J’ai choisi un nouveau colloque à terre
En route vers la Tunisie…
Opéra Bastille, 22 février 2014 : « La Fanciulla del West »
Nina Stemme reprend une production de La Fanciulla del West importée de l’Opéra d’Amsterdam, où s’est illustrée et dévédéisée la Westbroek. Paris a accueilli cette production sous les huées des conservateurs et les brava de spectateurs plus sensibles. Le soir où France Musique diffusait le produit (interdit à la réécoute), nous y étions.
L’histoire : dans un monde d’hommes, Minnie est la pépite du saloon local, où un seul de ses sourires vaut une tournée générale. Courtisée par tous, notamment Jack Rance, le shérif, elle tient à garder sa virginité, tant sexuelle que labiale. Pourtant, à la fin de l’acte I (55′), elle se laisse séduire par Dick Johnson, une vague connaissance arrivée dans le tripot au moment où tous les autres hommes partaient à la poursuite d’un bandit, tadaaam. Invité chez Minnie au début du II (40′), l’inconnu est sur le point de niquer, quand la nouvelle tombe : il n’est autre que, un, le bandit, deux, le jules de la pute locale. Minnie, outrée, le chasse, puis le recueille quand il est blessé par ses poursuivants. Le shérif le déniche dans la cabane de la donzelle, mais celle-ci entourloupe le justicier afin d’obtenir la vie de son chéri. Lequel, dès le début du III (30′), est rattrapé et condamné à être pendu. Las, double peine pour les mineurs : en ressortant du doss’, Minnie obtient la vie sauve pour le fautif, et décide d’aller vivre ailleurs, comme chez Francis.
La représentation : disons-le, on est déçu de n’être pas choqué. Juste énervé. La mise en scène s’intègre dans trois décors signés Raimund Bauer : le saloon modernisé (tuyaux, flippers, bandits manchots électroniques), un mobil-home kawaï façon Barbie en guise de cabane pour Minnie, et une casse de voitures qui dissimule un escalier lumineux. Si. Le tout est agrémenté par quelques effets numériques de Jonas Gerberding, incluant un lion de la Goldwyn et des dollars qui pleuviotent sur des traders ou les chanteurs. Si aussi. Andrea Schmidt-Futterer habille les mineurs de l’Ouest en zonards (cuir, lunettes de sun, guns faciles). Par chance, la mise en scène de Nikolaus Lehnoff ne pâtit pas de ces choix esthétisants, dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils sont ridicules (même les soutiens de ces options débiles rigolent devant une si pathétique « modernisation »). Les choristes, omniprésents dans cet opéra, bougent bien – on sent que le spectacle a été joué sept fois avant cette représentation -, ensemble et à bon escient. On s’étonne juste de ne pas entendre une basse, un accordéon et un disc-jockey. Après tout, pourquoi seuls ces crétins incultes et prétentieux de décorateurs auraient-ils le droit de changer ce qui est écrit ? Let’s rock Puccini, motherfucker! Allez, souk, souk, souk, monsieur le Vanillé ! Nan ? Pourquoi ?
La musique : cet opéra bref (2 h 05′, honteusement troutées par 55′ d’entracte) donne à sentir la beauté d’un opéra de Puccini quand il est réussi. Une histoire linéaire, intelligible, stéréotypée, oui ; mais une orchestration brillante, aux harmonies souvent riches et vibrantes, surtout hors des grands airs obligés où le maestro se contente de faire, avec science, ce qui est attendu de lui. L’orchestre de l’Opéra, dirigé par Carlo Rizzi, peut s’y donner avec d’autant plus de tranquillité que, d’une part, le chef veille, au-delà des départs limite, au grain – il est notamment très attentif aux chanteurs – et, d’autre part, les chanteurs savent chanter, ce qui n’est pas si obligatoire que l’on pourrait fantasmer.
