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Gilles Barraqué est « Au Ventre du Monde »

C’est quelque part, environ jadis, dans une manière d’îles Marquises. Il y a un grand-père, une petite-fille, une communauté, l’eau, le destin. Et donc un roman, Au Ventre du Monde (280 p., 15,2 €, soit cinq centimes la page), le premier texte que Gilles Barraqué publie à l’école des loisirs.

L’histoire

Comme l’exigent les clichés des livres pour la jeunesse promis non-sexistes, Paohétama a beau être une fille, elle refuse la soumission des damoiselles. Quand son grand-père pêcheur obtient qu’elle devienne son apprentie, elle doit – c’est la première partie – se garçonniser en se rasant la tête et en jouant avec les petits mâles, ce qui est autorisé car, est-il martelé, elle n’a pas eu « ses premiers sangs ». Voici alors la fille-garçon à l’école de la pêche, entre poissons dangereux, maîtrise de l’hybris, connaissance des coquillages, art du tissage de fil, respect des équilibres écologiques et croyances aux dieux des éléments. Lesquels, un jour où son père avait osé attaquer un thon et un requin, ont exigé la disparition d’une victime expiatoire supplémentaire : la mère de la narratrice. Or, Paohétama, une fois formée (j’ai pas fini) au sacerdoce de la pêche, alors que s’éteint son grand-père, démoralisé par la disparition de son grigris flottant, Paohétama, donc, décide d’aller régler (ha, ha) ses comptes avec les divinités.
Pour cette seconde partie, elle se rend au Ventre du Monde, loin du rivage, récupérer une perle dans un coquillage géant. Elle échoue sur une île réputée être l’Autre Monde, où elle rencontre le beau Mani, marcheur solitaire dont elle voudrait bien un gros, gros câlin (« reprends-moi dans tes bras, espèce de garçon », 203). Quand elle ne conte pas fleurette, elle apprend que : un, pour les gens de l’Autre Monde, l’Autre Monde, c’est son pays à elle, ce qui implique d’accepter la différence, la diversité, l’autre, gnagnagna ; deux, sa mère a « fait souche » ici lors de sa « disparition » ; et trois, munie de sa perle, elle, Paohétama, deviendra reine de l’Autre Monde même si, est-il maintes fois répété, elle a « besoin de temps » pour se trouver elle-même au niveau de la compréhension introspective de ce qui s’est passé, gnagnagna. Bref, grâce à elle, les deux Mondes qui s’ignorent pourront vivre en harmonie, réunifiés par sa personne exceptionnelle.
L’épilogue heureux, et pourquoi pas, renoue avec le topos attendu de la narratrice à la veille de sa mort, qui rrrrrefait le point sur les heureux événements survenus au cours des décennies passées, dont, pouvait-il en être autrement ? point, son mariage avec désormais feu Mani. Femme moderne, oui, mais n’abusons pas, n’a-bu-sons-pas.

