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Cité de la musique, 20 septembre 2013

Le clavecin de Bach. (Photo : Josée Novicz)

Le clavecin de Bach. (Photo : Josée Novicz)

Après une tournée triomphale commencée non moins triomphalement à Paris, et après la sortie du DVD du spectacle, Alexandre Astier est revenu à Paris pour quatre dates, afin d’y donner Que ma joie demeure !, son one-man-show où il est Bach.
L’histoire : Johann Sebastian Bach est vénère. Il est obligé de donner une journée de formation musicale aux bouseux de Leipzig. Armé d’un tableau et d’un clavecin, il va donc leur enseigner l’harmonie, le rythme, la musique internationale et l’art de faire entrer une tranche de jambon ronde entre deux tranches de pain carré. En chemin, il apprendra à une stérilisatrice de génisses qu’elle n’a pas l’oreille absolue, il écrira son nouveau morceau grâce aux miettes de pain disposées dans le fond d’un moule par le Saint Esprit, il entendra crier son petit dernier alors qu’il est chez une cousine, et il règlera l’expertise de l’orgue transformé en ruche au su du clergé (qui vend le miel fabriqué dans les tuyaux dits “manquants”). En contrepoint, on voit Bach bourré commenter le massacre de son dernier choral, chercher la rédemption en se confessant – étrangeté que l’auteur a fini par contourner en ajoutant un métatexte, jouer un bout de suite à la viole et confirmer que, pour s’endormir, rien ne vaut le clavecin (à condition de finir par une cadence parfaite).
Le spectacle : muni de deux béquilles à l’ancienne – il s’est blessé à la toute fin de son spectacle bordelais, troquant désormais ses “putain de mocassins” pour des Nike customisées par Jean-Christophe Hembert, Alexandre Astier intègre tant bien que mal cette nouvelle contrainte à un spectacle de très haute volée. Le créateur de la série Kaamelott, musicien classique frotté au jazz, peut ainsi, malgré tout, s’amuser dans son registre coutumier : l’anachronisme subtil, la trivialité du génie, le misérable comme refuge de la transcendance. Si. Cela donne une pièce de très haute volée, jouée avec conviction par son auteur, qui casse avec habileté les codes des genres utilisés – la conférence parodique, le one-man-show, le théâtre musical.
Certes, on doit pointer les défauts évidents de cette forme couturée, dont le contenu semble avoir beaucoup évolué (moins de place pour les drames familiaux, tant mieux ; l’interprétation musicale s’est réduite, pourquoi pas, mais dommage que Que ma joie demeure soit désormais limitée à tenir lieu d’interlude ; adieu au gag du portable de 1730 et à ses élèves de musique tous appelés Wilhelm, rencontrés dans le sketch de Montreux en 2010, snif) à mesure que les représentations avançaient. Par exemple, l’unité de temps (une journée de conférence + le retour à la maison) est ratée, puisque Bach semble chez lui à l’université (il entend Johann Christoph crier) mais reste coincé dehors en rentrant. C’est la patte Astier : dans Kaamelott, les incohérences spatio-temporelles sont légion, sinon romaines – oh, ça va, hein, humour.
Reste l’essentiel : l’évidence du talent. C’est très drôle, et, de surcroît, la performance est que l’auteur évite tant le démago que, pire, le pédago. La transformation du premier prélude dit “de l’Ave maria de Gounod” en valse à dix-neuf temps (même si on saute un épisode dans cette version, dommage), est remarquable ; les emprunts-hommages à Dieudonné sont, sinon courageux – Alexandre Astier a toujours soutenu l’humoriste – du moins efficaces ; le surgissement de l’absurde (questions du public fictif, usage de la ruche) n’éloigne jamais du propos, au contraire, qui semble être profondément autobiographique chez le créateur, et qui l’est sans doute chez chacun de ses fans : quelle est, en moi, la part du médiocre et la part du génie ? suis-je le bouseux venu assister à la vie avec un seau de graisse de mouton en cas de fringale, ou le mec capable de lire une note en une dizaine de clefs différentes ? le quotidien m’a-t-il assez abruti ou suis-je encore en train de lutter pour ne pas être réduit à ce que la société me demande d’être ?
Cette inquiétude sourde – que Dieu finit par nommer à Bach sous son vrai nom : la tristesse – vibre tout au long de Que ma joie demeure !. C’est aussi ce qui fait le charme de ce divertissement haut de gamme, et sans rival d’aucune sorte en France : mettre en scène avec force un oxymoron permanent, une boule de contradictions, associant un pédagogue qui ne veut pas enseigner, un parent qui voit mourir ses enfants, un génie qui a les deux pieds et jusqu’aux cuisses même dans la crotte du quotidien, un homme rationnel qui se demande si la raison ne serait pas de devenir fou. En conclusion, ce n’est donc pas seulement un très bon spectacle comique : c’est un très beau spectacle. Partant, il est juste que les villageois vous acclament comme… comme des villageois, Sire !

