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Fruits de la vigne – Instinctive (L’Affût)

Photo : Rozenn Douerin

 

Parfois, suite à une demande spéciale ou à une inspiration qui lui est propre, le dealer de vins se faufile dans le labyrinthe de sa réserve et en revient une quille à la main et des pétillements dans les yeux. Sans hésiter, il affirme : « Ça, tu vas aimer. » Ce jour-là, « ça », c’est un Touraine inventé en Sologne par Isabelle Pingault, étiqueté avec soin et, c’est l’usage dans tant de vignobles, namé plus que nommé « Instinctive ». La raison :

 

Quand on devient jeune vigneronne, sans transmission familiale, et qu’on réalise son premier millésime, la seule chose à laquelle on peut se fier, c’est son instinct.

 

Un instinct bien tempéré par des études d’agronomie et d’œnologie, mais un instinct quand même, qui asseoit ce vin de France – appellation jadis infamante, aujourd’hui revendiquée par des vignerons cherchant à créer leur jus quitte à déroger aux règles des appellations locales – sur environ

  • 90 % de sauvignon blanc,
  • 5 % de chenin et
  • 5 % de menu pineau

(la recette originelle introduisait, elle, du chardonnay, lequel a disparu dans la cuvée proposée à notre dégustation si l’on en juge à l’étiquette de dos). La robe est

  • unie,
  • presque diaphane,
  • à peine éclairée par une teinte d’or modestement diluée.

Le nez

  • est discret,
  • diffuse une fraîcheur agrumée et
  • préfère la finesse à l’outrecuidance.

La bouche déploie

  • une douceur ronde,
  • une souplesse élégante et
  • une amertume bienvenue

avant de se stabiliser autour d’une finale résolument pamplemousse, à en croire nos papilles et naseaux de non-spécialiste. Le mariage avec une choucroute est particulièrement séduisant : le calme du chou, oscillant entre sucré satisfaisant et acidulé stimulant, renforce l’intrigante amertume du vin sans lui ôter sa rondeur joliment construite.
Il paraît que les quilles de la même appellation voire du vignoble tout entier risquent de se faire rares jusqu’à disparaître dans les mois ou les années à venir. Ce serait fort dommage, vu l’instinct de leur fomentrice. Moi, la dernière fois que j’ai eu de l’instinct, c’est quand je me suis réveillé en me disant : « Je suis sûr qu’il est 8 h 37 » et que, en effet, il était 8 h 37. Il faut croire que, dans la vie, certains ont l’instinct aromatique, d’autres l’instinct 8 h 37. Maudit sois-je d’avoir hérité du second !

 

Jean-Nicolas Diatkine, “Live à Gaveau” (Solo musica) – 2/3

Première du disque

 

Sommet – pas unique, évidemment, mais très sommital quand même – du répertoire du dix-neuvième siècle pianistique, l’impressionnante sonate en si mineur de Franz Liszt a récemment connu de nombreuses interprétations prenant, chacune à sa façon, le défi à bras-le-corps. Parmi elles,  quelques-unes, incluant celle de Jean-Nicolas Diatkine, ont été croquées sur ce site. La revoici, fixée sur disque, sous les doigts d’un pianiste axant son propos sur la narrativité du drame de Faust – selon lui, chaque motif récurrent est comme un personnage (Faust lui-même, Marguerite, etc.) et la demi-heure de musique est une longue histoire grave et secouante qu’il conte à ses auditeurs.
En guise de « il était une fois », un prélude, lento assai, dont les unissons s’ancrent profondément dans les profondeurs du piano. Le musicien n’y surjoue pas la tension dramatique, préférant, par

  • le tempo,
  • les dynamiques et
  • les choix de pédalisation,

avancer vers l’allegro energico qui s’annonce. Là encore, le conteur la joue finaude en préférant

  • le suspense au vacarme,
  • l’intrigant au pétaradant, et
  • l’irrégularité du surgissement à l’univocité du terrifiant.

Se déploient

  • doigts déliés,
  • poignets souples et
  • conduite fermement tenue non pas en dépit de la virtuosité mais comme en contrepoint à cette exigence vertigineuse.

D’impressionnantes séries d’octaves conduisent à la première grande modulation et la nourrissent jusqu’au grandioso en Ré et à trois temps. Avec art, Jean-Nicolas Diatkine souligne la tension entre

  • lyrisme,
  • fragmentation et
  • mutations chromatiques des leitmotivs.