L’avis

D’emblée, l’auteur assume nombre d’archétypes du roman pour la jeunesse. La narration est assurée par une fille, indépendante-mais-respectueuse, un peu sauvage mais soucieuse d’hygiène (par opposition au sorcier-qui-pue), prête à se soumettre aux enseignements d’une figure sapientale écolo avant la lettre. Elle a un trauma familial et un destin exceptionnel alla Harry Potter ; et elle est quand même sensible à l’amûûûr – les passages que nous préférâmes furent ainsi les pages, certes un peu appuyées mais bon, narrant sa rencontre avec Mani. Ces codes posés, acceptés, il est cependant difficile de se laisser séduire par ces bons sauvages modernes et par le cadre pourtant préservé de l’archipel supposé paradisiaque. Et ce, pour deux grandes raisons.
Première raison de la déception, les effets de pédagogie pédante, manifestés par l’insertion de mots indigènes traduits par de pénibles notes de bas de page. Non seulement ce côté infotainment du « j’apprends en m’amusant » m’escagasse, mais il pose deux problèmes : d’une part, cela casse l’effet romanesque (qui annote, puisque ce n’est pas la narratrice ?) ; d’autre part, cela enlève toute cohérence au propos. En effet, plus rien n’est  littérairement cohérent : déjà, que le roman se présente comme un récit de Paohétama, alors que tout est structuré façon roman contemporain pour la jeunesse (parties, chapitrage, découpage…), bon ; mais pourquoi cette narratrice qui parle correctement le français n’a-t-elle pas incorporé les grumeaux linguistiques qui surnagent ? Soyons clairs : les tapu, mana, tiki, kavafaé, etc., auraient pu se glisser incognito dans le flux du récit. Au contraire, ils sont mis en valeur à l’instar de ces impatientants mein Herr dans les récits featuring des Allemands, comme si quelques mots archétypaux garantissaient l’authenticité d’une narration, ou comme si, pour un Allemand, mein Herr n’était pas de l’allemand et donc devait être traduit dans une langue étrangère. Nan, dans ce livre, y a pas d’Allemand, mais vous voyez l’idée. Certes, ici, la double finalité didactique et exotisante est claire. Mais elle nous paraît, et c’est notre liberté de lecteur d’en rendre compte, superflue voire dommageable, sauf, sans doute, si l’on souhaite s’immiscer dans les ordres d’achat du gros marché scolaire.
Seconde raison de la déception, la lourdeur des questionnements intérieurs empèse le roman – serait-ce, sans surprise pour l’école des loisirs, le marché des prescripteurs soucieux d’intelligibilité explicitée qui constituerait l’horizon de réception visé ? Littérairement du moins, ces questionnements ont trois fonctions : la fonction Stabylo, la fonction Tadaaam, et la fonction Google. La fonction Stabylo vise à souligner qu’il va se passer quelque chose d’important et qu’il convient donc de bien lire ce passage du récit, le questionnement de la narratrice guidant celui de la lectrice (« Drôle de cérémonie où je vais aller sans être apprêtée… Ou bien était-ce seulement lui, grand-père, qui avait une visite importante à faire ? »). La fonction Tadaam vise à créer un suspense en tuilant l’annonce d’un événement et le moment où il va se produire, de façon à donner de l’intensité à ce délai chronologique – ce qui s’opposerait à une ellipse postulant que la lectrice est assez intelligente pour créer son suspense elle-même (« mais pourquoi, alors, m’avoir demandé de l’accompagner ? J’aurais pu l’attendre au faé »). La fonction Google vise à sous-titrer le propos, selon la technique de « la reprise enrichie par une incise » bien connue des profs (« – On va chez Aiki. Il nous attend. / Chez Aiki, notre chef ? Dans son propre faé ? »). Entendons-nous à peu près bien : ces trois fonctions se retrouvent probablement dans à peu près tous les romans pour djeunses. Mais de l’habileté de leur maniement, de leur dosage, de leur camouflage aussi, peut dépendre une partie du plaisir de lecture. Et nous devons admettre que, hic et nunc, nous fûmes un brin déçus, d’autant que la fonction Gnagnagna peut s’ajouter aux trois principales, comme dans : « Je ne veux pas donner de leçon. Qui suis-je, au fond, pour prétendre le faire ? De quelle hauteur est-ce que je parle ? Qui suis-je pour démêler dans le cours du destin les intentions des dieux et la volonté propre des hommes ? Qui suis-je aussi pour juger la façon de penser, la façon d’être de grand-père, cet homme sage et simple ? » (124), pfff, sur quoi peuvent se greffer en sus d’autres fonctions principales, comme la fonction Badaboum (« Ce qui s’est passé (…) a bouleversé nos destins. Un fait qui, par tout ce qui allait entraîner, changerait même le fondement du monde », 125), aveu d’impuissance de l’auteur à appâter son lecteur par sa seule science du style et du scénario.