Alexandre Astier-Bach. (Photo : Josée Novicz)

Alexandre Astier-Bach. (Photo : Josée Novicz)

Requiem pour un pamp’mousse

Requiem pour un pamplemousseRentrer d’accompagner à l’orgue le chœur Exavocem, dirigé par Matthieu Boutet, dans des extraits du Requiem de Mozart. Et se rappeler qu’on est vivant en suçotant un vrai jus d’pamp’mousse. Chic, chic, chic. Avec une paille en sus. Rose fuchsia. N’en j’tez plus !

Théâtre des Champs-Élysées, 18 septembre 2013

Théâtre archi-comble, ce mercredi de septembre, pour Le Vaisseau fantôme de Richard Wagner en version scénique. En scène, l’orchestre de Rotterdam dirigé par le lutin Yannick Nézet-Séguin. Le chœur de l’Opéra de Hollande (pas lui, l’autre) est placé derrière pour soutenir cette histoire de flotte.
L’histoire : Daland (Franz-Josef Selig), capitaine, est presque chez lui quand une tempête l’oblige à s’ancrer dans une crique. Patatras, alors que le timonier (Torsen Hoffman) s’est endormi, débaroule un autre étrange bateau, mené par le Hollandais (Evgeny Nikitin). Celui-ci fait étalage de ses richesses, seule passion de Daland, qui lui promet sa fille en échange. Fin de l’acte I (1 h), et repos pour les spectateurs – la dernière production à l’Opéra de Paris renonçait, elle, aux délicieux profits du bar. L’acte II (50′ env.) voit les filles filer, sauf Dame Mary (Agnes Zwierko), qui coache, coordonne et manage, et sauf surtout Senta (Emma Vetter), qui rêve au mystérieux marin maudit, ne revenant sur Terre que tous les sept ans afin d’espérer trouver enfin une femme fidèle qui le sortirait de sa curieuse malédiction. Erik (Frank van Aken), p’tit chasseur de peu, enrage, car il la considère comme sienne, et les présages lui laissent peu d’espoir. L’acte III (30′ env.) voit enfin débarquer les marins de Daland qui festoient avec les filles locales, vu que les marins fantômes de l’autre bateau ne semblent pas intéressés. Le Hollandais est ravi d’avoir trouvé une femme qui lui jure fidélité par compassion pour la terrible épreuve qu’il a subie. Las, Erik affirme que Senta lui avait déjà promis fidélité. Grâce à une astuce de casuiste, le Hollandais, dégoûté mais grand seigneur, sauve Senta de la malédiction à laquelle elle aurait pu être vouée, et quitte le rivage en promettant de ne plus jamais remettre pied à terre. Senta, qui voit son rêve s’enfuir et ne voulait sans doute pas finir avec un modeste tueur de galinettes cendrées, se suicide. Bing, c’est la fin.
Le concert : commençons par le général (et non le capitaine, ha, ha). Très haut niveau d’ensemble. Orchestre motivé, le plus souvent précis, dirigé avec fougue mais sens du détail par Yannick Nézet-Séguin, jeune bondissant et souriant, qui souffle même à certains chanteurs le début de leurs phrases.
Deux chanteurs dominent la distribution. Côté hommes, c’est une surprise, l’homme qui ressemble presque au capitaine Haddock, Franz-Josef Selig, séduit par la palette des émotions qu’il joue. Le capitaine qu’il est doit être roublard, mais aussi maître et père. En jouant sur les nuances, il offre une palette impressionnante de couleurs musicales. La richesse de sa voix puissante, qui n’a pas honte d’en garder sous la glotte, éblouit malgré la bassesse de son personnage dont il rend bien le côté antipathique – une performance. Côté femmes, la vraie révélation de cette soirée pour nos oreilles est Emma Vetter. Certes, elle n’a qu’une heure vingt à tenir (elle ne chante pas au premier acte), mais son rôle est très exigeant. Cela ne l’handicape pas : de la première à la dernière note, malgré une étonnante nervosité (mains tordues, à l’instar de Evgeny Nikitin lors de son entrée au deuxième acte), elle tient son personnage de cruche rêvasseuse. Mieux, elle tire cette greluche vers la figure de la passionnée, grâce à l’intensité de son interprétation et à la plénitude de sa voix, à l’image de sa robe crémeuse et superbe. C’est intense, et ça plus-que-mérite d’être suivi.
