Blogadmin

Pan dans la flûte

Orgue Dereux d'Enghien-les-Bains

Pour la Toussaint, l’église Saint-Joseph d’Enghien-les-Bains étant en travaux, on y joue un orgue en plastique où la flûte de Pan côtoie la flûte d’Amour. C’est choupinet tout plein, sauf peut-être à l’oreille, mais bon, on peut pas tout avoir, gourmands.

Salle Pleyel, 25 octobre 2013

Wayne Marshall et l'ONIF. Photo : Josée Novicz.

Wayne Marshall et l’ONIF. Photo : Josée Novicz.

Programme quasi jazz pour l’Orchestre national d’Île de France, ce vendredi d’octobre : Gershwin et Ravel sont au menu, à un prix défiant quasi toute concurrence (en gros, moins de la moitié des prix habituels).
Sous la direction de Wayne Marshall, qui est à Denzel Washington ce que Paavo Järvi est à Vladimir Poutine, le concert s’ouvre sur la brève ouverture (4′) d’Of Thee I sing de George Gershwin. D’emblée, on note un souci du swing que manifeste la réussite des nombreux breaks (changements de rythme) exigés par cette bande-annonce où le compositeur laisse entrevoir des thèmes qu’il développera dans son musical. Le Concerto pour piano et orchestre (30′) qui suit est un morceau plus conséquent, avec, originalité, le chef d’orchestre au piano. De nouveau, la précision des changements de battue séduit. L’orchestre a proposé ce même programme quatre fois en banlieue avant de se frotter aux micros de France Musique ce soir-là. Avec de solides répétitions, c’est sans doute ce qui explique l’efficacité de ces ruptures bien menées et vitales dans un Concerto qui, pour l’auditeur, a malgré tout quelques “tunnels” peu stimulants. Le long deuxième mouvement semble se diluer faute de direction, et les nuances ne sont pas assez diversifiées pour capter l’auditeur. Le chef-pianiste fait ce qu’il peut pour dynamiser le troisième et dernier mouvement, mais on soupçonne que l’absence de direction complète incite l’orchestre à la prudence et le limite dans ses contrastes sonores. Après un bis rag et blues à souhait, il est temps d’attaquer la pause chips-jambon beurre-Coca (ou couscous-Boulaouane, chacun sa came).
La seconde partie du concert glisse du côté de Maurice Ravel, mort la même année que Gershwin (sauf selon le programme qui, à plusieurs reprises, le donne mort en 1837 : vu le peu de texte à relire, est-ce bien raisonnable de payer des gens pour cela, s’ils ont tout loisir de laisser pareilles coquilles, avec un “q” ?). Le Tombeau de Couperin (18′) déroule ses danses (festons du prélude, forlane, menuet, rigaudon) avec une nette volonté du chef de bien caractériser les différents rythmes. L’aspect un brin systématique de cette composition (soli de différents pupitres, variations parfois un brin répétitives), qui pointe sous des syncopes plaisantes et des harmonies séduisantes, est bien masqué par une dynamique qui rend raison de l’aspect chorégraphique de la pièce. La faiblesse de certains solistes (la trompette de Nadine Schneider semble à la rupture – peut-être la conséquence d’une prise de risques jolie mais pas tout à fait maîtrisée dans les piano ?) et une certaine retenue dans les tutti atténuent légèrement – sans le remettre en cause toutefois – le plaisir d’écoute. Vient alors le tube du Boléro, et cette surprise préparée par l’homme à la caisse claire : un rythme liminaire lancé à fond les ballons. Pas sûr que cela était prévu, mais l’effet est saisissant. Bon gré mal gré, l’orchestre suit cette option de course en avant, d’allant, de force en mouvement. Cette option héroïque, que nous n’avions jamais entendue, nous paraît d’autant plus pertinente que l’orchestre peine à sonner avec puissance comme certaines grosses formations osent le faire. Aussi cette vivacité, légère et euphorisante, redynamise-t-elle la scie aux oreilles des auditeurs. Lesquels peuvent, dès lors, regretter un manque de tension musicale (mais non un manque de couleurs) et de corps dans le plenum final, enlevé sans rubato. Mais c’est là l’option choisie par l’homme à la caisse claire et adoptée, forcément, par Wayne Marshall et ses complices. Pour les fanatiques de gros orchestre sérieux, une version alternative ; pour le spectateur curieux et gourmand, une interprétation gouleyante comme un vin jeune et agréablement râpeux.
En conclusion, un programme dynamisant joué avec originalité par un orchestre motivé sinon parfaitement épanoui – bref, une bonne soirée.