Le résultat des courses

Si l’on ajoute aux griefs mentionnés que le style du roman aurait parfois, à notre goût, gagné à être plus personnel, moins pataud (expressions perfectibles comme « le fait de faire », banalités comme « le passé avait évidemment son poids », récurrences abusives des « déjà », « bien sûr », « bien », « maintenant », « un peu », le tadaaamique « bientôt »…), voire moins fautif (mélange inapproprié de passé composé et de passé simple, redondant « pouffer de rire », etc.), on pourrait oublier les quelques trouvailles plaisantes qui laissent espérer en Gilles Barraqué, artiste multicartes que l’on a hâte de lire dès qu’il se sera libéré des sages carcans ici en tout point respectés. Allez, un exemple d’idée pomme-pet-deup avant de boucler ? Au premier tiers du livre, le grand-père plonge pour visiter un énorme mérou. Commentaire : « On s’entend très bien. Je regrette seulement qu’il ne fume pas la pipe. » (102) C’est pas rigolo, ça ? Moi, je like, et j’espère bien que je likerai plus largement la prochaine variation de cet auteur, même s’il est actuellement trop sage et propret pour me soulever d’enthousiasme.

Yes, we can!

Impossible de comprendre l’élection du président des États-Unis sans l’ouvrage fondamental de Dan Gutman sur le sujet. En plus, il est super pratique si vous voulez devenir maître du monde. Pour le commander de toute urgence, ça s’passe ici.

Le journal d’un dégonflé, cinquième épi-zob

Paris à l’air livre m’a envoyé, c’est quand même bien aimable, le cinquième tome du Journal d’un dégonflé, la série à succès et à films de Jeff Kinney. Voici donc un p’tit aperçu du volume, tiré d’emblée à 60 000 exemplaires en février (Livres Hebdo n°899, 2 mars 2012, p. 53), ça rigole pas.
Enfin, si, ça rigole, puisque La Vérité toute moche est un récit humoristique illustré, écrit sous forme de journal intime alla Georgia Nicolson version garçon. Il narre voire marre les affres de Greg qui, dans cet épisode, veut devenir modèle, échapper aux enseignements sur la puberté mais suivre des cours de sexe intitulés « éducation à la santé », ne pas assister au nouveau mariage de son oncle et éventuellement renouer avec son copain Robert (quoique, faut voir). La traduction de Nathalie Zimmermann est plutôt discrète, ce qui est présentement une qualité, malgré quelques anglicismes évitables (« ni rien de ce genre » ; le récurrent et agaçant « gosse » alors que « gamin », sporadiquement, semblerait plus approprié ; « je ne suis pas jaloux ni rien », etc.). Pour emporter l’enthousiasme, le résultat manque de scènes vraiment hilarantes et d’une vraie tension narrative (le coup du « vais-je renouer avec Robert, mon copain lourdaud » est un brin bâclé), mais on apprécie que soient enfin posées, dans un ouvrage pour la jeunesse des questions fondamentales, parmi lesquelles nous avons sélectionné les dix plus cruciales, voire curciales, comme souhaitait l’écrire mon clavier.

  • Avoir de l’acné quand on dort avec des peluches, sera-ce un oxymoron ?
  • Quel intérêt de savoir lire quand on met encore des couches ?
  • Lors des mariages, comment choisir les textes bibliques sinon pour rigoler quand le lecteur essayera de prononcer des prénoms débiles genre Ézéchiel ?
  • A-t-on le droit de tuer :
    • sa grand-mère si la conne colle tous les Lego en un bloc « pour qu’il n’y ait plus de petite brique qui traîne »,
    • son petit frère quand on s’aperçoit qu’il a léché toutes les chips saveur barbecue avant de les remettre dans le paquet, ou
    • la bonne quand on retrouve une de ses chaussettes dans son lit (son lit à pas-la-bonne, hein, sinon ça n’a pas d’sens) ?
  • Comment sanctionner un adulte qui confond une photo de coude avec une photo de cul ?
  • Doit-on se suicider si on n’est pas choisi au casting de « Coup de pêche, la glace qui donne la pêche » ?
  • Péter avec un tuba déclenche-t-il automatiquement la clim ?
  • Si on protège un oeuf comme s’il était son enfant et que la prof jette le wanna-be poussin, estimera-t-on (laveur) que cette salope a pratiqué un avortement ?
  • (Petit) peut-on ne pas s’essuyer avec des lingettes antibactériennes (ou un rideau) après qu’un oncle ou une tante vous a fait un bisou, éventuellement sur la BOUCHE ?
  • Mettre un Post-it avec son prénom sur le meuble d’une aïeule, est-ce une marque de propriété reconnue par le notaire quand il faut partager l’héritage ?