Avant de parler des seconds rôles, parlons du rôle-titre, interprété par Evgeny Nikitin, l’artiste lyrique le plus controversé. En effet, on sait qu’il fut bouté fors de Festival des faux-culs de Bayreuth car il garde de sa jeunesse des tatouages nazis sur le dos – cet ostracisme rappelle au besoin que les cons ne sont pas tous nazis, loin s’en faut. Loin de ces polémiques de pauvres débiles ayant besoin de lécher l’anus du consensus mou (c’est un euphémisme), l’interprétation d’Evgeny Nikitin déroute : il choisit la posture de l’homme en colère. Non, soyons clairs, il joue le mec vénère de chez vénère. L’option ne colle pas parfaitement avec le texte, mais pourquoi pas ? La voix est puissante, le bonhomme est cohérent (pas de veste ou queue-de-pie, contrairement à ses confrères, genre : je suis poli mais je nique le système, d’ailleurs t’as vu mes tatouages sur les mains, nanani nanana ?), la version vaut d’être ouïe. Hélas, le charme se dissout dans la seconde partie : la voix a des ratés. De méchants ratés. Dans l’ensemble, cela reste impressionnant et extrêmement valable. Néanmoins, sans la voix d’airain, le personnage remotivé par l’artiste perd sa cohérence intrigante, et notre avis est donc plus mitigé que lorsque nous avions entendu ce même artiste la saison dernière.
Les seconds rôles méritent un petit mot, ne serait-ce que parce que c’est mon site et donc j’y fais c’que j’veux avec mes ch’veux, non mais. Torsen Hoffman en timonier-pilote est un curieux Schtroumpf rebondi qui vire au rouge quand il chante. Il semble à chaque fois au bord de la rupture, mais la voix tient avec constance, et le résultat mérite des bravos nourris. Bien qu’il n’eût pas demandé par avance l’indulgence de l’assistance, comme cela arrive souvent, Frank van Aken était de toute évidence souffrant – méchante grippe, au moins. Sa voix puissante et facile dans les aigus était donc au supplice, ce mercredi : graillons, ratés, vibrato relâché. Sortant d’une nuit à 40°, on a soudain terriblement mal pour lui. Et pourtant, le zozo impressionne, se met en scène pour les besoins de la cause et non pour chercher à cacher ses ratés (superbe fausse-vraie sortie finale). Là encore, on a envie de le réentendre quand il aura guéri, car ça doit dépoter ! Enfin, le croisement de Maurane et de Natacha Derevitzky, alias Agnes Zwierko semble se demander ce qu’elle fait là. Seule de la distribution à utiliser la partition (bien sûr autorisée pour les opéras en concert), elle campe correctement son personnage : belle voix, belles moues, belle présence scénique malgré l’absence de mise en scène et les longues minutes sans intervention. Ce nonobstant, quand il faut prononcer un texte très vite, ce n’est plus le moment de chercher ses mots dans la partition… sous peine de mâchmouchmichouillonner un peu n’importe quoi, ce qu’elle finit par faire, le “un peu” en moins.
En conclusion, et bien que l’on puisse critiquer certains aspects quasi négligeables (méforme de tel artiste, justesse sporadiquement perfectible des bois…), l’engagement de l’orchestre (premier violoncelliste passionné en tête), la rigueur souriante du chef et la qualité d’ensemble du plateau ont donné une très belle et très stimulante interprétation de ce grand opéra des débuts wagnériens.