Contrebasses après la bataille. Photo : Josée Novicz.

Salle Pleyel, 16 octobre 2013

Programme Pleyel du jour

Devant une Salle Pleyel complète, l’Orchestre de Paris s’attaque à un joli programme, ce 16 octobre : Sibelius, Ravel et Saint-Saëns.
En ouverture, la Suite Karelia de Jean Sibelius,composée en 1893. Cuivres, percussions, cordes en réponse, mélodies entêtantes, hymnes solennels : tout pour faire de la musique pompier. Pourtant, sous la houlette d’un Paavo Järvi souriant, la phalange parisienne s’obstine à faire de la musique. Du piano très beau au forte martial, avec des effets de crescendo/decrescendo réussis, l’orchestre parvient à donner du corps à cette musique d’accompagnement (à la base, elle servait pour illustrer un spectacle historique), au point d’accrocher l’auditeur au-delà du poum poum qui saisit d’emblée. Beau travail qui valorise cette musique plaisante.
Pour le morceau avec soliste, ce soir-là, la programmation dégaine le Concerto pour la main gauche de Maurice Ravel (le lendemain, la pièce était remplacée par le Concerto pour piano n°2 de Franz Liszt). Au clavier, Jean-Frédéric Neuburger. D’apparence à l’aise, à l’évidence à l’écoute de ses accompagnateurs, le soliste attaque cette partition redoutable avec férocité – vu ce qu’il y a à taper, vaut mieux. Quel dommage, donc, qu’il noie une grande partie du mouvement liminaire dans une pédale omniprésente ! D’où nous sommes, l’effet est désastreux. Toute l’énergie, toute la puissance, toutes les nuances d’attaques différentes, tout est englouti dans un halo incompréhensible. C’est d’autant plus regrettable que les notes sont là ! La main dévore le clavier, cherche visiblement des contrastes, se démène et rebondit avec la verve nécessaire pour rendre justice aux défis (hystérie des notes, illusion de deux mains, multiplicité des styles – du jazz à la marche en passant par les grands sentiments à la sauce romantique). La pédale s’allège à mesure que ces vingt minutes de virtuosité s’écoulent, ce qui permet de mieux goûter et les efforts du soliste et les effets de dialogue avec la masse orchestrale. Mais la déception est d’autant plus grande que le soliste conclut par un redoutable Debussy qui montre que Jean-Frédéric Neuburger sait user plus subtilement de la pédale qu’il ne nous semble l’avoir fait dans son morceau imposé.
Après la pause rillettes-cornichons-bière (ou “juste une coupe de champ'”, selon les religions), c’est l’heure – enfin, les quarante minutes – de la curiosité de l’année : la Symphonie n°3 “avec orgue” de Camille Saint-Saëns, plusieurs fois programmée à Pleyel cette saison. Gros machin que cette symphonie, avec gros orchestre, piano à quatre mains et orgue décoratif pour faire encore gonfler la sauce. L’introduction en douceur est plutôt bien négociée par l’Orchestre de Paris, même si certains départs ne semblent pas parfaitement nets, et même si (c’est dire) on eût aimé, peut-être à tort, des tempi un chouïa plus soutenus pour éviter la dilution de l’émotion. L’arrivée du leitmotiv qui imite le Dies irae pousse l’orchestre à sonner. L’orgue est tenu – c’est pas tout à fait rien – par un Thierry Escaich qui ne feint pas de se passionner pour une partition il est vrai peu exigeante à son aune, peu susceptible de le mettre en valeur, et qu’il a trop jouée, si l’on en juge par son air blasé. Précisons que l’orgue électronique retenu pour la soirée remplit correctement son rôle d’accompagnateur. Paavo Järvi se soucie de donner du souffle à la partition en ouvrant et fermant avec précision la boîte expressive de l’orchestre. Comme il convient, l’ensemble est impressionnant, malgré quelques départs qui donnent la sensation de se faire un peu à l’arrache, mais l’interprétation manque peut-être d’une pointe de tension musicale, d’inquiétude quasi métaphysique (on parle quand même d’un Dies irae) pour nous combler.
En cadeau, et on se réjouit de ce bis, un bout du Samson et Dalila conclut festivement cette belle soirée où l’Orchestre de Paris se montre à son avantage, notamment en rappelant que Jean Sibelius comme Camille Saint-Saëns ont écrit de la belle musique… surtout quand l’interprète la joue sans vouloir “faire joli”.

