre et
- le récital solo
à, donc, l’invention et la réinvention d’un festival créatif mais aussi à l’enseignement à hauteur humaine,
- chaque activité,
- chaque passion,
- chaque heureux détour
semblant nourrir l’inspiration de la musicienne. Bonne découverte aux curieux !
Cliquer pour découvrir les épisodes précédents
1. Être violoniste, non-mode d’emploi
2. Faire du violon un métier, les coulisses d’un choix
3. Inventer un festival, pistes et contre-pistes
4. Inciter à la création, projet de vie
Épisode 5
Faire (de) la musique,
les dessous d’un mystère
Pauline Klaus, en sus du festival, vous vous produisez dans des formations extrêmement différentes, dans des répertoires extrêmement différents, poussée par des envies qui semblent extrêmement différentes. Comment articulez-vous ces facettes de votre vie artistique ?
Il est vrai que la vie de violoniste offre de nombreuses opportunités, de nouveautés, de propositions et de découvertes souvent inattendues. J’ai la chance de jouer un répertoire très large, des classiques à des créations, de Bach et Beethoven à George Crumb ou Tristan Murail. Je suis amenée à découvrir sans cesse de nouvelles œuvres. Néanmoins, du point de vue humain, j’aime aussi monter des projets avec des partenaires avec lesquels, au fil du temps, je noue des relations. J’apprécie de cultiver des affinités à la fois électives et diverses. Il y a le quatuor et pas que le quatuor, ce qui est très sain. Par leur brièveté, les projets ponctuels impliquent de solides relations de confiance.
« La question de l’équilibre est au cœur du quatuor »
Les liens sont-ils les mêmes avec vos complices du quatuor ?
Non. Le quatuor, c’est vraiment très particulier. Grâce à lui, j’ai parfois l’impression de poursuivre avec bonheur une formation exigeante, comme si je prolongeais mes études ! On dit souvent que l’on continue d’apprendre de ses pairs toute sa vie. Ce n’est que plus vrai avec le quatuor.
Pourquoi ?
Cette formation représente une somme de contraintes qui m’oblige à beaucoup, beaucoup travailler sur des paramètres qui sont parfois laissés de côté sur d’autres projets. Je suis amené à adapter mon jeu : justesse harmonique, synchronicité, interconnexion des voix et des phrasés… C’est un redoutable équilibre du tout qui exige de se déprendre de ses seules envies ou inspirations.
Par exemple ?
Eh bien, au cœur du quatuor, il y a la question de l’équilibre. Être premier violon dans un quatuor n’a rien à voir avec être soliste avec orchestre, dans un concerto. Absolument rien. De sorte que le mode de travail du quatuor est très particulier. Il demande une refonte permanente des habitudes de soliste.
Comment caractériseriez-vous les relations que vous nouez avec vos autres partenaires, orchestres ou musiciens de chambre ?
Ce sont des associations spécifiques pour des projets que nous avons conçus ensemble. Ce peut être aussi la rencontre de jeux, de personnalités musicales très différentes qui dialoguent avec une distance et une liberté différente de la recherche d’homogénéité propre à ce que l’on pourrait appeler l’entité quatuor.
Donc des partenariats éphémères ?
Plutôt des relations brèves et épisodiques, en fonction des projets, alors que le quatuor s’inscrit dans le temps long. Au-delà de ces configurations, la recherche d’accomplissement est toujours la même. J’aime beaucoup l’idée selon laquelle le partenaire idéal de musique de chambre est avant tout celui grâce auquel ses partenaires parviennent à donner le meilleur d’eux-mêmes.
Qu’en est-il de votre travail en solo ?
Repasser au solo est à la fois plus simple et plus compliqué. Quand on est plusieurs, on est emporté par le flot, l’échange d’énergie avec les aurtes. Seule, je dois créer moi-même ma concentration. C’est autre chose.
« L’enseignement est une manière de revenir sur ses principes »
Il y a un aspect de votre travail dont on n’a presque pas parlé : vous enseignez le violon au conservatoire du seizième arrondissement. Qu’est-ce qui anime votre désir de transmission musicale ?
L’envie d’enseigner était en moi. Je ne m’imaginais pas ne pas transmettre, d’une façon ou d’une autre. La faute à ma formation de base, qui a été tellement forte ! Comme élève, grâce à l’expérience merveilleuse de la maîtrise, je n’ai pas vécu le conservatoire sous une forme scolaire. Ce qui comptait, c’était d’être de plain-pied dans la musique. Je tiens donc beaucoup à transmettre l’idée que, même avec seulement quelques années de violon, même avec des corps pas tout à fait finis, même avec des moyens en cours de construction, on peut jouer de la très belle musique. Mes étudiants ont déjà l’école à côté ; le conservatoire, ça doit être un monde différent. Ici, le but n’est pas juste de jouer assez bien un morceau pour vite passer au suivant.
