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Cité de la musique, 19 mars 2013

Quartett de Luca Francesconi, au programme de la Cité de la musique ce 19 mars, est sans doute l’opéra le plus cul sur le marché, loin devant Anna Nicole (auquel Allison Cook a participé). Inspiré des Liaisons dangereuses, il projette pendant 1 h 20 deux solistes lyriques, un orchestre de petite taille, une bande enregistrée et des logiciels d’informatique musicale dans le monde merveilleux de la souillure, du sexe et du suicide. En voici le compte-rendu.
L’argument : au début, c’est simple. La Marquise (Allison Cook) retrouve Valmont (Robin Adams), un ex, le déteste et le kiffe. Elle lui reproche de vouloir niquer une grenouille de bénitier mariée au Président qu’elle aurait bien épousée, elle ; et elle l’incite donc par opposition à dépuceler sa nièce. Puis l’affaire se complique : Allison Cook prend le rôle de Valmont en séducteur, puis celui de la nièce. Valmont lui donne la réplique, tantôt femme incorruptible, tantôt instructeur sexuel au lexique métaphysique. Dernier élément qui corse l’affaire, par instant, les solistes se félicitent mutuellement du rôle qu’ils jouent. Alors, jouent-ils, incarnent-ils leurs personnages ? L’important est sans doute que cela se finisse entre déshonneur, fellation, sodomie et empoisonnement, avant une belle coda shakespearienne réservée à Valmont sur le thème : “J’espère que mon spectacle ne vous a pas ennuyé, ce serait impardonnable.”
Le résultat : avec ses effets cinématographiques (à-plats orchestraux, crescendos soudains, sons surprenants disséminés dans toute la salle, direct / bande enregistrée, nombreux contrastes vocaux et sonores), son langage musical fort accessible à toutes les esgourdes (avec quelques petites ironies amusantes : trompette bouchée type wawa, cordes façon musique de cour…), ses modestes décors lumineux et sa durée resserrée, Quartett est un opéra auquel il fait plaisir d’assister (diffusion sur France Musique le 8 avril à 20 h). Certes, la dramaturgie inspirée de Heiner Müller est un peu molle : ainsi, d’un point de vue scénaristique, le monologue liminaire d’Allison Cook tire un chouïa sur la corde. Mais c’est sans doute pour mieux faire attendre l’inéluctable. Car l’ensemble de la pièce séduit par sa variété, la beauté de certains effets orchestraux et la précision avec laquelle cela est exécuté. D’autant que, à la mi-parcours, le retournement qui conduit les protagonistes à cour pour mélanger leurs rôles offre un regain d’intérêt à l’histoire proprement dite. Bref, efficacité musicale, harmonies délicates et très belle fin, entre tutti percussif et apaisement inquiétant : c’est très séduisant.
Le bilan : à nos ouïes, ce petit opéra est une grande réussite. Il la doit donc à l’ensemble des intervenants, outre le compositeur (présent ce soir-là). Susanna Mälkki dirige, pour la dernière fois en tant que patronne, l’Ensemble intercontemporain, avec sa rigueur coutumière. Robin Adams utilise sa voix de baryton (voire plus, sa voix de tête étant très souvent sollicitée) avec constance et, quand les graves ou le haut médium arrivent, puissance. Toutefois, il paraît plus limité scéniquement qu’Allison Cook, au visage incroyablement expressif. La voix de la soprano, quoique sûre, n’est pas la plus soyeuse qui nous ait caressé les oreilles ; et pourtant, malgré un rôle très exigeant, elle assure de bout en bout, sans la moindre faiblesse apparente. C’est juste, posé, varié ; les sautes de registre, du parlando à l’aigu puis au médium, sont maîtrisées avec facilité ; et l’ensemble est à la fois joué, incarné, distancié avec une spectaculaire force de conviction. On a hâte de voir cette wagnérienne-mais-pas-du-tout-que dans de nouveaux rôles parisiens. Et en attendant, on a passé une belle soirée de musique. Vivement la suite.

Soyons francophones, n’ayons pas l’air de rien

Rendez-vous sur RFI chez Jean-François Cadet : “Jusqu’au 24 mars, c’est la semaine de la langue française. Alors aujourd’hui, on va s’intéresser au français tel qu’on le parle. Une langue bien plus riche que ce qu’on peut penser, il suffit de se plonger dans le Grodico 2013 de Bertrand Ferrier, aux éditions de l’Œuvre.” Et ça s’passera par ici.

Bougies rougies

L’info vient de tomber : le vendredi 21 juin, à 20 h 30, à l’occasion de la Fête de la musique, je donnerai un concert d’improvisations à l’orgue de Saint-André de l’Europe (75008). Au programme : des divagations sur des thèmes célèbres de Verdi et Wagner, pour commémorer le bicentenaire de leur naissance. Excellent prétexte pour finir la soirée autour d’un gâteau d’anniversaire dans une salle attenant à l’église. Entrée libre au concert et à l’after.