En guise de développement, Franz Liszt s’amuse à jouer, derrière une apparence quasi rhapsodique, sur l’itération

  • de séquences identifiables dont il modifie la couleur,
  • de ruptures que leur répétition apparente à des à-coups laissant présager une explosion longtemps suspendue, et
  • de contrastes récurrents, tantôt progressifs et tantôt brusques voire brutaux.

La partition

  • regorge d’irisations drapant de moire les thèmes mâchés et remâchés,
  • multiplie les changements de registres donnant une ampleur époustouflante à l’instrument et
  • associe de nombreux types d’écriture (plus ou moins mesurée, percussive, spectaculaire).

L’interprète doit donc associer

  • brio hors du commun,
  • familiarité avec un matériau plus que dense pour qu’il sonne et ne se contente pas de bruiter,
  • science de la musicalité pour danser en écho de la narration.

Force est d’admettre que l’on est ébaubi par la capacité de Jean-Nicolas Diatkine à faire sonner les voltes

  • de tonalité,
  • de caractère et
  • d’intensité…

… le tout en concert, sans filet de sécurité. Un andante sostenuto et un quasi adagio peinent à apaiser durablement la situation, ce dont témoignent les incessantes mutations de nuances, de registres, de tonalités, de phrasés et de mesures.

C’est

  • musicalement puissant,
  • techniquement improbable
  • et intérieurement magnifique,

voilà.

 

Jean-Nicolas Diatkine à la salle Gaveau, le 4 décembre 2023. Photo : Rozenn Douerin.

 

La maîtrise

  • du tempo,
  • de la construction narrative et, évidemment,
  • du clavier

sidère assez pour embarquer le spectateur dans une aventure qui, certes, sur notre exemplaire, ne correspond pas aux pistes indiquées, mais, franchement, on s’en tampiponne le bibobéchon : cette erreur d’édition n’impacte en rien la lecture et notre désir de savoir la suite comme si, au lieu d’écouter Faust by Liszt, on était aux basques de la plus catchy des séries du monde interstellaire.
L’allegro energico en fugue (techniquement : des voix vont s’enchevêtrer, mais aussi accidentelle : on passe de six dièses à cinq bémols) éblouit à son tour.

  • Efficience formidable du staccato,
  • clarté improbable de la polyphonie,
  • habileté des modulations – qui revient au compositeur et à l’interprète capable d’en faire sentir l’inéluctable logique pas si logique que ça,
  • variété des attaques,
  • énergie de la virtuosité et des contretemps,
  • perfection de la maîtrise des registres :

la réécoute du concert auquel on a assisté

  • revigore,
  • réjouit et
  • élève.

Le più mosso qui suit pourrait n’être qu’une démonstration insolente de savoir-faire s’il ne se teintait

  • de poésie (l’attention aux suspensions !),
  • de dramaturgie (l’improbable cohérence des changements de caractère !) et
  • de l’aura qu’a le piano quand il devient plus grand que lui-même.

Le retour en majeur et son sublime aboutissement entre

  • binaire,
  • ternaire et
  • liberté des traits

(donc les trois à la fois) est d’une netteté et d’une émotion à tomber. Tout est accompli avec

  • finesse,
  • intention et
  • compréhension holistique donc personnelle de la partition.

La strette puis le presto puis le prestissimo stupéfient et émeuvent tout autant,

  • techniques,
  • grandioses et
  • résonants

qu’ils sont. L’andante sostenuto tente de calmer l’histoire. En vain, protestent l’allegro moderato (et, en fond, l’excellent écho du métro, parfait comme l’était l’orage, lors du concert 2021 de JND). L’interprète excelle à

  • associer l’inassociable,
  • rendre cohérent l’irréductible,
  • surplomber le diffus

Le lento assai boucle la boucle. Même si nous aimerions nous laisser éblouir par l’illusoire espérance de l’enciellement esquissé par les accords de la main droite, ne nous attend que le si le plus grave du piano. Désespérant donc magnifique.

 

À suivre !


Pour acheter le disque, c’est par exemple ici.

 

Penser la mort, modes d’emploi

Photo : Rozenn Douerin. Affiche : Studio MA.