Quel est le but, alors ?
Devenir musicien. Pas musicien professionnel, en tout cas pas forcément, mais musicien. Mes élèves peuvent avoir plein d’autres activités dans leur vie ; qu’importe, le violon doit rester une pratique à part.
Dans quel sens ?
C’est très concret, c’est dans la pratique. Quand mes élèves jouent avec quelqu’un, ils apprennent à écouter l’autre ; dans la musique de chambre, ils peuvent guider l’élève plus petit qui s’est trompé et perdu ; bref, devenir musicien implique des dispositions et une façon d’être qui résonnent bien au-delà du simple cours de violon.
Comment perçoivent-ils cette sensibilisation à laquelle vous travaillez ?
Ils en sont très friands ! Et moi, j’aime les sentir réceptifs à la magie de la musique, quand on partage sans avoir besoin de se parler. Pour moi, c’est le premier point essentiel, dans l’enseignement.
Y en a-t-il un second ?
Oui. J’aime l’idée que mes élèves construisent leur répertoire à partir d’œuvres qui leur sont devenues familières et avec lesquelles ils développent une proximité voire un attachement.
Comment cela se pratique-t-il ?
Tout simplement en reprenant les « vieux morceaux » d’année en année, sans les oublier parce qu’ils sont passés à d’autres « morceaux plus difficiles » et en les partageant entre eux, les années passant. Ça n’est pas la difficulté ou le nombre de notes à la mesure qui fait la musique. Ça aussi, ça leur parle, qui plus est quand ils peuvent changer de voix parce qu’ils sont désormais capables de jouer ce que, l’année d’avant, ils n’étaient pas en capacité d’interpréter. Donc avec une idée de progression…
Aussi curieuse que peut sembler la question, peut-on imaginer que le travail d’enseignement a un impact sur votre travail d’artiste ?
Bien sûr.
Lequel ?
Oh, c’est tout bête mais essentiel : ça me permet de revenir sur plusieurs aspects basiques de la technique du violon. Je redécouvre ce qui fait qu’un mode de jeu fonctionne ; je réapprends à mettre le doigt sur ce qui explique que ça ne fonctionne pas. Ça me fascine. L’enseignement est une manière vivante et oxygénante de revenir sur ses propres principes.
« Le langage est une affaire de degrés »
La question de la verbalisation graduée semble aussi au cœur de votre activité de musicienne polymorphe, entre l’interprète qui n’a plus besoin de parler (sauf quand elle choisit de présenter une œuvre à son public), la directrice artistique qui doit allier explicitation et travail intuitif avec ses invités, et l’enseignante pour qui la verbalisation est une nécessité.
Si mes activités sont complémentaires, c’est que la parole peut et doit être utilisée de différentes manières. L’enseignement mais aussi le travail avec d’autres musiciens requièrent médiation, exploration, parfois dissection ! Par conséquent, le discours, l’explication, l’échange sont utiles, précieux, indispensables, mais, pour moi, le verbe reste de l’ordre de la préparation. La finalité est de devenir le violon ou de devenir la musique. C’est une forme de transe et une transformation incroyable.
Vous devez donc arbitrer entre parole, musique et silence.
Oui, les trois sont indispensables. Je me souviens d’un concert avec la violoncelliste Marie Ythier où, sans prévenir le public, elle avait pris soin de diffuser des enregistrements de Giacinto Scelsi parlant de l’œuvre que nous allions jouer. C’était saisissant. Pas seulement par les propos que tenait le compositeur : aussi par l’effet de surprise, par le grain de la voix, etc. En médiation comme en pédagogie, parole et musique ne sont pas opposées frontalement, de façon binaire. Il existe de très nombreux degrés que l’enseignant ou l’artiste est appelé à utiliser selon l’effet recherché.
Même en tant que musicienne.
Oui, avec ceci de particulier que l’aboutissement du travail est alors le moment où la parole s’efface et où ne reste que la musique.
Site officiel de Pauline Klaus ici.
Site officiel du festival des Musicales d’Assy çà.
Chroniques des deux disques du quatuor Lontano là.