Salle Pleyel, 2 octobre 2013

Paavo Järvi (ou Vladimir Poutine) vu par Josée Novicz

Paavo Järvi (ou Vladimir Poutine) vu par Josée Novicz

Apéro, solo, plat de résistance et dessert : tel est le programme qu’affronte l’Orchestre de Paris ce 2 octobre à la salle Pleyel.
En apéritif, le Prélude à l’après-midi d’un faune de Claude Debussy semble surprendre les musiciens. Certes, jolie introduction en nuances douces, mais peu de froufroutements ensuite, peu d’émotions et de contrastes perceptibles. Les couleurs de l’orchestre tiennent plus de l’aquarelle que de la peinture – en clair : c’est un peu plus mignon que beau, ce qui ennuie chez Achille de France… Et cela inquiète d’autant plus que s’annonce le solo : le Troisième Concerto pour piano et orchestre de Béla Bartók. C’est le moins explosif des trois, celui où la puissance percussive du piano s’efface devant la recherche moins d’une mélodie que d’une communion (insertion du piano dans l’orchestre, questions-réponses, commentaires sur un thème de l’orchestre…) entre le soliste et l’ensemble. Pour cette soirée sponsorisée par l’Institut polonais de Paris, Piotr Anderszewski fait montre à la fois d’une assurance technique quasi fanfaronne, voire fanfaronne et demie, et d’un souci de dialogue avec l’orchestre et le chef – il est sans cesse tourné vers eux à les écouter et à les chercher du regard. Le résultat est heureux, avec de beaux passages d’ensemble, mais aussi – comme quoi, on doit être chagrin ce soir-là – une impression sporadique de laisser-filer, comme si la tension musicale cédait parfois sous la “jolitude” des harmonies – encore une fois, brillant mais plus joli que prenant. A contrario, le bis permet à Piotr Anderszewski de jouer un Bach très personnel, avec des wagonnets de rubato, pour une pièce certes antimusicologique au possible, mais résolument intériorisée et subjective. Que demander de plus à un bis ?
Après l’entracte, le plat de résistance s’appelle Symphonie en trois mouvements et est signée du chef cuistot Igor Stravinski. Et là, la magie orchestrale opère. Rigueur des départs, énergie des cordes même dans les pianissimi, brillant réglage des échos entre pupitres, efficacité de la direction de Paavo Järvi apparemment plus impliquée, interventions percutantes de la pianiste d’orchestre : et c’est ainsi qu’une partition de fond de tiroir (Stravinski l’avait ressortie et promptement réhabilitée pour répondre à une commande) se révèle enthousiasmante, mêlant beauté des timbres, rage des cuivres mais pas que, construction dramatique et fourmillement d’idées… Cela vaut bien des bravos ! Reste alors le dessert, qui explique sans doute que la salle Pleyel soit quasi pleine, même à la fin du concert : l’indécrottable Boléro de Maurice Ravel. C’est donc parti pour un petit quart d’heure permettant de découvrir l’orchestre, d’apprécier l’implication des musiciens (et pas que du caisse-clairiste !), et de profiter d’un tube qui enthousiasme toujours le public. Le chef est à l’ouvrage : il retient ses ouailles, les fait gronder comme il faut, et la soirée s’achève, tranquille, par un triomphe un brin exagéré au regard du Stravinski qui précédait.
En résumé, une soirée diverse donc stimulante, articulée autour d’interprétations entre bon et très haut niveau, et éclairée par une Symphonie en trois mouvements au contenu aussi passionnant que son titre manque d’entrain !