 

On n’aime pas y songer, mais c’est une réalité : quelque 700 000 Français meurent chaque année. Un beau jour (ou peut-être une nuit), 100 % des êtres vivants font de même et ce, depuis des milliards d’années environ. Pourtant, personne ne sait ce que c’est, la mort, bien que beaucoup – religieux, scientifiques, illuminés, artistes, etc. – prétendent le contraire. Après avoir longuement plongé dans ces eaux noires pour un projet éditorial qui n’a finalement pas vu le jour, je suis remonté à la surface avec quelques éléments de réponse donc pas mal de questions que je propose de partager à l’occasion du « jour des morts » qu’est le 2 novembre.
En m’appuyant sur une très riche documentation et une enquête sans concession, loin de tout prosélytisme idéologique ou spirituel (c’est pas trop le genre de la maison), je vous invite à un parcours

  • léger,
  • décalé,
  • vivifiant (si),
  • accessible à chacun et
  • rythmé par quelques fredonneries sur le thème du jour.

Ainsi, avec la participation mortelle de Jann Halexander, nous nous promènerons sur les chemins de traverse situés entre la conférence très sérieuse et le one-man-show farfelu, pour nous aider à mieux réfléchir à ce qui nous attend tôt ou tard. Les infos :

  • samedi 2 novembre, 16 h ;
  • durée : 1 h 15 environ ;
  • théâtre-atelier du Verbe | 17, rue Gassendi (Paris 14) | métro : Gaîté ;
  • réservations ici ;
  • événement inspiré par La Mort, modes d’emploi, disponible en pdf ici.

 

Peter et Zoltan Katona, “Alhambra Inspirations” (Solo musica) – 2/3

Première du disque

 

Comme la première partie du disque des frères Katona, la deuxième comprend un duo de guitares puis un concerto écrit par Peter Katona. L’arrangement qui ouvre ce tiers-temps investit « Oriental », la deuxième des Douze danses espagnoles pour piano op. 37 d’Enrique Granados, ici transposée pour deux guitares. On y apprécie les nuances

  • d’intensité,
  • de couleur et
  • de jeu (dont témoignent les harmoniques).

Le lento assai central est lui aussi baigné dans une lumière habilement modulée ; et la reprise du premier motif conforte l’évidence

  • d’une technique,
  • d’une habileté et
  • d’une musicalité très séduisantes.

 

 

Ravaudant trois sonates de Domenico Scarlatti en un double concerto, Peter Katona se propose même de terminer le troisième mouvement en « un morceau de heavy metal » avec impros rock et solo de percu claqué par les guitares, diable ! L’allegro se présente comme une pièce beaucoup plus sage qu’étoffe paisiblement la Chapelle musicale de Tournai sous la direction de Philippe Gérard.

  • Ornements vivifiants,
  • dialogue avec l’orchestre ou la flûte, et
  • breaks suspensifs

animent notamment le récit. Sans convaincre tout à fait de l’intérêt musical de la chose, le résultat n’en demeure pas moins entre

  • mignon,
  • joliment tourné et
  • élégant.

L’aria déplie le mode mineur et sa mélancolie presque consubstantielle.

  • Langueur,
  • nostalgie et
  • un brin de fatalisme

émanent de la partition, troussée avec un savoir-faire certain. L’intervention des cuivres y ajoute la dramatisation qui va bien avant que le retour au calme n’égrène à nouveau le thème à découvert.

 

 

« Scarlatti’s Metamorphosis » enquille avec un « attaca subito » où l’énergie des guitares s’amuse de ce tube de Scarlatti, la sonate K141, souvent métamorphosé, en effet (on pense par exemple à l’excellent arrangement pour sept toy pianos et contrebasse inventé par Pierre Bastaroli pour l’ensemble StaccaToys).

  • Célérité,
  • tonicité des attaques,
  • suspensions,
  • inclusion d’un tambourin

n’ont pas grand-chose de heavy metal mais s’écoutent avec intérêt et amusement, ce qui n’est pas la pire des façons d’écouter la musique savante qui prend plaisir à sortir de son sillon. Le passage central, virtuose et inattendu, est parfaitement bienvenu et accentue le sourire de l’auditeur. Une excellente manière de donner envie d’ouïr la dernière partie de ce disque, ce que nous raconterons dans une prochaine notule.

 

À suivre, donc !


Pour écouter le disque gracieusement et en intégrale, c’est par exemple ici.