Nicolas Horvath joue les premiers “nocturnes secrets” de Frédéric Chopin (1001 notes) – 2/4
Récapitulons : après de nombreuses explorations dont l’intrigant « Debussy inconnu », le nouveau projet de Nicolas Horvath, défriché ici, vise à faire découvrir des versions alternatives des nocturnes de Chopin déjà connus, et plus si affinités. La démarche consiste à interpréter d’abord un nocturne canonique (les œuvres sont proposées par ordre chronologique, même si celui-ci est parfois sujet à controverse d’experts) puis à en proposer une version alternative, voire plusieurs versions alternatives… quand il y en a ! Aussi le premier volume, bien qu’il pèse 78′ au compteur, ne contient-il que sept nocturnes…
… à commencer par l’opus 72 n°1 en mi mineur, associant dans un premier temps le balancement ternaire d’une mesure à 12/8 côté gauche avec un thème à quatre temps côté droit.
L’interprète restreint volontairement la palette de nuances pour les faire mieux éprouver qu’entendre. À cette fin, en sus d’user avec précision de la pédale de sustain, Nicolas Horvath travaille en finesse sur
- le rythme (régularité a tempo versus tensions ou ritendi),
- les notes dynamisantes (appogiatures parfois doubles, double croche ou croche suivant une note pointée, trilles, grupetti),
- les respirations éclairantes et
- la friction stimulante entre binaire et ternaire.
La résolution en majeur (« comme pour huit nocturnes en mineur sur dix », précise le livret dont nous avons critiqué la tenue de l’incipit en omettant d’insister sur sa richesse) crée le lien avec la piste suivante, le Lento con gran espresione, version antérieure du nocturne opus posthume n°20, puisque le sol dièse qui attire à lui toute la lumière résonne dans la tonalité de do dièse mineur qui habite cette version préalable du même thème.
Dès le prélude, Nicolas Horvath laisse entrevoir les choix d’une interprétation qui, cette fois, ouvre l’éventail
- des nuances,
- des touchers et
- des contrastes rythmiques dans la régularité (les surgissements du ternaire et les changements de mesure marquant l’arrivée de l’énigmatique partie centrale s’intégrant dans un battement inamovible).
Les mélomanes par le titre alléchés piafferont jusqu’à la cinquième piste car il n’y a rien de secret jusque-là. De notre point de vue, c’est assez sain voire logique : on n’entre pas à brûle-pourpoint dans la confidence. Il faut le temps de régler ses vibrations à une atmosphère propice à l’intimité.
Comme pour construire ce préalable, le musicien glisse alors la version officielle du nocturne posthume dit WN37 – dans le monde des experts musicologues, les nomenclatures musicales ont souvent un côté bataille navale cryptée… Probablement oucieux de soulager les auditeurs n’aimant pas le jeu des sept différences, le livret attire l’attention sur les quelques éléments distinguant les deux versions
- (telle note octaviée,
- tel ornement allégé,
- tel trait modifié)
à vrai dire ni flagrantes ni déflagrantes à nos esgourdes, mais l’envie de les découvrir pousse à une écoute plus attentive qui flatte les qualités d’un pianiste toujours prêt à froisser les images lisses et sépia qui confisent parfois Frédéric Chopin dans ses légendes et réduisent
- sa musique,
- son talent et
- son inventivité
à des éléments biographiques dont les notes ne seraient que la transcription littérale – ha !
- le malheureux prompt à geindre,
- le déraciné accroché à ses souvenirs de Pologne,
- le délaissé marinant dans une nostalgie savamment désespérée, etc.
Aussi Nicolas Horvath n’hésite-t-il pas à
- pimper l’élégance d’un trait par un sforzendo prolongé par un piano puissant,
- galber le dessin d’une phrase en accentuant çà et là le déséquilibre entraînant d’un rythme pointé,
- prendre le temps de vraiment prolonger le point d’orgue comme pour profiter à plein de l’expérience rythmique proposée par le compositeur, à la fois rigoureuse, régulière et cahotante (changement de mesures, différenciation de tempo, utilisation de grupetti spectaculaires…).
De quoi mettre en appétit avant le gros morceau du disque : les trois nocturnes opus 9 et leurs variantes (neuf pour le deuxième), de quoi combler les amateurs de secrets musicaux. Ce sont ces cachotteries que nous dévoilerons lors d’une prochaine notule.
À suivre…
Pour acheter le disque digital ou physique (et même l’écouter !), c’est par exemple ici.
De l’art d’être près d’être prêt
Chanson géographique et épistolaire, « Je t’écris de l’île de Pâques » creuse l’une de mes veines préférées dans la mine Jann Halexander : la fredonnerie mélodico-poétique. Semblable caractérisation peut laisser craindre un excès de sirop d’érable ou un plat de guimauves ultramolles. La vidéo tournée lors du passage de Jann sur scène, à l’occasion de mon concert À quelques chèvres près, me paraît désamorcer cet effroi.