La Fanciulla del West est caractérisé par une tripotée de seconds rôles (19 solistes !), incluant le puissant Emmanuele Gianinno en Trin, le tonique Roman Sadnik en Nick, l’un peu court en coffre Andrea Mastroni en Ashby, les habitués Éric Huchet et Ugo Rabec, ou encore Anna Pennisi, sosie miniature d’une Anna Netrebko mâtinée d’Eva Longoria, en Wowkle porteuse de poupon. Toutefois, il se concentre surtout autour du trio amoureux. L’incarne en premier chef, dans le rôle du shérif éconduit, Claudio Sgura, beau gosse italien entendu il y a moins d’un an dans La Gioconda, peut-être moins parfait dans sa voix (belle, mais un peu lente à s’exprimer dans toute sa puissance) que dans sa présence scénique. L’homme séduit et finit fort, de telle sorte que l’on a du mal à voir pourquoi Minnie lui préfère le Dick Johnson-Rameerez joué par Marco Berti. Celui-ci, beaucoup moins gossbo même dans le costard dont il est curieusement affublé in fine, est un spécialiste des rôles de ténors à l’italienne, et sa spécialité n’est pas usurpée : projection, tessiture, premier degré dans l’excès tellement cliché, tout est parfait, rien ne dépasse – c’est pourquoi il faut à la fois souligner l’excellence du zozo, absolument impeccable à nos ouïes, et notre difficulté à être, plus qu’admiratif, séduit.
Dans une salle pas pleine du tout, ce qui est surprenant car l’opéra est accessible par sa brièveté et son côté spectaculaire (avec les hommes présents en masse aux actes I et III), c’est surtout « la » Stemme qui est attendue. Le rôle est sous-dimensionné pour une cantatrice de son acabit, qui l’apprécie – troisième interprétation – sans doute pour sa relative facilité au regard de ses autres emplois. Pas de quoi oublier que cette facilité est réellement relative : les aigus inaccessibles doivent sortir ; et le souffle comme la présence scénique sont obligatoires pour donner un brin de consistance à ce personnage dont la scénographie hollandaise surligne vainement la vacuité. Or, Nina Stemme, déjà dévédéisée dans le rôle, s’active pour maintenir une illusion dramatique qui devrait être inhérente à la notion d’opéra, sous peine de la réduire, comme c’est si souvent le cas, à une performance vocale. On sait donc gré à la diva suédoise de jouer son personnage. Son aisance vocale lui autorise quelques acidités dans des premières interventions qui nous semblent sonner moins chaleureuses que sait le faire cette voix ; c’est sans conséquence, car la chanteuse fait ensuite sonner sa voix pleine, et, surtout, elle est Minnie, . Ridicule ? Oui – et encore, dans les deux premiers actes, nulle taupe ne lui a chié sur la tête une perruque de merde. Cucul la praline ? Oui. Mais avec un mélange de foi dans l’honnêteté troublée de cette pauvre nénette, et de distance indispensable pour laisser penser que la pauvre nénette n’est pas si conne qu’elle veut le laisser supputer.
Bref, c’est vocalement enlevé et scéniquement abouti. Beau job des trois héros.
En conclusion, grâce à un bon travail d’acteurs et un joli plateau vocal, cette Fanciulla del West prouve qu’un décor stupide (doit-on vraiment chercher à accorder un sens à ces contre-sens vaniteux ?) ne suffit pas à terrasser une mise en scène de qualité et un opéra dramatiquement sot mais de haute volée musicale.
Opéra Comique, 21 février 2014 : « Pelléas et Mélisande »
Souvent monté à Paris, le « drame lyrique » de Claude Debussy a retrouvé pour cinq représentations son Opéra Comique originel, sous la direction de Louis Langrée, dans une reprise de la production de juin 2010. Nous y étions.
L’histoire : Golaud se perd dans la forêt en chassant, mais il y pêche Mélisande, une fugueuse ensuquée dans le mystère, qu’il décide néanmoins d’épouser en secondes noces vu qu’elle est bien accorte. Il la ramène au château d’Arkel, son vieux père, roi d’Allemonde. Dans ce coin pourri (la famine sévit pour les pauvres, les forêts sont si hautes « qu’on ne voit presque jamais le soleil », le château est triste et ses habitants sont tous vieux), Mélisande entame une grave dépression… à peine agrémentée par la présence de Pelléas, son beau-frère, avec qui elle conte fleurette. Golaud s’inquiète de voir fricoter ceux qu’il traite pourtant d’enfants, au point de charger son fils Yniold les espionner. Une nuit, patatras et badaboum, il surprend les deux zozos en train de s’embrasser lors d’un rendez-vous secret. Il tue Pelléas ; Mélisande accouche puis meurt de lassitude (ou sur l’ordre de son mari) sans avoir vraiment convaincu son époux qu’elle ne coucha point avec Pelléas.