 

Pour une histoire du cool

Affiche (détail) : studio MA

 

1.
Le concept

S’il est un mot et une idée que nul n’associerait spontanément à l’orgue, c’est bien le cool. Armé de son sax soprano, Pierre-Marie Bonafos a accepté de s’associer à moi pour démontrer que cette prévention est infondée. Ce récital – opportunément programmé en point d’orgue aux vacances… – veut donc raconter une histoire du cool, défini comme un état

  • calme,
  • détendu et
  • doux.

Ennuyeux, en somme ? Au contraire ! Le cool est le comble

  • de l’exotisme,
  • du jubilatoire et
  • du polymorphe

dans une vie où, bien souvent, tout est davantage

  • stress,
  • bousculade et
  • précipitation

que calme, luxe et volupté. Le cool, c’est

  • l’art de faire un pas de côté pour se poser dans la nuance de cool qui nous convient,
  • la capacité à se laisser saisir par un bien-être inattendu quand nous y invite le cool,
  • le moment magique où, lorsque vibre le cool, sans forcément planer sur des cimes mystiques, l’homme s’élève au-dessus du grouillement perpétuel qui anime ses congénères.

À contre-courant

  • de l’agitation,
  • du clinquant et
  • de la hype autoproclamée (le pseudo cool),

Pierre-Marie et moi comptons bien ruer paisiblement contre

  • la hâte,
  • le brassage d’air compulsif et
  • les cavalcades.

 

 

Selon les termes à la mode censés être cool, ils proposent une « expérience de concert » où chaque spectateur est invité moins à écouter qu’à vivre le cool. L’objectif ? Partager un instant suspendu où chacun serait libre de goûter

  • le bercement hypnotique d’un hymne minimaliste,
  • le déploiement progressif d’un thème émergent,
  • la ruse bienfaisante qui transforme un bourdon – à la fois note tenue et mélancolie intérieure – en sourire rayonnant,
  • la joie d’une mélodie simple surgissant du silence,
  • la beauté de variations refaçonnant petit à petit un air connu en transe extatique,
  • la capacité d’un motif à nous projeter instantanément dans un état de bien-être,
  • la redécouverte du plaisir du son à travers des harmonies saisissantes…

En trois parties enchaînées et articulées autour du balancement entre

  • musique écrite, improvisation et (presque) tout ce qui se peut glaner entre les deux pôles,
  • golden hits revisités, redécouverte du patrimoine et créations,
  • pièces conçues pour orgue et saxophone ou tranquillement investies par ces instruments,

Loin de nous contenter d’enfiler une panoplie lisse de musiques planantes (c’est pas trop notre tempérament !), Pierre-Marie et moi vous invitons à une séance surprenante… et résolument cool.

 

2.
Le programme environ

I. Neuf nuances de cool

1. « Bourdon en Ut » de Pierre-Marie Bonafos (1967) | 4’

2. Huit pièces pour trompette et orgue de Jean Langlais (1907-1991) | 26’

Cantabile | 3’30
Vivo | 1’30
Modéré | 2’30
Andante | 4’
Adagio | 2’30
[Sans indication de mouvement] | 5’
Allegro | 2’
Allegro vivace | 3’

 

II. Deux invitations au cool

3. « First song » de Charlie Haden (1937-2014) | 4’

4. « Simbolo di pace » de Robert M. Helmschrott (1938) | 12’

 

III. Cinq façons de laisser vibrer le cool

5. « Etc. » de Pierre-Marie Bonafos | 4’

6. Un florilège cool | 14’

Un arioso (BWV 156 et 1056) d’après Johann Sebastian Bach (1685-1750) | 3’
Une « Folia » (traditionnel du xve siècle) | 4’
Un quatrième prélude de Frédéric Chopin (1810-1849) | 3’
Un adagio d’Albinoni d’après Remo Giazotto (1910-1998) | 4′

 

Durées données à titre indicatif. Fin du concert vers 18 h 40.