Vénère

Premier extrait du concert du 7 mars, intitulé “Bertrand Ferrier est vénère sa mère”. L’énoncé, semble-t-il, fut respecté.

Opéra Bastille, 28 février 2013

Doit-on laisser son fils baiser sa fille quand son épouse rêve de l’extinction de ces bâtards illégitimes ? C’est le débat philosophique qu’affronte Wotan, big boss des dieux et grand procréateur, dans la Walkyrie.
L’histoire : Siegmund, blessé, débarque dans la maison de Hunding, son pire ennemi, où il est accueilli par Sieglinde, l’épouse du maître, pour laquelle Siegmund craque de suite. Hunding, de retour, provoque Siegmund en combat singulier le lendemain. Sieglinde somniférise son époux, et les deux amoureux s’enfuient. En fait, ils sont frère et sœur. Fin de l’acte I (65′), tadaaam. L’acte II se joue chez les dieux : Fricka, la femme de Wotan, lui ordonne de maudire le couple incestueux ; mais Brünnhilde, la Walkyrie préférée de Wotan, une bâtarde elle aussi, décide de sauver les condamnés. Juste à temps, Wotan organise la mort de Siegmund, mais Brünnhilde s’enfuit avec Sieglinde. Fin de l’acte II (90′), boum. L’acte III confronte Brünnhilde à ses actes. Ses sœurs lui refusent leur secours ; Sieglinde, enceinte de son frangin, décide de s’enfuir seule dans la forêt maudite, à l’est ; et Wotan opte pour l’endormissement de sa fille rebelle, qu’il entoure d’un feu que seul un homme hors du commun pourra franchir. Fin de ce deuxième épisode du Ring (70′), bang.
La représentation : rarement spectacle en ces lieux apparut plus inégal. Réglons le cas de la mise en scène nulle – au sens mathématique, mais pas que – de Günter Krämer, avec ses deux séquences d’hommes chibres à l’air (une au début, et une à l’ouverture de l’acte III, avec fou rire de Walkyries lavant des cadavres chatouilleux), ses déplacements confondant opéra et feuilleton télévisé (peut-on régler de façon plus vide la confrontation finale entre Brünnhilde et Wotan ?), ses traitements hermétiques de scènes pourtant claires (le repas du I, ici inintelligible), ses “mouvements chorégraphiques” signés Otto Pichler avec mascarade cheap et nageuses de brasse indienne dans des arbres en fleurs (en gros, hein), ses décors pitoyables siglés Jürgen Bäckmann (demi-scène vide avec rideau noir une grande partie du temps, grand escalier envahissant dont personne ne sait quoi faire sur scène), etc. C’est ce qu’on appelle, en termes techniques, de la merde prétentieuse et dont la présence en ces lieux devrait scandaliser.
Passons donc à l’essentiel, id est la musique, et témoignons, à notre propre étonnement, d’une certaine déception, surtout après notre enthousiasme du premier épisode. L’orchestre, dirigé par Philippe Jordan, paraît moins tonique que de coutume, moins nuanceur, moins réactif, moins exact, malgré des solistes rarement pris en défaut. Côté plateau, le premier acte est de belle facture : Stuart Skelton a bien la voix de Siegmund, sans la facilité de Jonas Kaufmann mais avec une très pertinente pointe de fragilité qui ne va jamais jusqu’à la faiblesse. Martina Serafin est une Sieglinde de haute volée, qui ne dénoterait pas face à la Westbroek du Met : voix sûre, aigus maîtrisés, médiums soutenus, souffle infini, beaux passages de registre… Voilà qui est bel et bon. Le Hunding de Günther Groissböck, il est vrai affublé d’une coiffure handicapante, n’est pas absolument convaincant, car il paraît manquer d’autorité ; mais, si son incarnation du maître-chez-lui n’est pas renversante (de ridicules scènes de chamaillerie avec son hôte n’y aident pas), il n’y a là rien de rédhibitoire.
En réalité, c’est à l’acte deuxième que tout se corse. Autant Sophie Koch en Fricka est joliment inflexible (voix, phrasé, diction : bravo), autant les deux rôles principaux sont attristants (sans Isolde, ha ha). Alwyn Mellor est une Brünnhilde qui fait mal, tant le rôle est, à l’évidence, au dessus de ses moyens : aigus difficiles, voix en souffrance, diction catastrophique (dès que le débit s’accélère, elle yoghourte), puissance inégale, et même nombreuses séquences de shadow singing (je fais semblant de prononcer sans produire de son, ou je prononce juste les consonnes finales en te laissant reconstruire ce qui aurait dû précéder) ; quant à Egils Silins, qui interprète Wotan sous de ridicules lunettes fumées (saluons les costumes pitoyables de Falk Bauer), il n’est pas plus à la fête. Incapable de franchir l’orchestre à moyenne puissance, il va jusqu’à faire quasiment du sprechgesang pianissimo sur une séquence censée poser sa stature de dieu suprême, ce qui illustre l’erreur de casting. Les deux chanteurs, réellement fautifs ce soir-là (un figurant nous glissera qu’Egils Silins “n’était pas très en forme par rapport à d’habitude”), sembleront plus “chauds” sur le dernier acte – notamment Wotan, dont l’interprétation de la dernière scène sera remarquable. Mais, d’une part, l’on s’inquiète pour cette Brünnhilde suremployée, et l’on est en droit de s’étonner du second acte aussi timide de Wotan ; d’autre part, il est vraiment regrettable que l’Opéra de Paris opte pour un casting aussi inégal en regard de l’exigence de l’œuvre – et des efforts demandés aux spectateurs pour y accéder.
Au bilan, une interprétation moyenne (orchestre quasi routinier ; premier acte vocalement réussi, deuxième plutôt lamentable, dernier pas mal) alors que, dans une mise en scène aussi peu flatteuse, il faut un talent fou pour rendre grandiose cette musique. Du coup, quelques craintes surgissent quant à la suite de l’Anneau parisien. Plus de médisances prétentieuses – mais sincères – et de recensions à venir sur cette page… inch'(Walh)Allah.