En fait, il n’y a que deux seules questions qui aient une réponse à peu près définitive. La première seule question, c’est : « Quelle est la capitale de la Russie dont le nom rime avec Noscou ? » (Réponse page 69.) L’autre seule question à réponse est : « Maman peut-elle reprendre ses études, quand il y a tant de ménage et de cuisine à faire ? » Et la réponse est : non. Même dans un livre humoristique, faut pas exagérer.

Salle Pleyel, 24 octobre 2012

Il paraît que la salle Pleyel diffusera bientôt de la « musique du monde ». Spooky. En attendant cette connerie, je suis r’tourné dans cette salle le 24 octobre pour entendre l’Orchestre de Paris qui jouait Tchaï et Chos. Souvenirs.
Le show s’ouvrait par la Fantaisie pour piano et orchestre de Tchaïkovski, jamais jouée jusque-là par l’orchestre. Deux mouvements au programme (le second porte bien son nom de « Contrastes » : c’est le plus palpitant du lot) pour une demi-heure de musique portée par Viktoria Postnikova, dont le jeu n’a pas trop l’occasion de faire dans la subtilité car beaucoup de notes l’attendent. C’est une agréable mise en bouche, d’autant que la pianiste revient pour un petit bis tout en douceurs et nuances, dévoilant un pan de son savoir-faire qui nourrit l’envie de l’entendre dans des pièces où elle aurait peut-être plus l’occaz de s’exprimer.
La seconde partie du concert met la Quatrième symphonie de Chostakovitch sur le grill. Sous la direction du créateur occidental de l’oeuvre, Guennadi Rozhdestvensky (ne me félicitez pas, j’ai une antisèche), l’Orchestre déroule cette partition d’une heure en trois mouvements (25′, 8′, 25′), qui pose dès le premier bloc les bases de l’identité du compositeur, bien qu’il ait à peine trente ans à l’époque : unissons, petits blocs d’instruments qui se répondent, soli caractérisés. Le deuxième mouvement entretient le suspense. Le troisième ennuie (ben oui, on peut le dire, non ?). C’est trop long, trop pédagogique – nombreux soli qui permettent d’entendre la plupart des vedettes de l’orchestre, notamment le violoncelliste et le tromboniste, furieusement mis en valeur -, mais ça se termine sur un piano de plusieurs minutes magnifique. Du coup, on oublierait presque que c’était trop long tellement l’Orchestre réussit ce final.
La salle, comble, semble comblée, et, mis à part les grossiers gros cons qui se barrent dès la dernière note, prodigue des applaudissements foufous. As far as we are concerned, on reste mitigés, même s’il est toujours stimulant de se perdre dans les méandres d’une symphonie, peut-être bancale, dont on dira pour complaire aux fanatiques que l’ambition dépasse sans doute notre intelligence.

La première chanson à texte sans parole

En venant au Magique, pour le concert du 18 octobre, je relisais ma set-list, quand coup au coeur : impossible de me souvenir de quoi parlait l’une des chansons au programme. Alors, dans le métro qui m’amenait sur les lieux du drame, j’ai écrit une autre chanson à la place. La voici.