Après avoir obtenu le diplôme supérieur de concertiste de l’École Normale de Musique de Paris, Pierre-Marie Bonafos s’est consacré à ses passions : la musique (il maîtrise tous les saxophones, les clarinettes et une flopée d’autres instruments), la composition et les arrangements (pendant le confinement, il a écrit et enregistré une version jazz exceptionnelle des Tableaux d’une exposition de Moussorgski) et l’enseignement (il a été professeur de saxophone, de jazz et d’improvisation au Conservatoire à Rayonnement Départemental de Gennevilliers pendant 22 ans…). Amoureux du jazz, passionné de big band, celui qui a été le saxophoniste préféré de l’Orchestre philharmonique de Radio-France a aussi exploré avec sa compagne organiste les merveilles de la musique savante-mais-pas-toujours-si-sage – audaces qui ont eu l’honneur d’être invitées à plusieurs reprises à la tribune de l’église de la Madeleine.
Organiste-conférencier du musée national de la Renaissance d’Écouen pendant douze ans, Bertrand Ferrier est organiste de Saint-André de l’Europe (Paris 8) depuis plus de vingt ans et adjoint aux grandes orgues de la collégiale de Montmorency (Val-d’Oise) depuis plus de dix ans. En tant que concertiste, il s’est notamment produit aux grandes orgues de Saint-Eustache et de Saint-Augustin, de la cathédrale de Gap, des collégiales d’Eu et de Pézenas, de l’abbaye de Royaumont et de l’église Sainte-Julienne de Namur. Voilà de nombreuses années, qu’il « coollabore » régulièrement avec Pierre-Marie Bonafos pour des projets de musique très classique, très jazz, très chanson, et parfois un peu des trois ; et c’est cool.


 

3.
Les infos concrètes

  • Dimanche 3 novembre, 17 h 30 ;
  • durée : 1 h 5′ environ ;
  • chapelle du Val-de-Grâce | place Alphonse Laveran (Paris 5) | métro : Port Royal ;
  • entrée libre, sortie aussi mais possibilité de déposer des billets de 200 € ou environ si l’on en dispose (et que l’on veut les déposer, évidemment).

 

Jean-Nicolas Diatkine, « Live à Gaveau » (Solo musica) – 1/3

Première du disque

 

Plus de vingt ans après son premier disque, Jean-Nicolas Diatkine ose publier un enregistrement en concert, gardant ainsi trace de deux concerts donnés dans une salle qu’il connaît et s’apprête à retrouver le 16 décembre à 20 h 30. Ce n’est pas rien et, pourtant, la proposition s’ouvre sur six « petites choses » parmi les vingt-cinq bagatelles griffonnées par Ludwig van Beethoven. Le recueil opus 126 place en tête un andante, ternaire en Sol, à jouer « con moto cantabile e compiacevole ». Le concertiste en rend la tension entre

  • retenue et allant,
  • liberté et mesure,
  • foucades et itération.

Lui succède un allegro binaire en sol mineur, cette fois. Là encore, les ruptures de caractère exigent de l’interprète qu’il sache

  • changer de toucher en un clin d’œil,
  • caractériser chaque bribe par une intensité spécifique et, sur la durée,
  • créer
    • un liant,
    • une unité,
    • une résonance commune

qui rendent raison des contrastes si beethovéniens qui lui sont proposés. Le second andante, « cantabile e grazioso » et en Mi bémol, lui, est ternaire comme l’était le premier. L’interprète y est particulièrement attentif à la complémentarité entre

  • une première partie verticale,
  • une partie centrale rubato et
  • une dernière partie « à l’italienne » (accompagnement à gauche, ligne mélodique à droite).

 

 

La mi-parcours franchie, se présente un presto canaille en si (mineur puis majeur puis re-mineur).

  • Doigts décidés,
  • vigueur des accents et des puissantes notes répétées, et
  • clarté des unissons

drapent de musicalité une miniature à la fois

  • déliée,
  • narrative et
  • joliment complétée par la quasi barcarolle majeure, entre charmeuse et mystérieuse.

Un quasi allegretto en Sol et six croches à la mesure offre à l’auditeur

  • la joie du balancement doux,
  • le plaisir de l’agogique délicat qui suspend la phrase pour l’éclairer et la laisser respirer, et
  • la dramatisation bienvenue qu’apportent, çà et là, des crescendi et des piani subito de toute beauté.

La dernière bagatelle illustre la ligne de force du recueil – cette confrontation, dans chaque pièce, entre des pulsions ou, selon les petites choses, des inclinations contradictoires. Il s’agit d’un presto (en ouverture et conclusion) et d’un andante « amabile e con moto ». Donc un truc qui va super vite mais pas longtemps, et un truc qui va lentement mais un peu vite quand même. Jean-Nicolas Diatkine fait droit à ce miroitement sans céder à la caricature.