Je m’exporte proprement

Lire en allemand le livre le plus hygiéniste co-écrit par Bertrand Ferrier ? Désormais, c’est possible. Et boum !

                    Couverture allemande Isaure        Page de titre allemande des "Mémoires d'une femme de ménage"

Opéra Bastille, 27 février 2013

Un gros ventre est-il sexy ? C’est le débat philosophique le plus creusé par Falstaff, version Arrigo Boito et Giuseppe Verdi, que je suis allé applaudir ce tantôt à l’Opéra national de Paris.
L’histoire, en gros, voire en ventripotent (ou en se tripotant le ventre) : l’obèse sir John Falstaff souhaite, surtout pour des raisons financières, séduire à la fois Alice Ford et Meg Page. Pas de bol, ces deux copines se rendent compte de sa duplicité et décident de le berner à leur tour. Alice l’invite chez elle, où la menace du mari jaloux l’aide à glisser le noble dans une manne à linge et à le projeter dans le ruisseau dégueu. Comme si ça ne suffisait pas, elle choisit de l’attirer un peu plus tard dans un endroit soi-disant hanté, où une masse d’acolytes masqués massacrent le Chasseur noir. Le pot-aux-roses est découvert ; mais, juste avant, le mari d’Alice a marié par erreur sa fille à son chéri… et le docteur Cajus à un serviteur de Falstaff. Tout finit en chanson, c’est pratique, pour conclure que chacun, en ce bas monde, est dupé, et qu’il n’est de vérité que farcesque.
La représentation : pour la première de la reprise, l’ensemble n’est pas encore tout à fait au point. L’orchestre, dirigé par Daniel Oren, est opérationnel (beaux duos, notamment des vents) mais sa synchronisation avec les chanteurs paraît encore balbutiante. Au point que, après un début bille en tête, excitant, le chef semble laisser du mou pour éviter des écarts trop voyants. Portés par des décors basiques d’Alexandre Beliaev (en arrière-plan, une grande façade de briques rouges défilante ; devant, des accessoires de base, type fauteuil et paravent) et une mise en scène sage de Dominique Pitoiset, les chanteurs font leur travail avec un bonheur inégal. Sir John Falstaff, rôle massif, est tenu par Ambrogio Maestri. Malgré quelques accros et quelques vilaines fausses notes pour entamer un air, l’artiste joue le séducteur bonhomme avec une voix en rapport, un abattage cabotin bienvenu et une constance remarquable. On regrette que, hormis la spectaculaire Elena Tsallagova en Nannetta (aigus, passages de registre, souffle admirables) les voix les plus appétissantes soient reléguées au second plan (Gaëlle Arquez, seule Française de la distribution, intrigue plaisamment en Meg Page ; Raúl Giménez, timbre puissant, a un goût de trop peu en Dottore Cajus, marié-pour-tous malgré lui) ; et on doit admettre une certaine déception pour les rôles de Ford (Artur Rucinski, un peu court de coffre) et surtout de Mrs Quickly (Marie-Nicole Lemieux, qui joue avec enthousiasme les entremetteuses, mais n’est audible que par brefs intervalles).
Au bilan, la soirée est plutôt réussie : le dernier opéra de Verdi ainsi joué manque sans doute de nerf ; on peut se demander s’il ne serait pas plus adapté à l’Opéra-Comique que dans l’immense Opéra de Bastille ; mais l’absence de trahisons profondes, la qualité d’ensemble et la solidité d’Ambrogio Maestri permettent, in fine, d’applaudir cette troupe, en leur souhaitant de se bonifier au cours des représentations à venir !