La représentation : malgré des problèmes techniques obligeant le théâtre à offrir une première respiration aux spectateurs dès la fin du premier interlude, le spectacle a pu se dérouler à peu près normalement. Au programme, donc un décor vide, hormis le contour boisé marquant l’enfermement et les pistes d’ouverture sur la fin, ainsi qu’une sorte de coquille d’huître troué servant de plateau général (tour à tour berge, bord de fontaine, chambre ou château-phare – un jeu de mots derridien sur Mélisande, représentée comme une chatte à forts ?) ; des accessoires anachroniques (chaise roulante façon Ring de Bastille, perfusion récurrente, couveuse pour le poupon) ; des costumes, signés – comme quoi la honte n’existe pas chez les paresseux sans talent – Thibault Vancraenenbroeck, les photos permettant d’admirer l’insignifiance de ces nippes, avec néanmoins une mention spéciale pour la nuisette dans laquelle Mélisande passe tout le spectacle ; et une mise en scène, signée comme le décor – pardon, la scénographie – Stéphane Brauschweig, dont un euphémisme aimable consiste à dire qu’elle n’a pas le moindre intérêt (ainsi de la scène ambiguë, ici bâclée, de la visite des sous-sols puants par les deux frères, où Pelléas est jeté puis ressort comme si de rien n’était). Quand on pense qu’une « dramaturge », en l’espèce Anne-Françoise Benhamou, a sévi également, cela laisse supputer que le budget était trop grand et qu’il fallait embaucher une intermittente de plus pour le justifier, tant l’ensemble manque de mise en exergue pertinente, de choix stimulants et de cohérence profonde (ainsi du personnage d’Arkel : aveugle ou infirme ou quoi ou qu’est-ce, in fine ?).
On exagère : toute la mise en scène de cette production tourne autour d’une idée – Mélisande est une salope. Elle aguiche par sa tenue, ses attitudes, voire une séance de caresses aboutissant à une manière d’orgasme pour saluer les déclarations enflammées de Pelléas. Cette option putassière, soulignée par une scène de la tour où les deux personnages sont collés l’un à l’autre, contre le texte et l’esprit du texte, ne présente de charme que pour les mâles venus profiter du corps de Karen Vourc’h. Les spectateurs venus pour l’opéra – tous, donc, moins le vieux connard derrière moi qui tentait de succionner dans sa bouche plus fort que l’orchestre et les chanteurs réunis pendant les actes quatrième et cinquième, puisses-tu crever dans des souffrances humiliantes, salopard – sont en droit de s’étonner de ce contre-sens. En effet, tout le drame repose sur l’ambiguïté du personnage qui incarne la femme vue par l’Occident : innocente mais imprécise, enfant mais traversée de désirs, libre mais soumise à ses époux, pure mais draguant éhontément le frère de son mari… La présente version ôte toute ambiguïté à la princesse inconnue, de sorte que tombent comme des mouches sur le potage les scènes où Mélisande avoue sa tristesse, ou celle où Golaud s’aperçoit que, quelle que soit la réponse, il ne saura jamais la vérité. Dans le premier cas, Mélisande passe pour une simple menteuse ; dans le second cas, Golaud, magnifique figure dramatique, passe pour un gros con, et son désespoir paraît grotesque au spectateur censé avoir la clef de l’énigme. Autant dire que l’on attendra pour applaudir une version de l’adaptation debussyste de Maurice Maeterlinck qui rende raison, en dépit de certaines formulations surannées ou maladroites, de la puissance d’un symbolisme bien compris.
