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L’orchestre du CRR de Paris joue Mozart, Chopin et Beethoven, 17 mars 2025 – 1

Romain Descharmes à l’auditorium du CRR de Paris (Paris 8), le 17 mars 2025. Photo : Rozenn Douerin.

 

Jouant à domicile devant les pairs des instrumentistes, l’orchestre du Conservatoire à rayonnement régional (CRR) de Paris a droit à un triomphe pour son entrée sur scène. Dans sa ligne de mire, deux concerti et une symphonie tubesque, soit une grosse set-list d’environ 1 h 45 de musique sans entracte. Regrettons que l’établissement n’ait pas fait l’effort de proposer un programme aux spectateurs, d’autant que celui qui était annoncé sur l’agenda trimestriel était complètement différent de ce qui se fomentait
Pour lancer les joyeuses hostilités, le vingt-troisième concerto pour piano de Wolfgang Amadeus Mozart débute sur un allegro en La qui ne manque pas d’allant, malgré une justesse et une précision assez perfectibles, comme si la phalange n’était pas encore assez échauffée. L’entrée en lice du piano de Romain Descharmes – l’homme au nom québécois, au minois poelvoordien, et qui joue, ô scandaaaale, avec partition digitale – témoigne d’un souci réciproque de distribuer la parole pour construire les conditions d’une conversation. Pierre-Michel Durand conduit ses ouailles avec une netteté qui permet à l’auditeur, par-delà les décalages sporadiques, de profiter

  • de bons breaks,
  • de jolis contrastes et
  • d’une envie patente de chacun de faire de la musique plutôt que de se contenter de jouer des notes.

L’adagio en fa dièse mineur n’a certes pas la notoriété du mouvement lent du vingt-et-unième (Macha Béranger a durablement fait pencher la balance en faveur du second…) ; en revanche, élégiaque en diable, il permet à Romain Descharmes de déployer un talent et un savoir-faire particulièrement appréciables. On goûte en l’écoutant

  • la légèreté des attaques,
  • la finesse de la pédalisation,
  • l’onctuosité des phrasés,
  • la variété des piani,
  • la justesse de l’agogique, et
  • la parfaite adaptation de la projection du son à l’acoustique de la salle.

Moins de son côté qu’avec le pianiste, l’orchestre accompagne les intentions du soliste tout en conservant la retenue qui sied à son rôle. L’allegro assai en La est joué dans la foulée. Après le moment incitant à allumer des briquets, pour les plus anciens, ou la lampe-torche de son cellulaire, pour les non-fumeurs, voici le moment zumba. Ça repart en effet avec

  • délicatesse,
  • énergie et
  • impulsions.

On s’étonnerait presque que les organisateurs n’aient pas ôté les fauteuils pour transformer le parterre en dancefloor. Romain Descharmes continue de charmer les esgourdes grâce notamment

  • à la tonicité de sa main gauche,
  • à la solidité de sa main droite, et
  • à son sens du rythme
    • (quand lâcher la note ?
    • comment la poser ?
    • comment l’effacer ?).

Attentif à préserver la musicalité par-delà l’esprit festif et la virtuosité de bon aloi, il évite de confondre

  • vitesse et précipitation,
  • facilité apparente et esbroufe de jeune coq,
  • contrastes et excès d’intention.

Les échanges entre soliste et orchestre ne manquent pas de moments réussis, à mettre au crédit des trois entités :

  • le pianiste,
  • l’orchestre et
  • le chef.

En dépit de quelques approximations compréhensibles pour un orchestre de conservatoire, ledit conservatoire fût-il l’antichambre du CNSMDP, et de pupitres exposés qui ne peuvent dissimuler quelques couacs très humains (le cor aigu n’est pas encore très fiable…), l’ensemble est de belle facture. Loin de glisser sur l’auditeur sous prétexte que ce n’est « que » du Mozart, ce premier en-cas se savoure plutôt comme un apéritif gourmand ouvrant la porte au deuxième concerto de Chopin. Ô surprise ! Ce sera l’objet d’une prochaine chronique…

 

De l’optimisme selon Jann Halexander

Jann Halexander à la galerie Grand merci (Paris 6), le 15 mars 2025. Photo : Rozenn Douerin.