Salle Pleyel, 17 septembre 2013

Karita Mattila à Pleyel le 17 septembre 2013. (Photo : Josée Novicz)

Karita Mattila à Pleyel le 17 septembre 2013. (Photo : Josée Novicz)

Le 17 septembre, c’était la reprise de ma saison de spectateur – ô impatience ! L’orchestre symphonique de Cologne ouvrait le bal dans un programme Beethoven + Strauss.
En première partie, classique mise en bouche, l’ouverture d’Egmont de LVB rugit avec l’énergie requise puis laissait entendre un plaisant souci de contrastes. Entre alors en scène Karita Mattila pour le tube des sopranes et mezzos, les Quatre derniers lieder de Richard Strauss. D’emblée, l’attention se déplace. L’orchestre paraît avoir peu répété avec la vedette (les solistes en réponse font le boulot, mais les parties en duo avec certains pupitres ne coïncident pas parfaitement), mais son chef réussit à le mettre en arrière-plan pour laisser la soprano s’exprimer. Or, Karita Mattila profite de tempi contrastés mais sans excès (début allant mais pas excessivement pour “Frühling”, bonne pulsation dans le parfois traînant “Im Abendrot”) pour faire ce qu’elle aime faire désormais : valoriser l’expressivité. La micro-chorégaphie accessoirisée avec son étole, dont elle se drape, qu’elle prend en mains puis qu’elle pose, illustre ce que porte sa voix – une volonté de donner à sentir plutôt que d’impressionner. Capable de fortissimi, la soprano ne craint pas d’aller chercher ponctuellement des pianissimi quasi inaudibles, au risque de perdre en portée vocale ce qu’elle gagne en émotion. En définitive, la star, forte de son bagage technique et de sa carrière, semble privilégier la musique sur la perfection. À l’arrivée, cette option est très convaincante : la voix est belle sur l’ensemble de l’ambitus, et c’est une poignante interprétation personnelle, que Karita Mattila donne, ce soir-là, de quatre lieder qu’elle a pourtant dû interpréter des palanquées de fois.
En seconde partie, l’orchestre attaque la Cinquième Symphonie de LVB, feat. le célébrissime “Pom pom pom pom” liminaire, aussi appelé “Hymne de la pince à linge” depuis Pierre Dac et Francis Blanche. L’orchestre prend ses aises car, pour lui, c’est le moment de briller : Beethoven fait abondamment circuler la parole entre les pupitres, plaçant çà et là des ponctuations puissantes du tutti. Le résultat est plaisant, et même stimulant. Jamais tonitruant, l’orchestre, autant appliqué qu’impliqué, choie les différentes ambiances, écoute rebondir la balle mélodique d’un bout à l’autre du court de musique, puis se jette à corps perdu dans le final brisé et pyrotechnique. Malgré une direction qui paraît gestuellement peu précise, Jukka-Pekka Saraste tient son orchestre et le conduit avec sûreté sur les eaux tumultueuses de cette Cinquième. Le bis, tradition des orchestres étrangers en visite, est un vrai bis, pas juste une p’tite danse hongroise exécutée les doigts dans l’zen, par obligation. Aussi ce cadeau, quoique convenu, est-il à l’image d’une soirée de très haute tenue, où la musique l’a emporté sur la virtuosité et le tumulte.
As far as we’re concerned, c’est tout smooth.

In memoriam Yannick Daguerre

L'eau coule, pas le souvenir.

L’eau coule, pas le souvenir.

Aujourd’hui, en l’église de L’Isle-Adam, j’ai participé au concert collectif d’orgue à la mémoire de Yannick Daguerre. Ciel à l’orage, vert qui persiste, orgue qui gronde : la vie continue, mais le souvenir, les regrets et la colère ne disparaissent pas. Ce dimanche, ils persistaient en musique, et ça fait du bien.

Chaque année, en septembre, hommage à Yannick Daguerre.

Chaque année, en septembre, hommage à Yannick Daguerre.

Soyons ponts, soit on pond pas

Superbe souhait de Henri Roorda adressé au peintre Louis Saugy qui venait de se proclamer empereur des poules (Les Saisons indisciplinées, Allia, 2013, p. 135) : “Puisse son idée faire des œufs.” C’est un très beau vœu que l’on devrait adresser à chacun avec une bouche en cul-de-poule.