La musique : heureusement, il y a la musique ! La beauté des harmonies, la science de l’orchestre, la variété des couleurs sonores captent l’attention de l’auditeur ; et l’Orchestre des Champs-Élysées rend assez bien les richesses de la redoutable partition. Certes, çà, il semble que certains cuivres souffrent un peu ; là, la justesse des cordes nous paraît perfectible. Reste que ce serait chipoter que faire la très fine bouche, tant l’essentiel est là. Sans emphase et avec élégance, la phalange composite parvient à bon port et propose une interprétation de qualité. Deux remarques toutefois. Première remarque : Louis Langrée se targue d’être revenu aux sources, remettant en place tel interlude ou telle scène rare, hésitant jusqu’à la veille de la première sur le positionnement des pupitres. N’y a-t-il pas un hiatus entre cette revendication d’historicité tandis que, sur scène, Stéphane Braunschweig fait représenter une chambre d’hôpital où Golaud se retrouve proprement, bandé, en train d’arracher sa perfusion ? Seconde remarque, autrement plus essentielle : on eût aimé plus d’attention au potentiel des chanteurs, partant une diminution du volume orchestral.
Le chant : dans l’ensemble, le casting vocal séduit. Karen Vourc’h n’est certes pas la plus expressive des Mélisande (en témoigne son unique rictus aux yeux exorbités, c’est un peu limité pour 3 h de scène), mais c’est sans doute faute d’être mieux dirigée : pour preuve, quand elle est simplement allongée, à la fin du V, elle paraît juste, vraie, comme libérée de ce corps qu’elle est contrainte d’exhiber et dont elle perd l’usage dramatique faute de mise en scène pertinente. La voix est belle, la déclamation intelligible ; à peine regrette-t-on une hésitation sur la nécessité ou non de rrrrouler les « r ». Cette remarque vaut pour la plupart de ses camarades de scène, parmi lesquels Phillip Addis, qui joue Pelléas. Le beau gosse paraît engoncé dans son emploi de jeune premier ; des voyelles dérapent, parfois de façon savoureuse (joli « où êtes-vous nue » pour « où êtes-vous née ») ; néanmoins, la voix, quoique prudente (coupure un brin hâtive des syllabes aiguës), est assurée. Manque, à notre goût, la capacité d’insuffler un brin de mystère à ce personnage, qui peut très bien n’être pas le niaiseux univoque ici privilégié.
Jérôme Varnier en Arkel a une voix riche (belles résonances, notamment lors du I 2) ; mais il semble un peu court dans les parties vraiment graves que ses dernières apparitions sollicitent. Sylvie Brunet-Grupposo fait une apparition bénigne en Geneviève ; Yniold est bien tenu par Dima Bawab ; et Luc Bertin-Hugault, comme à son habitude, joue avec fermeté ses rôles secondaires, en l’occurrence celui de berger hors champ annonçant l’abattoir, et celui de médecin pour femme en phase terminale.
Cependant, on se laisse surtout séduire par le Golaud de Laurent Alvaro. Le chant est maîtrisé, la voix puissante quand elle le doit, et le chanteur laisse percer l’acteur qui est en lui – c’est vital pour un personnage pétri de contradictions que la mise en scène tente d’écraser – ainsi, il ne nous souvient pas, contrairement à ce qu’exige lourdement de lui le metteur en scène, qu’il soit celui qui oblige les deux lovers à s’embrasser. Une belle prestation, mais qui ne masque pas la difficulté de la plupart des chanteurs à passer par-dessus l’orchestre. Dès que celui-ci joue un peu fort, les mots tendent à disparaître. Assurément plus un problème de direction que de chanteurs, dont aucun n’a usurpé sa place !
En conclusion : en dépit de circonstances techniques peut-être crispantes pour les artistes (quand le rideau va-t-il remonter ?), impossible de ne pas apprécier la qualité de cette exécution, notamment l’effort de diction de chaque intervenant… et tout aussi impossible de ne pas rager en regrettant la faiblesse de cette production, rayon mise en scène. De quoi remettre à plus tard l’espoir de voir, un jour, un Pelléas et Mélisande doté d’un joli casting et d’une dramaturgie aussi séduisante que la nuisette de Karen Vourc’h.