 

À l’occasion d’une causerie parlée mais aussi chantée, Jann Halexander est venu glisser une fredonnerie tirée de son disque Affidavit, publié en 2017. L’occasion pour les fans d’entendre une chanson rarement entonnée sur scène par l’artiste, et pour les nouveaux venus de découvrir une facette de l’homme qui n’envisageait pas de séparer

  • l’amertume et le sourire,
  • l’angoisse et la certitude,
  • le désir de transcendance et la conscience viscérale des limites humaines.

Ce que ça donne est dans la vidéo ci-dessous !

 

 

Nous y voilà !

La mort en bref

 

Les derniers billets pour une visite du parc d’attractions le plus secret du monde, celui qui nous incite à réfléchir à ce qui nous attend tous, sont disponibles ici. Rendez-vous au 14 bis, rue Coëtlogon | Paris 6 !

 

 

Utopie, 10 mars 2025

Utopie du Paradis des edelweiss sur la plage de Deauville, le 10 mars 2025. Photo : Rozenn Douerin.

 

Voilà bien environ quelques semaines que nous n’avions donné des nouvelles photographiques du monstre chez qui nous habitons. Plusieurs millions d’internautes ou quasi ont témoigné de leur inquiétude. Afin de rassurer la planète, voici quelques souvenirs d’une escapade grâce à laquelle la Tueuse a découvert la plage et dégainé sa fameuse excuse – assez peu crédible, reconnaissons-le, au vu du cliché – qui consiste à jurer, les yeux dans les yeux :

 

C’est pas moi qui ai fait le trou, m’sieur l’commissaire, j’étais même pas dans la voiture avec Bernard. Je crois que le coupable est plus ou moins un Chinois qui cherchait des terres rares et qui est parti en criant : « J’suis Chinois ! J’suis Chinois ! »

 

Utopie du Paradis des edelweiss sur la plage de Deauville, le 10 mars 2025. Photo : Rozenn Douerin.

 

En tant que berger belge, une fois, la demoiselle a tenté de garder ses blancs moutons, d’autant qu’il pleuvait plus ou moins ou qu’il allait pleuvoir comme dans la chanson – salut à toi, ô Normandie ! Il semblerait que la mer eût compris le message et se méfiât, désormais, de la rugosité tellurique de certains canidés.

 

Utopie du Paradis des edelweiss sur la plage de Deauville, le 10 mars 2025. Photo : Rozenn Douerin.

 

Bref, grise, grisée, grisante, l’aventure continue.

 

Utopie du Paradis des edelweiss sur la plage de Deauville, le 10 mars 2025. Photo : Rozenn Douerin.

 

Pelléas et Mélisande, Bastille, 28 février 2025 – 1/4

Décor unique de l’opéra (détail) par Emmanuel Clolus

 

L’étrangeté de Pelléas et Mélisande, « drame lyrique en cinq actes et douze tableaux », qui tient au texte de Maurice Maeterlinck et

  • aux harmonies,
  • aux textures et
  • au traitement des voix fomenté par Claude Debussy en 1902,

participe du succès persistant de l’opéra. La nouvelle production présentée à Bastille semble à la fois comprendre cet enjeu et la tension qui en découle, sans pour autant oser vraiment l’affronter.
L’histoire, elle, est presque simple. Golaud (Gordon Bintner), roitelet chasseur, découvre Mélisande (Sabine Devieilhe) dans une forêt où il s’est perdu. Il l’épouse au lieu de se marier avec une princesse, ce qui chafouine sans plus son grand-père Arkel (Jean Teitgen). Pelléas (Huw Montague Rendall), fils de Geneviève (Sophie Koch) comme Golaud, tombe réciproquement amoureux de Mélisande. Golaud tue Pelléas. Mélisande meurt de chagrin après avoir accouché, et c’est la fin.
La mise en scène de Wajdi Mouawad, le patron du théâtre de la Colline où il a tout loisir de produire ses propres pièces (jusqu’à fin 2025, puisqu’il vient de démissionner), hésite – et assume son hésitation – entre littéralité parfois surlignée (vidéo initiale de forêt signée Stéphanie Jasmin, ajout de bruitages d’oiseaux totalement inutiles avant que la vraie musique ne prenne place…) et utilisation symbolique de l’espace (structure unique du décor – une espèce de praticable en arc de cercle avec un rideau au fond où sont projetées les vidéos – signée Emmanuel Clolus) ou des accessoires de conte (un sanglier traverse la scène à deux pattes avant que Golaud ne l’évoque dans une tirade). Tout se passe comme si
le technicien voulait à la fois

  • dire et taire,
  • se conformer et divaguer,
  • expliciter et suspendre.