En prime, donc, une bonne nouvelle pour ceux qui apprécient l’écriture halexanderienne : le chanteur s’apprête à publier (enfin) son nouveau disque !
Herbert du Plessis joue Frédéric Chopin (Anima) – 1/7
De même qu’Augustin Dumay nous expliquait qu’il avait choisi d’ouvrir le jury du concours qu’il présidait à des pianistes car « le violon n’est pas réservé aux violonistes » (retrouvez l’intégralité de notre échange ici), de même Herbert du Plessis pose que, pour comprendre les Études de Frédéric Chopin, il faut revenir au violon puisque le compositeur se serait inspiré de la vive impression que lui avaient faite les études griffonnées par Niccolò Paganini. C’est donc dans une perspective associant
- l’horizontalité chantante du violon et
- la verticalité harmonisante du piano
que semble vouloir s’inscrire l’interprète qui, après avoir donné plusieurs fois une intégrale Chopin en dix épisodes, a décidé de fixer sa vision d’une partie de l’œuvre chopinienne dans un double disque, associant – notamment – les études et les préludes sous le titre presque dutilleuxique Créer un monde nouveau se référant aux débuts du compositeur cherchant à « encapsuler le monde dans un piano ». Le résultat est un
- projet pensé, à en croire le titre et à lire le livret – même si celui-ci laisse au lecteur la liberté d’interpréter à sa façon le titre ;
- projet engageant par son ambition ;
- projet excitant par son répertoire,
- virtuose,
- habilement articulé,
- pimpé par des raretés, et
- associant la profusion à la cohérence.
Dans cette notule, nous nous intéresserons aux six premières œuvres incluses dans les douze études rassemblées dans l’opus 10 et dédiées à Franz Liszt. Selon Herbert du Plessis, leur proximité avec l’écriture pour violon va au-delà de l’inspiration matricielle. Elle inclut
- des comparaisons (les arpèges de la première étude seraient, par exemple, selon le compositeur, « comme des coups d’archet »),
- certains doigtés – fussent-ils inspirés par le pianiste et compositeur Ignaz Moscheles,
- des pivots de la main droite rappelant, selon l’interprète, « l’archet chevauchant les quatre cordes » comme ailleurs (septième étude) l’usage d’intervalles de deux notes lui évoque celui des doubles cordes au violon, etc.
Officiellement taxée de « plus difficile » par Vladimir Horowitz, dont on s’étonne qu’il ait eu le mot « difficile » dans son vocabulaire, la première étude en Ut. La cavalcade digitale des arpèges brisés est menée avec un brio délicat qui mêle
- exigence textuelle,
- célérité efficace,
- variété des touchers pour musiquer et ce qui suscite le plus l’effet wow :
- absence de recherche de Stabylo sonore pour souligner, attention, l’injouabilité – j’avais prévenu – du truc.
La deuxième étude en la mineur travaille le chromatisme de la main droite.
- Souplesse des doigts,
- légèreté bondissante de la main gauche et
- charme de la tierce picarde
accompagnent la proposition. La troisième étude en Mi, taxée de « Tristesse » par les récupérateurs de tubes et souillée par l’immonde adepte de l’inceste acidulé, assume l’association entre
- groove du contretemps et de l’agogique,
- lead quasi bell’cantiste et rôle de l’harmonisation,
- unité du propos et contrastes.
Il faut saluer le travail sur
- la spécificité des registres,
- la justesse des touchers et
- l’exigence des phrasés
qui
- éclaire,
- aère et
- embellit le propos.
Toujours avec quatre dièses mais en ut dièse mineur, cette fois, la quatrième étude creuse la complémentarité des deux mains en perpétuelle poursuite. La tonicité du pianiste jouant à tombeaux ouverts offre un dialogue à trois entre
- énergie saisissante,
- bondissements captivants et
- transitions d’intensité séduisantes.
Derrière le brio obligé et didactique, on applaudit
- la sensibilité du geste,
- la modestie du fan de Chopin qui n’en fait jamais trop et
- l’excellence de l’interprète qui se saisit du projet pédagogique pour en faire, autant que possible, de l’art.
La cinquième étude en Sol bémol, 2/4 officiel mais 12/8 à la main droite, est réputée pour n’autoriser qu’une touche blanche à la main droite. Pas de quoi effrayer Herbert du Plessis qui maîtrise, sans souci de la couleur et de la dimension des touches,
- la furibonderie (ben si) de la main droite,
- la vivacité ponctuante de la senestre et
- la magie des nuances malgré la difficulté.