Salle Pleyel, 18 février 2014 : Chostakovitch par Gergiev, 8/8
La salle Pleyel est comble pour la dernière séance, contrastée, de l’intégrale des concertos et symphonies de Chostakovitch par le Mariinsky dirigé par Gergiev. Pour les gourmands, la vidéo est disponible ici jusqu’au 18 juin.
La première partie propulse le Concerto n°1 pour violon, avec Vadim Repim au vibrato. L’œuvre, rugueuse en apparence, joue cependant la carte des contraires et contrastes. Le premier mouvement, pesant, asphyxie l’auditeur dans une masse grave impressionnante. L’Orchestre du théâtre Mariinsky se délecte ; et le soliste pose son jeu en privilégiant l’attaque « par dessous » qui dilate la durée de la note en faisant attendre sa vraie hauteur. Succède à ce mouvement poisseux un défouloir virtuose, marqué par le changement de rôles (le soliste accompagne çà et là l’orchestre, les bois lui volant ensuite la vedette avant que la frénésie de l’archet ne reprenne le pouvoir…). Les modifications de rythme et de tempi permettent de relancer la composition et de laisser s’exprimer la vélocité stupéfiante de Vadim Repim.
Le troisième mouvement s’ouvre alors par un thème clairement identifiable – chose rare chez Chostakovitch, qui préfère user d’écarts, de rythmes caractéristiques ou de leitmotives – qui va circuler de pupitre en pupitre, un brin alla passacaille. Le soliste en profite pour montrer une troisième palette de sa personnalité : après le sens de l’interprétation, dans le mouvement sombre, et, dans le scherzo, la virtuosité ébouriffante, voici venu le temps du poète quasi romantique, facette peu sollicitée par le compositeur – à l’arrivée des huit concerts d’intégrale, il est temps d’en faire le constat ! La cadence redoutable qui clôt le mouvement demande au soliste de jouer de toute la palette de son instrument (doubles cordes, accélérations, différentes attaques d’archet, démanchés perpétuels…). Encore une fois, Vadim Repim, en maître de la technique qui n’a rien à prouver, privilégie le rendu musical à la perfection du son.
Puis, quand claquent les timbales, le dernier mouvement emporte soliste et orchestre dans un dernier tourbillon que Valery Gergiev tente de canaliser – on ne doute pas, toutefois, de l’utilité, pour la captation, de la reprise en bis de cette partie difficile où il faut à la fois de la virtuosité, de la synchronicité et, quand même, de la musicalité pour ne pas rester juste dans l’effet qui, quoique waouh, donnerait un goût de plastique à ce plat gouleyant. En résumé, Vadim Repim offre une interprétation habitée d’une composition qui n’est peut-être pas celle qui nous passionne le plus chez le musicien, mais que la bigarrure et l’exigence des musiciens rendent intéressante – voire, par moments, impressionnante.
La seconde partie assène la Symphonie n°11, gros ensemble d’une heure, considéré par certains comme le chef-d’œuvre orchestral du compositeur. Et pour cause : tout ce que les choskvitchophiles aiment s’y trouve, animé par une hauteur de vue et un savoir-faire spectaculaire. Harmonies sublimes dès l’ouverture du premier mouvement, valorisation de chaque pupitre de l’orchestre, déclinaison des thèmes, variété des styles (à-plats des cordes, fanfare furieuse, marches triomphales, chansons folkloriques…), progressions et contrastes, souffle et énergie… Malgré quelques rares couacs, bien compréhensibles et nécessaires au live, solistes et orchestre livrent une version puissante et sensible de la composition. Même si, à notre habitude, un peu de tension rythmique dans les parties calmes ne nous aurait pas déplu, ce soir-là, l’option de Valery Gergiev – qui paraît de temps en temps laisser lâche, à dessein, la bride au cou de son orchestre – est défendable. Pour deux raisons : la composition ne connaît pas de temps morts, une idée succédant à l’autre sans le moindre tunnel ; l’orchestre est capable de sonorités splendides, qu’il serait probablement dommage de contraindre en donnant l’impression de presser. En effet, entre la virtuosité des musiciens, la capacité à créer un son cohérent et la force de l’œuvre choisie pour clore ce grand bal du « Mariinsky à Pleyel », que demander de plus ? Un shot de vodka, peut-être, pour faire couleur locale (Joe le prétexte).