L’idée est séduisante ; à notre aune, la réalisation manque

  • de chair,
  • d’émotions et
  • de fulgurances

pour transformer la théorie en enjeu théâtral. L’orchestre, lui, placé sous la direction d’Antonello Manacorda, tâche de tirer l’œuvre vers le symbolique. Sa pâte musicale le révèle moins avide

  • de sursauts,
  • de dynamiques et
  • de contrastes

que de frémissements. Dans le prologue, on le découvre

  • poétique,
  • attentif à la souplesse du chef, et
  • coloré.

Dès sa première scène, le Golaud de Gordon Bintner paraît manquer de puissance, comme s’il privilégiait la prononciation – correcte – à la posture d’autorité de son personnage, confronté à la sensibilité diaphane de Mélisande. Celle-ci, incarnée par Sabine Devieilhe, a

  • le souffle,
  • le timbre,
  • la fragilité et
  • le souci du texte

qui lui donnent une épaisseur plus séduisante que si elle avait été réduite à une poupée de cire, une poupée de sons. Il faut bien cela pour que le spectateur puisse s’accrocher à une représentation souillée par les costumes d’Emmanuelle Thomas, effarants de pauvreté, et les coiffures ridicules dont Cécile Kretschmar affuble les chanteurs, au premier rang desquels Sophie Koch. La Geneviève de cette dernière fuit toute tentative de démonstration vocale pour se concentrer sur l’ajustement entre

  • texte,
  • personnage,
  • situation et
  • musicalité si particulière voletant autour d’un faux parlando.

 

 

L’Arkel de Jean Teitgen a, lui, la voix entre deux chaises. Il n’est pas assez basse profonde pour faire vibrer le rôle dans sa dimension la plus intime ; et il n’est pas assez baryton pour colorer autrement sa puissante partie. Aussi, en dépit d’un vibrato confinant sur certains registres au tremblement, cherche-t-il à souligner la complexité de son personnage : Arkel, c’est l’autorité, mais une autorité attaquée de toute part. Le roi est

  • vieux,
  • presque aveugle, et
  • même Golaud, qui lui était jusqu’alors soumis en tout, passe outre le mariage que son grand-père a décidé.

Comme Jean Teitgen, ce que semblent vouloir représenter Wajdi Mouawad et l’ensemble des interprètes, c’est ce battement entre

  • le langage,
  • l’intelligibilité,
  • l’onirique et
  • la diégèse.

Maurice Maeterlinck prête le flanc à ce possible, en interpolant

  • formules convenues et punchlines décoiffantes,
  • espace indistinct et topoi ultra reconnaissables,
  • dimension poétique et direction narrative on ne peut plus classique.

Admettons-le, le résultat dramatique n’est pas à la hauteur de ces hiatus stimulants.

  • Le praticable sur lequel crapahutent les artistes assèche l’imaginaire plus qu’il ne le développe, dans la mesure où il écrase chaque situation sur un dispositif peu ou prou identique.
  • Les vidéos semblent paradoxalement vouloir compenser la pauvreté du décor qui a pourtant été choisie par le metteur en scène, avec des effets Stabylo hélas presque cocasses (« je venais du côté de la mer » et, pof ! la vidéo montre la mer…).
  • L’utilisation abondante du rideau à lamelles en fond de scène ne tarde pas à lasser, bien qu’elle symbolise – lourdement, donc – ce travail sur la lisière entre
    • dicible et indicible,
    • visible et invisible,
    • décryptable et inaccessible.