Rien qui
- ne minaude,
- ne s’esquive ou
- ne faseye :
l’artiste croit assez à l’efficience de ces tueries techniques pour ne pas chercher à en tirer gloriole.
La sixième étude en mi bémol mineur (donc un peu en Mi majeur à un moment : même jeune, Frédéric Chopin a un kiff avec la modulation…) s’unit à la cinquième puisque la dernière note de l’une est la première de l’autre. Nouvelle tierce picarde comprise, Herbert du Plessis, fort d’un phrasé onctueux et d’un legato soyeux, y valorise le charme
- du chromatisme entraînant,
- de l’exigence de la régularité comme source mélodique, et
- de la tension fructueuse entre motorisme et souplesse métronomique.
Interprétation majestueuse d’un grand art en construction ou d’un projet sonnant comme un « bon courage » aux grands élèves chargés de maîtriser les différentes techniques testées par chacune de ces études ? Nous poursuivrons l’examen de cette question dans une prochaine notule.
À suivre !
Pour acheter le disque de Herbert du Plessis, ce peut être ici.
Pauline Klaus – Le grand entretien – 4/6
À l’occasion de l’édition 2024 des Musicales d’Assy, festival impulsé par Pauline Klaus, nous publions un grand entretien avec la violoniste-pédagogue-organisatrice.
- Diplômée du CNSM de Paris,
- lauréate du Conservatoire royal de Bruxelles,
- auréolée – au moins – d’un master de philosophie en Sorbonne,
l’artiste nous ouvre les coulisses d’une carrière singulière mais pas solitaire, associant, entre autres,
- le quatuor (avec ses complices du Lontano),
- le concert avec orchestre et
- le récital solo
à, donc, l’invention et la réinvention d’un festival créatif mais aussi à l’enseignement à hauteur humaine,
- chaque activité,
- chaque passion,
- chaque heureux détour
semblant nourrir l’inspiration de la musicienne. Bonne découverte aux curieux !
Cliquer pour découvrir les épisodes précédents
1. Être violoniste, non-mode d’emploi
2. Faire du violon un métier, les coulisses d’un choix
3. Inventer un festival, pistes et contre-pistes
Épisode 4
Inciter à la création, projet de vie
Pauline Klaus, dans le précédent épisode, nous avons exposé l’ADN des Musicales d’Assy, le festival que vous avez fondé et que vous dirigez. Pourtant, nous n’avons peut-être pas correctement évoqué l’une de ses spécificités, qui est son inclination non exclusive pour la musique contemporaine. C’est une posture d’autant plus volontariste que, d’une part, ce concept flou peut effrayer certains mélomanes et, d’autre part, il ne résume pas du tout votre programmation, ce qui peut rebuter les monomaniaques de l’EIC ou de l’IRCAM qui viendraient plus volontiers écouter des expérimentations s’il n’y avait que ça…
Au-delà de vos caricatures, j’ai un penchant intime pour la création et le travail des compositeurs. Il se trouve qu’il résonne avec le lieu où se déroule le festival.
Expliquez-nous pourquoi.
L’église d’Assy porte un message très fort et très particulier, lié à ses fondateurs, le chanoine Jean Devémy et le Père Marie-Alain Couturier. Pour décorer le lieu, ils ont fait appel aux artistes de leur temps, quelle que soit leur religion ou leur proximité avec l’Église catholique.
« Heureusement, les temps changent ! »
En quoi cette proposition quasi architecturale a-t-elle influencé le festival ?
On ne mesure pas toujours la puissance de ce symbole d’ouverture ! Ainsi, Jean Lurçat et Fernand Léger, connus pour leur proximité avec le communisme, ont offert une tapisserie et une fresque ; Marc Chagall a signé des vitraux et une fresque accompagnée d’un très beau message sur l’œcuménisme qui résume bien la beauté et l’esprit du lieu ; et tous les artistes qui ont participé au projet ont fait don de leurs œuvres.
Osons une lapalissade pour insister sur ce fait assez rare : « offert gratuitement ».
Oui. Grâce à cette générosité signifiante, la chapelle irradie ce message d’ouverture et de foi dans l’universalité de la création.
Universalité putative qui n’est pas allée sans friction.
Il est vrai que le Christ de Germaine Richier a été rangé dans la cave quelque temps parce que la proposition était trop forte pour la sensibilité du moment.