Soir de "Boléro" à Pleyel. (Photo : Josée Novicz)

Soir de “Boléro” à Pleyel. (Photo : Josée Novicz)

L’orgue mémoire

Audition Yannick 2013

En souvenir de Yannick Daguerre, concert collectif fut donné le 15 septembre en l’église de L’Isle Adam. J’y proposai cinq improvisations “à thème”. En voici la retranscription intégrale, enregistrée par l’organisateur.

1. Introït et broderies furieuses sur la Pastorius toccata pour sonder si l’accord est bon partout (4’40)
[audio:http://www.bertrandferrier.fr/wp-content/uploads/2013/10/Impro-1.mp3]

2. Variations sur un choral inventé (4’30)
[audio:http://www.bertrandferrier.fr/wp-content/uploads/2013/10/Impro-2.mp3]

3. Valse infinie sur un cantique chiant [“Viens avec nous, Marie”] (4’20)
[audio:http://www.bertrandferrier.fr/wp-content/uploads/2013/10/Impro-3.mp3]

4. Lamento technodance (3’40)
[audio:http://www.bertrandferrier.fr/wp-content/uploads/2013/10/Impro-4.mp3]

5. Requiem révolté (4’20)
[audio:http://www.bertrandferrier.fr/wp-content/uploads/2013/10/Impro-5.mp3]

Opéra de Paris, 27 septembre 2013

Rideau sur "L'Affaire Makropoulos". Photo : Josée Novicz.

Rideau sur “L’Affaire Makropoulos”. Photo : Josée Novicz.