En conclusion, l’intégrale Chostakovitch par Gergiev était passionnante, car la masse et la diversité des pièces excluent toute lassitude. Certes, le choix de monter les pièces sans considération de la chronologie, afin de privilégier le confort d’audition… et le budget (par exemple en ne faisant venir le chœur que pour une session), empêche d’essayer de sentir les évolutions du compositeur, ce qui devrait être l’un des charmes d’une intégrale. Reste la qualité patente des prestations proposées, l’excellence des solistes, la beauté de l’orchestre et la maîtrise du travail colossal présenté au public parisien. Un beau job.
Salle Pleyel, 17 février 2014 : Chostakovitch par Gergiev, 7/8
Deux grosses symphonies au programme : est-ce la raison, outre les prix demandés, pour laquelle l’orchestre de Pleyel – contrairement aux balcons – est aussi peu rempli ? Pourtant, le Mariinsky dirigé par Gergiev pour jouer Chostakovitch, c’est appétissant…
Et au cas où ça ne serait pas suffisant, le programme du jour est inversé : on commence, en première partie, par la Symphonie n°12, l’une des plus palpitantes, avec la sixième, du compositeur. Trois-quarts d’heure enchaînés et dynamiques, percutants, brillants, bref, « démocratiques », nous apprend le programme officiel, ce qui veut dire « vulgaires » en langage humain. Vulgaires ? Sans doute. Précision des cuivres, puissance des crescendo – crescendi ? -, distribution subtile des parties douces et puissantes (osons le néologisme : réveillantes) : quand cela est réalisé par l’Orchestre du Théâtre Mariinsky, cela donne l’impression d’une bataille titanesque entre le compositeur et la musique, la beauté et la contrainte soviétique. C’est puissant, mais c’est fin ; c’est pertinent mais c’est accessible ; c’est impressionnant mais c’est musical. Pas de temps mort, pas de mollesse : même la douceur est énergie. On nous dit que (ta gueule, Carla) les cuivres pouët-pouëtent parfois bizarrement – on a raison. Mais le résultat en live est superbe.
Non que la seconde partie du concert, constitué par la Symphonie n°8, soit négligeable. Cette symphonie pour gros orchestre, mais surtout pour cordes dans le long premier mouvement, dure une bonne heure. Et elle est, en dépit de ses longueurs, prenante. Elle semble hésiter entre les langueurs dignes de 1943, année de composition de ce monstre, et la profusion que permet l’accès à un orchestre symphonique. Certes, la répétition un peu « clichée », comme disent les Amewicains, des phases piano–crescendo peut – et aurait raison de – lasser. Mais la qualité des solistes, la beauté de l’orchestre et la hauteur de l’inspiration séduisent, tout comme la fin en moriendo. Cela n’exclut pas le sentiment, très snob, de longueurs sporadiques ; mais cela plonge dans le cœur même de l’ambition de Chostakovitch. Quoi, la fureur du tutti ? Eh bien, la beauté des soli de piccolo. Quoi, la finesse des alti (qui introduisent les plom-plom-plom annonçant la fin) ? Eh bien, la grandeur de l’orchestre, peut-être pas parfait, mais vivant, concentré, et assuré sur les bases étonnamment puissantes et belles des contrebasses, du tuba, et de la précision (interventions peut-être imparfaites mais vigoureuses du bedonnant et percutant, c’est pas rien, xylophoniste). Des contradictions de l’artiste vedette…
En conclusion, de la part d’un orchestre pressé de partir en pause… avant l’enregistrement des patchs audio et vidéo, prévu jusqu’à minuit (le concert finit à 22 h 30), l’investissement dans ces deux symphonies est superbe et nullement réductible au « Mariinksy en tournée pour les ploucs riches de l’Occident ». Dire que l’on a hâte d’entendre le dernier volet de l’intégrale est un euphémisme gourmand. Pour les absents, séance de rattrapage ici.
Comment ne pas faire rentrer un chien dans son panier 1/3
Leçon de géométrie animale, numéro un.