Précisons pudiquement que ce Christ n’était pas dans telle ou telle situation rocambolesque qu’il pourrait subir lors d’une mise en scène actuelle d’opéra le situant dans une backroom. En revanche, de manière puissante, l’artiste faisait fusionner son corps avec la croix, ce qui lui a valu un « succès de scandale » selon le Centre Pompidou… et sa dissimulation jusqu’en 1969, dix ans après la mort de l’artiste.
Oui, heureusement, les temps changent ! Mais, pour nous, ce substrat de création était le plus bel alibi pour porter haut le message de foi dans l’art et dans la capacité de proposition des artistes.
« L’étonnement est un beau moment »
Ce penchant pour l’art actuel des Musicales d’Assy et de vous-même se manifeste de deux façons : des concours et des commandes.
En effet, je pense qu’il est important qu’un festival ait une démarche vis-à-vis de la création, une démarche qui implique le public, lui offre des prises sur un domaine qui n’est pas d’un accès facile et le rende vivant. De ce point de vue, l’appel à compositions annuel et, depuis quelques années, le Prix du public qui l’accompagne donnent du grain à moudre et permettent que beaucoup de choses se passent.
Comment suscitez-vous des commandes ?
C’est une démarche distincte des concours. Ça ne se déclenche pas d’un coup de téléphone. C’est plus signifiant si ça a une histoire. Et c’est d’autant plus prenant que nous ne nous voyons pas faire autrement. Le festival y invite et l’exige presque !
En 2021, pour son lancement, le concours de quatuors que vous organisez ne vous a pas valu une avalanche mais un tsunami thermonucléaire de propositions.
Il est vrai que, quand nous avons lancé ce concours, nous ne nous attendions pas à recevoir 400 candidatures. J’imagine que c’était lié à la proximité du confinement. Je suppose que nous avons récolté une explosion d’œuvres qui n’avaient pas été jouées en concert. C’était un étonnement et un beau moment à la fois !
Depuis, comme vous l’avez mentionné, vous avez ajouté au prix que vous décernez un prix que décerne le public.
Oui, le nombre considérable de candidatures nous y a poussé, afin de récompenser l’auteur d’une œuvre « coup de cœur » parmi une sélection des appels à composition. Au-delà du vote pour tel ou tel compositeur, les spectateurs sont aussi invités à s’exprimer et à partager leurs impressions sur les œuvres présentées. Cela se passe lors d’un moment dédié, à l’annonce des résultats, autour d’un bon café à la buvette… C’est un moment très particulier. Il permet de casser les murs, en quelque sorte, et de donner la parole aux auditeurs, qu’ils soient ou non férus de musique contemporaine.
Loin de la dichotomie que j’ai esquissée, vous construisez des ponts entre concours et commande puisque, pour le festival 2024, vous avez organisé le retour de Paul Novak – le lauréat du mégaconcours !
En remportant ce concours, Paul Novak a gagné un enregistrement sur le nouveau disque du quatuor Lontano – nous avions réservé une place au morceau vainqueur. Nous avons été immédiatement frappés par la beauté de son écriture pour le quatuor à cordes mais aussi par la force de son imaginaire musical, portée par des images évidentes, très visibles – celles d’un vol d’oiseaux, de la danse… D’ailleurs, il se trouve que sa pièce a également remporté le premier Prix du public. Elle a su toucher aussi les auditeurs peu habitués à la musique contemporaine.
Pour le coup, le quatuor de Paul Novak n’était pas une « création mondiale ».
Non, l’œuvre avait été jouée aux États-Unis. Nous en avons assuré la création française, nous avons inclus le quatuor dans notre disque et nous avons souhaité continué la collaboration avec le compositeur. D’où la commande que nous lui avons passée pour un quatuor tout neuf, cette fois, et qui font que, parfois, des passerelles apparaissent entre concours et commandes !
Avez-vous eu la possibilité de dialoguer avec le compositeur ?
Bien sûr.
Grâce au prix que vous lui avez décerné ?
Grâce à ce premier quatuor que nous avions énormément travaillé pour l’enregistrer. Nous connaissions donc bien son écriture et les sonorités qu’il avait en tête. Par conséquent, passer à une deuxième étape était un moment formidable !
« Devant le fait accompli, nous oublions parfois de réfléchir »
Néanmoins, j’imagine que les joies artistiques d’une artiste, conceptrice et organisatrice de festival doivent s’articuler avec des considérations très pragmatiques en général et résolument pécuniaires en particulier.