Dès lors, la poésie du trio concluant l’acte premier, featuring

  • Sophie Koch, partagée entre nostalgie et fatalisme,
  • Sabine Devieilhe, dont la Mélisande commence à comprendre dans quel pétrin elle s’est à nouveau fourrée, et
  • Huw Montague Rendall, dont le Pelléas feint de lutter encore contre son inclination pour l’Interdite (en un mot ou avec trait d’union),

lutte pour élever une proposition scénique dont la force est la faiblesse : ne pas décider entre explicite et implicite, donc ne pas exploiter toute la puissance de l’un (assumer la lisibilité du récit malgré ses zones de brume) ou de l’autre (assumer la liberté poétique d’une fiction rétive à la factualité), en dépit d’un orchestre somptueux de mélancolie quand il répond à la question de Mélisande, à la fin du premier acte : « Oh, pourquoi partez-vous ? »


À suivre !

 

Causerie en approche !

D’après une photographie de Rozenn Douerin et une affiche de Marie-Aude Waymel. Création : Jann Halexander.

 

Avant la « causerie sur 24 faits extraordinaires (environ) sur la mort », Jann Halexander m’a invité à causer de la causerie. Voilà le résultat (cliquer sur l’hyperlien si l’insertion ne fonctionne pas).

 

 

Pour réserver une place à la causerie du samedi 15 mai, à 16 h, c’est ici.

 

On the road again (to Easter)

En attendant Pâques, le lapin ! (Photo : Bertrand Ferrier)

 

Dans le cadre de la série « Improvisations du samedi soir », le premier week-end de Carême était l’occasion de méditer en musique sur les tentations du Christ et notamment sur la symbolique des quarante jours dans le désert sans apéro, sandwich ni cassoulet. Soit, si un embryon informel d’exultet se faufile sur le seuil de la sortie, c’est certes un excès d’optimisme pour le moment. Baste, exultera bien qui exultera le dernier !

 

 

Irakly Avaliani joue Robert Schumann (2009) – 8/8

Quatrième du disque

 

Disque total ? En tout cas, disque ambitieux que ce Schumann par Irakly Avaliani que pendant deux semaines, nous avons

  • écouté,
  • lu grâce aux mots de Nancy Huston,
  • regardé grâce aux peintures de Masha Schmidt et, pour cette ultime chronique,
  • visionné, une vidéo proposée sur DVD à tiers-chemin entre
    • le vlog,
    • le publireportage pour le sponsor et
    • l’interviouve.

Une fois le piano installé dans le studio, le sponsor et la femme du sponsor laissent un petit mot, puis l’artiste prend la parole par la voix et les doigts pour revendiquer sa liberté dans le choix

  • dudit piano,
  • du répertoire,
  • de la prise de son et
  • de l’équipe technique.

 

 

Évoquant la femme du patron, Irakly Avaliani a ce mot : « Elle est tout le temps présente mais elle n’intervient pas. C’est un don ! » Le musicien insiste aussi sur la nécessité de prendre le temps de construire le son avec l’ingénieur, en l’espèce Sébastien Noly.Il faut avoir une haute vue du projet pour enregistrer

  • dans le désordre,
  • par petits bouts et
  • malgré les facéties mécaniques comme cette révolte de l’étouffoir que Pierre Malbos est là pour tamiser ou dissoudre.

D’autant que, à la chronologie technique s’ajoute une chronologie humaine, marquée par exemple par une première journée toujours très difficile car « il faut s’habituer au piano ». Irakly Avaliani évoque d’autres grandes difficultés du studio.

  • La première est la relativité du temps, autrement dit le côté imprévisible et non proportionnel des prises nécessaires (parfois trois pour une pièce de dix minutes, parfois un million pour une miniature de trente secondes, mais toujours un planning à tenir).
  • La deuxième est la nécessité du courage qui implique, parfois, de ne pas choisir la plus belle prise pour privilégier, sans doute, la plus vibrante, osée, parlante.
  • La troisième est la fluidité de la musicalité, liée à l’idée que, pour un musicien, la musique est toujours une « voie de perfectionnement », si bien qu’un disque peut fixer un instant, fût-il étendu sur quelques jours, mais non un climax toujours à venir.

L’espoir qui anime l’artiste reste, au terme de ce making of dont le rapport entre titre et contenu nous échappe, confessons-le, de

  • partager avec les curieux,
  • vivifier des œuvres puissantes et
  • jouer en posant, dès 2009, que peu importe l’avis des Experts Sachants Auto-autorisés car « il n’y a plus de critiques ».