  • Face à la fureur du prélude, l’andante évite le mignon pour privilégier le swing très vite doublement ternaire (trois temps avec chacun un triolet) ;
  • face à l’évidence du développement, l’interprète cisèle les zones de mutation par des choix pensés et néanmoins sensibles
    • de phrasés,
    • de nuances et
    • d’accentuations ;
  • face à l’unicité du tempo, le pianiste travaille
    • l’élargissement de la mesure,
    • les mutations de couleurs, et
    • la manière de poser le retour d’un thème déjà souventes fois entendu par
      • un léger ritendo,
      • une petite respiration ou, par exemple,
      • un toucher différent.

 

 

Un premier épisode

  • captivant,
  • audacieux et
  • joliment tourné.

 

À suivre !


Pour acheter le disque, c’est par exemple ici.

 

… et à l’heure de notre mort

Jann Halexander en la collégiale Saint-Martin de Montmorency (Val-d’Oise), le 27 septembre 2024. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Alors qu’il pratiquait peu l’athlétisme, Yannick Daguerre pratiquait beaucoup l’éclectisme. Lors du concert saluant sa mémoire, le 27 septembre, en la collégiale Saint-Martin de Montmorency, impossible de passer sous silence, au sens propre, son travail de musicien populaire.
Pour l’illustrer, outre l’improvisation inspirée par un thème funk du maître, choix fut fait de se référer à un intrigant album africanisant que le très sérieux organiste et professeur avait claqué et dont des extraits sont disponibles sur YouTube. En écho à son « Requiem pour un éléphant », Jann Halexander accepta de glisser son propre « Souvenir d’Hadrien », inspiré de Marguerite Yourcenar, les deux titres évoquant le seuil fatidique que Yannick a franchi et qui nous attend. Dans une enceinte sacrée, ces méditations profanes résonnèrent avec force. La preuve en vidéo.

 

 

Peter et Zoltan Katona, « Alhambra Inspirations » (Solo musica) – 1/3

Première du disque

 

Pas vraiment destiné au public hexagonal puisque, en dépit de son ancrage belge, le disque physique propose un livret exclusivement anglophone, le projet exige un triple pari de l’auditeur pour accepter

  • la réécriture de standards,
  • l’adaptation de partitions sacrées à force d’être des golden hits de la musique savante,
  • la création de chimères suscitée par les circonstances,

en l’espèce la présence d’un duo de guitaristes jumeaux. Pas question pour Peter Katona de s’en tenir à un arrangement, autrement dit à un bricolage. Il compte remodeler les pièces en fonction de son inspiration propre.

 

 

Ainsi, à la pièce originale d’Isaac Albéniz (qui n’a pas le droit à son accent officiel, sans doute trop épuisant à ajouter), extraite de la Suite espagnole op. 47, le réécriveur promet de substituer au piano deux guitares et d’y ajouter des passages pour valoriser « ses racines arabiques et flamencas » à travers

  • un prélude (« Asturias » étant originellement lui-même un prélude à la pièce suivante),
  • une guitare percussive façon flamenco,
  • des mélodies additionnelles et
  • des « special guitar effects ».

Le résultat ? Moins une interprétation, comme promis, qu’une réinterprétation qui

  • puise dans différents idiomes modaux et stylistiques,
  • insiste sur le groove donc la rythmique,
  • recrée une sonorité spécifique qui n’hésite pas à osciller selon les motifs.

Même liberté auto-octroyée pour le « Double concerto Tárrega » (le compositeur étant souvent privé de son accent, sans doute trop épuisant à ajouter, décidément), composé pour deux guitares à partir de mélodies inspirées des œuvres de Francisco Tárrega puis orchestré par Peter Katona avec des idées assumées comme singulières – ainsi de « Gran Vals », utilisé par Nokia en tant que sonnerie et que le guitariste a utilisé « comme si la sonnerie de Nokia avait inspiré Tárrega », enough said. La réalité, c’est que ça fonctionne.
En effet, le premier mouvement – Gran Vals, donc – s’ouvre par la sonnerie, avec une cédille, avant de se lancer sur une valse entraînante où les guitares n’ont pas toujours le rôle principal, d’où le principe de concertation présidant à la pièce. Certes, l’enregistrement de Frédéric Briant, trop soucieux de lisibilité, manque souvent de naturel dans l’équilibre entre les forces en présence, mais la promesse de divertissement plaisant est assurément tenue : c’est sans doute un brin andrérieusque, cela reste amusant à souhait.