Heureusement, je ne suis pas seule à organiser les Musicales. J’ai la chance d’être très entourée et très bien entourée, notamment par de précieux soutiens qui ont l’habitude du fonctionnement des associations, si bien que le démarrage a été facile ou presque. Après, au fil des années, il a fallu s’adapter à l’évolution du festival. Aujourd’hui, nous proposons entre dix et quinze concerts, auxquels s’ajoutent les concerts solidaires et sociaux qui se donnent en parallèle.
Depuis la première édition, le budget a dû exploser…
Vous employez des termes beaucoup trop violents ! Non, le budget n’a pas explosé, il a bien grandi. Nous aussi ! Nous avons beaucoup appris. Peut-être les dix ans du festival amèneront-ils leurs évolutions vers d’autres modes de fonctionnement.
Plusieurs organisateurs de festivals émergents témoignent à mots couverts des difficultés que, par-delà les avantages, peut entraîner le bénévolat, en l’espèce par exemple des attentes non verbalisées – qui peuvent rejoindre celles de sponsors ou d’alliés politiques.
Ah bon ? Pour ma part, j’ai la chance de ne pas avoir rencontré ce genre de bisbilles et de pressions. Sur ces plans comme sur pas mal d’autres, nous sommes libres, et nous entendons bien le rester !
À propos de liberté, Pauline, je voudrais vous poser une question sur un moment où – pour des motifs légitimes ou non, ce n’est pas l’objet de la question –, nos libertés ont été percutées par l’annonce d’une apocalypse. Soyons concrets : comment avez-vous géré cette déflagration dont, étonnamment, on ne parle presque plus, comme s’il n’avait jamais existé, id est le black out du Covid ? L’avez-vous vécu à la manière d’une respiration, d’une inquiétude profonde ou d’une incitation à préparer le plus difficile, sans doute, qui est la remise en route de la Grosse Machine ?
Hum, je dois distinguer deux plans. Sur un plan personnel, j’ai certes ressenti la peur que charriaient les informations sur l’épidémie, j’ai eu conscience des souffrances et de la panique que cela entraînait, mais, pour être honnête, je ne peux pas dire que j’ai mal vécu cette période. Grâce à mon métier, comme beaucoup d’artistes, j’ai pu me recentrer sur moi-même et sur mon travail. J’ai lu, j’ai beaucoup travaillé, donc j’ai peu souffert par comparaison avec ce que d’autres ont pu vivre.
Pourtant, aujourd’hui, ce tremblement de terre semble n’avoir jamais existé.
Oui, aussi mon inquiétude porte-t-elle davantage sur le non-souvenir et la non-évaluation de l’impact que cela a pu avoir. Je trouve ça fou. Effectivement, on dirait que ça n’a pas existé. C’est assez incroyable. Nous nous retrouvons devant le fait accompli. Un bouleversement nous dépasse, dépasse tous nos outils de pensée, tous nos repères. Nous nous y adaptons malgré tout mais, apparemment, en oubliant la nécessité d’y réfléchir, de critiquer et de comprendre. J’ai conscience d’avoir été privilégiée dans ce moment ; mais qui évalue l’impact de cette période sur ne serait-ce que les enfants qui ont traversé cette période-là ?
Site officiel de Pauline Klaus ici.
Site officiel du festival des Musicales d’Assy çà.
Chroniques des deux disques du quatuor Lontano là.
Nicolas Horvath joue les premiers « nocturnes secrets » de Frédéric Chopin (1001 notes) – 1/4
C’est sous la forme d’un polar que Nicolas Horvath présente sa chasse aux « nocturnes secrets » de Frédéric Chopin. Très riche, son livret piquera néanmoins sévèrement les yeux des lecteurs pointilleux , tant
- l’orthographe
- (« au grès de »,
- « mises à nue »,
- « Déborah Hayes » pour « Deborah »,
- « à ce moment là » sans trait d’union…),
- la conjugaison
- (« Robert Orledge me permis »,
- l’intégrale « inclue » certains nocturnes,
- « nous n’avons pas retenus ») et
- l’orthotypographie
- (capitales aléatoires,
- absence d’italiques sur les titres rendant certaines phrases inintelligibles à la première lecture,
- espaces manquantes entre « p. » et numéro de page…)
auraient gagné à être révisés par un professionnel – il appert, sans trop de surprise, que l’écriture, comme
- l’interprétation d’une œuvre de musique savante,
- l’accord d’un piano ou
- l’enregistrement d’un disque,
par exemple, mérite d’être soutenue par des gens qui, quoique faillibles, en ont fait leur métier. Néanmoins, sans doute faut-il transformer cette observation objective en signification subjective. En effet, les fautes grossières et patentes qui souillent çà et là le texte témoignent aussi de la singularité d’un artiste souhaitant contrôler au plus près, et jusque dans les détails souvent délégués à autrui, sa discographie déjà conséquente. Dans ce nouvel opus, comme à son habitude, il a enregistré lui-même son Steinway dans son studio, mais il est allé plus loin : il a inventé – aux sens rhétorique, archéologique et technique – une autre vision des nocturnes de Chopin.