Ces huit épisodes passés à raconter notre Irakly Schumann par Robert Avaliani n’ont donc jamais existé que dans nos esprits. Ma foi, c’est déjà pas si pire !


Pour retrouver les précédents épisodes, cliquer sur 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7.
Pour écouter gracieusement l’intégralité du disque, c’est ici.

 

Mama Béa et LA Ribeiro vibrent (pour) toujours

L’affiche (best of)

 

Voilà des années que j’ai enfin osé chanter Mama Béa Tekielski avec un répertoire sans cesse changeant tant le catalogue est vaste. Voilà des années que l’ami Jann Halexander chante Catherine Ribeiro avec cette liberté qui le caractérise.

  • Pas d’imitation,
  • pas de fake,
  • pas de chougne féministe,

juste, et c’est pas rien,

  • l’urgence du partage,
  • l’envie de la découverte,
  • le plaisir du répertoire.

 

 

De la chanson (qui plus est pour Béatrice Tekielski, dont j’ai choisi des chansons qui ressemblent presque à des chansons),

  • incarnée,
  • multiple,
  • virevoltante.

Une envie qui emmerde

  • les modes,
  • les bienséances,
  • les coteries.

 

 

Une proposition qui trouve preneur dans l’arrière-salle de la librairie anar de Paris, pour un concert

  • pétillant,
  • rugueux et
  • dialogué

avec la participation des puissants guitaristes fouyouyous, chacun à sa manière, Sébastyén Defiolle et Claudio Zaretti. Entrée carrément libre, sortie tout autant. Avec vous serait un plus. Rendez-vous 145, rue Amelot, Paris 11.

 

Irakly Avaliani joue Robert Schumann (2009) – 7/8

Première du disque

 

Nombre de la vingtaine d’épisodes composant le Carnaval op. 9 de Robert Schumann, dont l’écoute a commencé ici avant de se poursuivre , fonctionnent deux par deux. Ils peuvent être

  • enchaînés (« Arlequin » succède à « Pierrot », « Florestan » à « Eusebius »)
  • fusionnés (« ASCH – SCHA ») ou
  • dissociés : l’intermède paganinien ne suit pas l’hommage à Chopin, et Estrella, portrait de femme qui nous intéresse à présent, ne succède pas directement à « Chiarina », évocation de Clara Wieck.

Cette non-systémacité évite d’enfermer l’écriture dans un système guindé pour lui accorder une forme de liberté carnavalesque de circonstance. « Estrella », évocation d’Ernestine von Fricken est une valse en fa mineur.

  • Vivacité des deux tempi,
  • tonicité des octaves,
  • contraste des nuances dans les parties A et B,
  • enjambements haletants des mesures, et
  • brièveté de la miniature

saisissent l’auditeur, faisant écho au texte de Nancy Huston qui dialogue, dans le livret, avec les peintures de Masha Schmidt, et assume ses embardées quand elle décrit la brutalité comme une « caresse trop rapide », devenant une gifle grâce à laquelle « nous nous sommes embrasés » au feu de la « gracieuse beauté de l’aléatoire ». « Reconnaissance », hit du recueil, garde les quatre bémols mais bascule en deux temps et en mode majeur. Sous ses airs primesautiers, l’animato n’en relève pas moins d’un défi musical autant que technique, la main droite étant partagée entre une mélodie à jouer legato et des notes répétées à l’octave inférieure qui elles, doivent être « sempre staccato ». Comme si, en réalité, tout cela n’était que fastocheries pour première année de premier cycle,

  • les charmantes modulations,
  • les effets d’écho de la partie centrale entre soprano et basse,
  • la volte d’humeur et
  • la non-fin en suspension

sont restitués par l’interprète avec

  • une habileté,
  • un entrain et
  • une poésie

aussi entraînants que remarquables. « Pantalon et Colombine », qui conserve le rythme binaire mais revient en fa mineur, est un autre exemple de duo fusionné.