 

 

Le deuxième mouvement, « Alhambra inspiration », si important pour le disque, s’amuse autour du tube de Francisco T., en le rapprochant avec la progression d’une « caravane de chevaux dans un désert arabe ».

  • Harmoniques,
  • interventions arabisantes du hautbois,
  • exotisme du tambourin et
  • soyeux du combo bois – cordes

habillent ce qui s’apparente à une bluette mignonne tentée par le boléro. Le troisième mouvement, « Capricho arabe », revendique de mieux valoriser le passé mauresque de l’Andalousie que ne le fit Francisco Tárrega.

  • Dramatisation topique,
  • sautillements retenus,
  • alternance orchestre – solistes aux grands ongles

organisent une partition peu surprenante mais agréablement troussée et pimpée par une cadence en duo enlevée avec la maestria pyrotechnique qui sied à ce genre d’exercice. Au terme de cette première partie, le duo a mis en évidence

  • un savoir-faire certain,
  • une dextérité incontestable, même si on la préfèrerait sans doute plus à découvert (cela viendra), et
  • une volonté de charmer l’oreille qui n’est pas le plus grand défaut des musiciens savants.

 

À suivre !


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Festival Érard, Salle Érard, 13 octobre 2024

Vinciane Béranger et Françoise de Maubus le 13 octobre 2024 à la salle Érard (Paris 2). Photo : Bertrand Ferrier.

 

Le dernier des cinq concerts proposés sur trois jours par le festival Érard s’intitule, sans doute avec ironie, « Chefs-d’œuvre ultimes ». Il s’ouvre sur la sonate pour basson et piano op. 168 de Camille Saint-Saëns. L’allegretto moderato suinte, sous les doigts de Mirai Sumino et le souffle de Victor Dutot, d’un mélange

  • de douceur,
  • d’évidence, et
  • d’apparente simplicité.

Une relecture téléologique pourrait imaginer que, à la fin de sa vie, le compositeur épure les effets pour revenir à l’essentiel : elle serait stupide, mais peut-être pas que. L’allegro scherzando montre un basson pétillant et une accompagnatrice à sa résonance, entre

  • légèreté,
  • agilité et
  • rebond des questions-réponses.

Le molto adagio conclusif allie

  • tranquillité,
  • allant posé et
  • souci du dialogue

avant qu’un finale tonique n’emballe l’affaire et ne suscite l’enthousiasme admiratif du public – plus pour la performance et la rareté que pour une partition certes maîtrisée mais, à nos esgourdes, pas vraiment chef-d’œuvresque. De Claude Debussy, l’équipe a choisi la sonate pour flûte, alto et harpe, sans doute l’une des seules pour une telle formation (c’est aussi pour cela que l’on vient jouir du festival !). Hormis le fait que le festival s’appelle Érard et la salle qui l’accueille itou, on ne comprend guère pourquoi Françoise de Maubus utilise pour le premier mouvement une harpe Érard (concurrent du fabricant qui sponsorisait Claude de France) puis une harpe moderne. Ô mystères de la musique savante !
La pastorale liminaire ressemble plutôt à un thrène qui contamine peu à peu chaque instrument. Les musiciens ne font pas moins leur miel

  • des passations de relais,
  • des superpositions et
  • des moments de relative exacerbation.

Malgré la présence, dans notre champ de vision, d’un paltoquet plus couramment résumé à l’acronyme FDP qui s’est décalé pour se placer dans l’allée centrale sans susciter de réaction de l’organisation (si, FDP pour un mec qui bouge son siège pour « mieux voir » et qui, ensuite, regarde plutôt sur le côté, c’est plutôt une bonne dénomination), on se laisse émouvoir par l’alliage sonore fomenté par le compositeur et ménagé par les artistes.

  • La mélancolie de l’alto,
  • la polymorphie de la flûte et
  • l’ambiguïté insaisissable de la harpe

font merveille. Petit à petit,

  • unissons,
  • réminiscences partagées et
  • decrescendi habiles

éteignent la lumière dans le grave troublant de la harpe… qui change pour un instrument « moderne » en vue des deux mouvements suivants. L’interlude en forme de menuet surprend l’auditeur à cause du changement instrumental qui fracasse tout espoir d’unité. Néanmoins, les musiciens rendent avec finesse l’aspect improvisé de l’interlude tour à tour

  • mystérieux,
  • pétillant,
  • joyeux,
  • méditatif et
  • enlevé.