- Invention rhétorique, dans la mesure où l’inventio est la première étape de l’élaboration d’un discours argumentatif (les étudiants de Lettres se souviennent sans doute encore des longues et passionnantes analyses que ce sujet a inspirées à Marc Fumaroli…) ; or, Nicolas Horvath montre bien pourquoi et comment il a cherché, déniché et choisi le répertoire ici exécuté.
- Invention didactique, dans la mesure où l’invention désigne le fait de trouver, d’exhumer, de découvrir ; or, c’est bien à la découverte de la face cachée de nocturnes supposés marmoréens et bien connus que nous invite le pianiste.
- Invention technique, dans la mesure où l’invention désigne la méthode permettant de résoudre un problème pratique ; or, Nicolas Horvath se fait fort de résoudre une tension a priori irréfragable entre la précision d’écriture consubstantielle à Frédéric Chopin (fixée par le célèbre « Il n’y a que Chopin qui ait le droit de changer Chopin » mythiquement claqué par Chopin à Liszt) et l’existence de versions manuscrites de certains nocturnes contredisant l’édition officielle.
Le pari de Nicolas Horvath est qu’il n’y a pas de contradiction mais une complémentarité entre des versions éditées sous la surveillance du compositeur et des
- ajouts,
- modifications et
- nouvelles indications retrouvées sur certains manuscrits des mêmes morceaux,
le tout partant d’un étonnement :
On interprète toujours les dernières versions des compositeurs, je me suis souvent demandé pourquoi ce n’était pas le cas pour Frédéric Chopin.
Le pianiste s’est donc transformé en
- rat de bibliothèques et d’archives pour repérer puis décrypter des pages inédites, et
- petite souris pour se faufiler dans la tête du compositeur en mêlant
- ses observations,
- des échanges avec les musicologues les plus pointus et
- son oreille de musicien pour choisir les versions alternatives les plus saisissantes.
L’objectif ? Dépasser à la fois le critère de La Partition Définitive À Respecter À La Lettre, et celui du « bon goût » dont on sait que c’est sans doute la chose du monde la moins partagée, sauf par les gros imbéciles daubés de l’entre-fesses. Allier
- intuition,
- interrogation et
- direction artistique ferme
semble le projet de la nouvelle aventure dans laquelle le virtuose éclectique s’est lancé… et dont nous raconterons l’écoute dans la prochaine notule !
À suivre…
Pour acheter le disque digital ou physique (et même l’écouter !), c’est par exemple ici.
À bientôt !
La plupart du temps, vous êtes vraiment beaucoup à venir fréquenter ce site quotidiennement pour, probablement, y picorer
- des idées,
- des stimuli,
- des pistes,
- des…
en fait, je sais pas pourquoi mais, comme chantait Jacques Debronckart, j’suis heureux si mes notules que je revendique diversifiées vous intriguent. J’espère que la prochaine saison de ces graffiti
- non sponsorisés,
- non financés,
- non prééétablis
continuera de nous donner des occasions de partage. Je vous donne donc rendez-vous à la rentrée pour échanger
- des émotions,
- des rigolades,
- des froncements de sourcils,
- des emballements,
- des interrogations,
- des découvertes et
- des découvertes,
puisque, à ma grande ire, le mot revient deux fois sur l’image ci-dessous.
- Merci,
- youpi et
- hauts les cœurs à chacun !
Une paroissienne pas comme les autres
Ce tantôt, à la messe dominicale, s’est invitée une paroissienne pas comme les autres : Utopie du Paradis des edelweiss, apparue dans ces colonnes il y a un peu plus d’une année sous une forme quelque peu plus poupine.
La messe se déroulant sur un temps long, chaque paroissien le confirmera : le plus important est de trouver une bonne posture.
Mais même une bonne posture n’empêche point de vibrer à travers le sacrifice eucharistique, où la mort et la résurrection du Christ se manifestent dans la transsubstantiation. Car oui, Jésus est mort, et les meilleurs paroissiens – sans doute – ne s’en remettent toujours pas.
Heureusement, l’ite missa est ragaillardit le fidèle plongé dans la lumière de l’espérance. Et hop !