Moins sexy que Le Barbier de Séville, L’Affaire Makropoulos ? C’est ce que laisse supputer un Opéra de Paris inhabituellement peu rempli. Tant pis pour les absents.
L’histoire : au premier acte, Emilia Marty, cantatrice admirée, débarque dans un cabinet d’avocats sur le point de conclure une affaire de testament. Elle révèle, Dieu sait comment, l’existence d’un testament contradictoire susceptible de leur assurer la victoire. Au deuxième acte, Emilia Marty séduit à tour de bras : un ex d’il y a cinquante ans (si), l’homme qui pourrait lui récupérer le document qu’elle convoite, le fils de celui-ci, avant de se donner à l’homme au doc, par intérêt. Au troisième acte, Emilia Marty récupère son document, alias le “Vec [secret] Makropoulos”, titre en tchèque : la formule paternelle d’un élixir susceptible de lui permettre de vivre trois cents ans de plus (elle en a déjà 337), et sans lequel sa vie va s’arrêter incessamment. Finalement, convaincue de la vanité des choses, elle préfère se laisser mourir et faire disparaître la formule tant convoitée.
La représentation : cette reprise d’une production de 2007 est portée par la direction très “musique contemporaine” de Susanna Mälkki. Précision, clarté, exigence guident la gestuelle de l’ex-patronne de l’Ensemble InterContemporain. Le résultat est donc très convaincant, même si l’orchestre paraît, aux moments vitaux, un brin sur la réserve – on l’imaginait pouvant tonner plus, mais l’option de privilégier la musique en toute circonstance se révèle, à la longue, très défendable.
Côté chanteurs, il n’y a qu’une vedette : Ricarda Merbeth. Le chœur d’hommes a droit à un service minimal, et les autres solistes ne peuvent briller face à l’ouragan Emilia Marty. Pourtant, tous tiennent leur rôle – difficile – sans encombre. On apprécie ainsi l’incarnation de Jochen Schmeckenbecher en Kolenaty, l’interprétation du dadais niais Janek par Ladislav Elgr, ou le rôle de bouffon triste assumé par le vieux Ryland Davies, honteusement affublé de boucles d’oreilles (il affirme avoir dérobé les bijoux de sa femme, pas les avoir mis, bordel !). Reste que le compositeur écrit essentiellement pour Emilia Marty – un rôle de cantatrice pour une grande voix. Ricarda Merbeth l’assure avec aplomb, malgré les palanquées d’aigus puissants au programme. Vigueur du timbre, maîtrise du souffle et endurance jusqu’à la dernière intervention, redoutable : que demande le peuple ?
Peut-être le spectacle total que demande l’opéra. Donc que l’on place au centre d’un grand bûcher joliment crépitant, après les avoir longuement fouettés et insultés, Krzysztof Warlikowski, le metteur en scène (dont on serait curieux de savoir combien de demi-minutes il a passé pour régler les déplacements de ses personnages – voir par ex. la scène de police du III), et Malgorzata Szczesniak, la décoratrice-costumière (à qui il faudra sans doute apprendre à lire, afin qu’elle ait une chance de comprendre un livret, la prochaine fois qu’elle sévira, de préférence loin, en Mandchourie du Sud peut-être – ou alors, qu’elle m’explique où elle a vu au I le compositeur réclamer des “micros sur pied”). Par leur toute-puissance, ces crétins ont déplacé l’histoire à Hollywood, Emilia Marty devenant Marilyn Monroe, avec perruque, robe qui volette et pénibles vidéos type INA. L’idée est stupide (L’Affaire Makropoulos est un opéra sur l’opéra, pas une composition sur la célébrité), lourde, vulgaire (surtitres en fond jardin se déformant comme des fonds d’écran de secrétaires d’état-civil à la fin des années 1980), et constamment hors-sujet. Ainsi de la transformation de Krista (jouée par Andrea Hill) en Marilyn bis, alors que Krista ne cesse de dire qu’elle va arrêter le chant, et qu’Emilia Marty ne lui transmet finalement pas le secret des Makropoulos. Ainsi de l’insertion passante de décors de toilettes (avec écrans de télé intégrés), d’une salle de bains, d’une piscine. Ainsi de la quasi-nudité récurrente d’Emilia Marty, qui se change sur scène et enlève tout caractère de fable ou de récit philosophique à cette histoire extraordinaire. Ainsi de la grande scène finale, avec mort anticipée, superbe dialogue avec le chœur sur la vanité des choses, destruction par les flammes du secret de vie éternelle : ici, rien – coma banal, hommes en T-shirt à la gloire de Marilyn-Ricarda-Emilia, fondu au noir dans une piscine en coupe…
En conclusion : dans ces conditions, alors que Ricarda Merbeth, souvent, était nue (ou presque), l’émotion, elle, est ténue – bof, d’accord ; mais la morale de cette histoire, c’est surtout qu’il est scandaleux que des incompétents de la trempe d’un Warlikowski ou d’une Szczesniak, prétentieux et si peu musiciens de cœur, aient le loisir de monter un opéra qui, partant des conventions les plus archétypales confrontées à une musique détonante, finit sur un questionnement poignant tout en interrogeant le sens même de l’opéra – et non celui de la culotte de Marilyn. Dramatiquement, donc, une soirée détestable ; musicalement, un moment bien stimulant.

Ricarda Merbeth l'éblouissante. Photo : Josée Novicz.

Ricarda Merbeth l’éblouissante. Photo : Josée Novicz.

Cité de la musique, 20 septembre 2013

Le clavecin de Bach. (Photo : Josée Novicz)

Le clavecin de Bach. (Photo : Josée Novicz)