Le finale « moderato ma risoluto » vibre bien

  • d’une pulsion vers l’avant,
  • de l’oscillation entre cohésion et emportement individuel, et du
  • plaisir jaillissant de la confrontation éphémère et de la fructueuse fragmentation – et hop, un chiasme.

 

Saskia Lethiec et Jérôme Granjon le 13 octobre 2024 à la salle Érard (Paris 2). Photo : Bertrand Ferrier.

 

Suivent les deux pièces pour violon et piano de Lili Boulanger, enfin non réduite à son rôle de femme compositrice, juste compositrice, ce qui la valorise bien plus que si elle était considérée comme un quota bien-pensant. Dans le nocturne, on goûte

  • le balancement rythmique,
  • la délicatesse harmonique et
  • la construction de l’écriture (soli, échanges, circulation des motifs).

Contrairement à ce que laisse supputer son nom, le cortège lui oppose

  • sautillement,
  • vivacité et
  • souplesse réjouissante des voltes.

Après avoir offert, avec une douce tendresse, un médius préalablement humecté à la connasse qui, devant nous, nous demande d’applaudir moins fort (« mais va donc écouter un CD, moule à gaufres moisi »), vient enfin cette œuvre magique qui nous attire et nous attriste à la fois : attire car magique, attriste car nous savons que nous ne pourrons l’écouter en entier – il nous faudra embaucher trop tôt pour ouïr l’intégrale. En présentant brièvement le second quintette pour piano et cordes op. 115, Jérôme Granjon a raison de prévenir que la pièce tranche avec d’autres œuvres – magnifiques – du zozo. Ici, il n’y a guère

  • de mignon,
  • de charmant,
  • de délicieux.

La dernière pièce du programme du festival édition 2024

  • grince,
  • proteste,
  • rue.

L’allegro moderato témoigne de la volonté des interprètes – Jérôme Granjon au piano, Saskia Lethiec et Takashi Hamano au violon, Vinciane Béranger à l’alto et David Louwerse au violoncelle – de

  • gérer le gonflement des voiles,
  • se laisser surprendre par la houle, et
  • laisser le piano arbitrer les conflits entre membres d’équipage.

Le mouvement offre

  • moins de mélodie que de mutations,
  • moins de ligne cohérente que de fuligineuses hachures,
  • moins de jolies harmonies que de tensions assumées.

Devant le flux de notes, les interprètes privilégient

  • l’instinct,
  • la vigueur et
  • le surgissement

à la saine clarté d’un premier Fauré, dont ils assument ici l’extinction, conformément au titre du concert. Le scherzo assume la célérité annoncée par l’allegro vivo. Le piano Érard joué par Jérôme Granjon, pyrotechnique, est en feu. Le violon de Saskia Lethiec menace de propager l’incendie. L’ensemble se mâtine de tenues et de percussions en pizzicato. La tentation lyrique des cordes frottées, par-delà l’urgence virtuose, est joliment maîtrisée. En sourd

  • plus de jubilation que de tension,
  • plus de tonicité que de précipitation,
  • plus de vigueur que de démonstration :

l’ensemble, qui clôt notre expérience Érard 2024, est férocement impressionnant. Hélas, nous ne pourrons ouïr les deux derniers mouvements et la transcription du « Jardin féérique » de Maurice Ravel qui concluait l’affaire. Oui, la vie est parfois regret, mais cela n’est point contradictoire d’être bravo itou.

 

Eh bien, dansons, maintenant !

Au Backstage Montrouge (92), le 8 février 2024. Photo : Rozenn Douerin.

 

Peu de temps avant sa mort brutale, Yannick Daguerre mettait en ligne les premiers titres de son nouveau projet intitulé Made in France, fomenté avec son complice Serge Haouzi. Comme, en dépit de l’émotion, il n’était pas question de lui rendre hommage à travers un concert lugubre et lénifiant, j’ai proposé au collectif d’artistes réunis pour le projet « Échos et murmures » de m’inspirer de « Hold-up”, l’un des derniers titres créés par Yannick, pour glisser une danse funky improvisée au milieu du concert. Et ç’a donné ceci…