  • Vivacité sachant être inclure d’habiles respirations,
  • netteté des staccati,
  • soin apporté aux transitions et aux finitions (ironie parfaite des deux derniers accords)

ravissent le tympan. Se présente alors un duo embrassé, cette fois : la « Valse allemande » est jouée avant et après l’intermède hommageant – et hop – Paganini. Le thème principal, en fa mineur, associe

  • virulence des octaves et notes répétées,
  • légèreté des doubles faisant osciller la mélodie et
  • plaisir roboratif des doubles reprises que l’on retrouvera pour partie après l’intermède.

« Paganini » est un presto furieux en mode majeur et à deux temps, dont les mouvements contraires des deux mains exigent

  • de redoutables réflexes à la senestre,
  • une excellente articulation pour garder sa lisibilité à ce torrent d’octaves et de doubles, et
  • une hauteur de vue qui, par
    • les nuances,
    • les touchers et les accents, ainsi que par
    • l’usage très précis de la pédalisation

offrent à ce mitan contrasté le lustre qui permet à la virtuosité de rutiler sans abandonner le projet de musique au profit de la seule esbrouffe. Un « Aveu »

  • « passionato » mais intériorisé,
  • en fa mineur mais tenté par le La bémol,
  • à deux temps mais prêt à élargir la mesure par l’agogique de l’interprétation ou le ritardando exigé par le compositeur,

suggère avec délicatesse, à travers ses contradictions, les ravissantes affres amoureuses.

  • Chromatisme disant sans dire,
  • deux-en-deux avançant sans avancer, et
  • reprise développant sans développer

semblent dessiner, piano, les contours ineffables – eh oui – du sentiment.

 

 

Ternaire et en Ré bémol, la « Promenade » qui lui succède et peut-être le prolonge est ici source de contrastes tranchés dans

  • les attaques,
  • les nuances et
  • les phrasés.

Irakly Avaliani ne croit pas à la sensiblerie mais n’est pas insensible aux sentiments schumanniens, plus souvent montagnes sismiques que lignes lisses tant qu’ils sont vivants. La micro « Pause » en La bémol est souvent lue comme une farce de Robert Schumann, pas forcément réputé pour son boute-en-trainisme, car elle est tout sauf reposante. Au contraire, elle exprime

  • une puissance agitée,
  • une envie d’en découdre et
  • la nécessité d’évacuer l’énergie accumulée pendant les deux derniers épisodes, plus calmes.

Ainsi le piano débaroule-t-il tout feu tout flammes dans la « Marche des Davidsbündler contre les Philistins », désignant le fight entre un club imaginaire de gens parfois réels mais pas toujours, ligués contre les bourgeois, c’est-à-dire ceux qui n’aiment pas la musique de Robert Schumann (je synthétise). Le pianiste en fait sentir la colère sans feinte subtilité. C’est évidemment malin car la transition vers la partie centrale est d’autant plus efficace.

  • À la brutalité succède la légèreté ;
  • à la linéarité de la baston et de la fanfaronnade se substituent les à-coups de la rage et de l’urgence
    • (« accelerando »,
    • « animato »,
    • « vivo ») ;
  • à l’uniformité du fortissimo répond une large palette d’intensités ainsi que de précieux crescendi.

Irakly Avaliani y associe

  • virtuosité digitale,
  • inventivité esthétique,
  • souci des détails et
  • variété des couleurs.

Une conclusion

  • bariolée,
  • frémissante ici,
  • brillante là, et
  • investie à souhait

pour parachever un Carnaval dont la présente exécution associe

  • une grande finesse,
  • une indispensable capacité à restituer les innombrables versatilités thymiques entre les épisodes mais aussi au sein même de nombreux mouvements, et
  • une compréhension profonde d’un compositeur

dont la bipolarité consubstantielle au narratif qui l’écrase parfois de nos jours n’est point, ici, pathologie ou caricature, mais fructueuse source d’étincelles et, par force, d’incendies qu’il n’est pas indécent, pour une fois, de contempler avec

  • joie,
  • gourmandise et
  • ravissement.

Et dire que, en guise de bis, un bonus nous attend : chic !


Pour retrouver les précédents épisodes, cliquer sur 1, 2, 3, 4, 5 et 6.
Pour écouter gracieusement l’intégralité du disque, c’est ici.