Après une tournée triomphale commencée non moins triomphalement à Paris, et après la sortie du DVD du spectacle, Alexandre Astier est revenu à Paris pour quatre dates, afin d’y donner Que ma joie demeure !, son one-man-show où il est Bach.
L’histoire : Johann Sebastian Bach est vénère. Il est obligé de donner une journée de formation musicale aux bouseux de Leipzig. Armé d’un tableau et d’un clavecin, il va donc leur enseigner l’harmonie, le rythme, la musique internationale et l’art de faire entrer une tranche de jambon ronde entre deux tranches de pain carré. En chemin, il apprendra à une stérilisatrice de génisses qu’elle n’a pas l’oreille absolue, il écrira son nouveau morceau grâce aux miettes de pain disposées dans le fond d’un moule par le Saint Esprit, il entendra crier son petit dernier alors qu’il est chez une cousine, et il règlera l’expertise de l’orgue transformé en ruche au su du clergé (qui vend le miel fabriqué dans les tuyaux dits “manquants”). En contrepoint, on voit Bach bourré commenter le massacre de son dernier choral, chercher la rédemption en se confessant – étrangeté que l’auteur a fini par contourner en ajoutant un métatexte, jouer un bout de suite à la viole et confirmer que, pour s’endormir, rien ne vaut le clavecin (à condition de finir par une cadence parfaite).
Le spectacle : muni de deux béquilles à l’ancienne – il s’est blessé à la toute fin de son spectacle bordelais, troquant désormais ses “putain de mocassins” pour des Nike customisées par Jean-Christophe Hembert, Alexandre Astier intègre tant bien que mal cette nouvelle contrainte à un spectacle de très haute volée. Le créateur de la série Kaamelott, musicien classique frotté au jazz, peut ainsi, malgré tout, s’amuser dans son registre coutumier : l’anachronisme subtil, la trivialité du génie, le misérable comme refuge de la transcendance. Si. Cela donne une pièce de très haute volée, jouée avec conviction par son auteur, qui casse avec habileté les codes des genres utilisés – la conférence parodique, le one-man-show, le théâtre musical.
Certes, on doit pointer les défauts évidents de cette forme couturée, dont le contenu semble avoir beaucoup évolué (moins de place pour les drames familiaux, tant mieux ; l’interprétation musicale s’est réduite, pourquoi pas, mais dommage que Que ma joie demeure soit désormais limitée à tenir lieu d’interlude ; adieu au gag du portable de 1730 et à ses élèves de musique tous appelés Wilhelm, rencontrés dans le sketch de Montreux en 2010, snif) à mesure que les représentations avançaient. Par exemple, l’unité de temps (une journée de conférence + le retour à la maison) est ratée, puisque Bach semble chez lui à l’université (il entend Johann Christoph crier) mais reste coincé dehors en rentrant. C’est la patte Astier : dans Kaamelott, les incohérences spatio-temporelles sont légion, sinon romaines – oh, ça va, hein, humour.
Reste l’essentiel : l’évidence du talent. C’est très drôle, et, de surcroît, la performance est que l’auteur évite tant le démago que, pire, le pédago. La transformation du premier prélude dit “de l’Ave maria de Gounod” en valse à dix-neuf temps (même si on saute un épisode dans cette version, dommage), est remarquable ; les emprunts-hommages à Dieudonné sont, sinon courageux – Alexandre Astier a toujours soutenu l’humoriste – du moins efficaces ; le surgissement de l’absurde (questions du public fictif, usage de la ruche) n’éloigne jamais du propos, au contraire, qui semble être profondément autobiographique chez le créateur, et qui l’est sans doute chez chacun de ses fans : quelle est, en moi, la part du médiocre et la part du génie ? suis-je le bouseux venu assister à la vie avec un seau de graisse de mouton en cas de fringale, ou le mec capable de lire une note en une dizaine de clefs différentes ? le quotidien m’a-t-il assez abruti ou suis-je encore en train de lutter pour ne pas être réduit à ce que la société me demande d’être ?
Cette inquiétude sourde – que Dieu finit par nommer à Bach sous son vrai nom : la tristesse – vibre tout au long de Que ma joie demeure !. C’est aussi ce qui fait le charme de ce divertissement haut de gamme, et sans rival d’aucune sorte en France : mettre en scène avec force un oxymoron permanent, une boule de contradictions, associant un pédagogue qui ne veut pas enseigner, un parent qui voit mourir ses enfants, un génie qui a les deux pieds et jusqu’aux cuisses même dans la crotte du quotidien, un homme rationnel qui se demande si la raison ne serait pas de devenir fou. En conclusion, ce n’est donc pas seulement un très bon spectacle comique : c’est un très beau spectacle. Partant, il est juste que les villageois vous acclament comme… comme des villageois, Sire !

Alexandre Astier-Bach. (Photo : Josée Novicz)

Alexandre Astier-Bach. (Photo : Josée Novicz)