Ensemble Perspectives, Songs of Experience, Outhere Music
Dans le beau disque de l’Ensemble Perspectives, impressionnant par sa maîtrise technique et son constant souci d’excellence musicale, il y a le savoir-faire d’arrangeurs excellents, la qualité de la production, le talent et le travail collectif de Mathilde Bobot, Marie Pouchelon, Sean Clayton, Romain Bockler, mais aussi, à la base, la provocation du brillant baryton Geoffroy Heurard. Fonder un quintette vocal, orienté lyrique-mais-pas-que, dans une France qui ne regorge pas de ce genre de formation classique à haut niveau, est-ce une bonne idée ou un défi facétieux d’artistes cherchant à se distinguer ?
Après de nombreux spectacles, le deuxième disque du combo, en partie financé par le crowdfunding, répond. Et il atteste, sans surprise, qu’il s’agit d’un projet réellement musical, dont nous rendions compte ici tantôt. Songs of Experience embrasse six siècles de musique, de Thomas Tallis à David Bowie. L’ensemble des pièces est traité avec la même attention au rendu, à l’expression et à la justesse d’intonation. L’auditeur ne peut qu’être happé par cette association entre, d’une part, cinq voix distinctes formant un tout et, d’autre part, six siècles de composition rassemblées dans un son reconnaissable.
Toutefois, d’emblée, prévenons les oreilles distraites : Songs of Experience n’est pas fait pour elles. Parce que la première piste, ouvrant façon pop d’élite sur David Bowie, est une fausse piste. Et parce que, à force de commander des arrangements chic donc gouleyants mais un peu uniformes, évitant toute forme d’outrance caricaturante dans la caractérisation des pièces quintettisées, l’ensemble Perspectives peut paraître écraser, pas pu m’en empêcher, les perspectives. Écoutez à la suite les plages 6 et 7, arrangées avec brio par Vincent Manac’h : la spécificité des harmonies de Maurice Ohana par rapport à « Black is the color of my true love’s hair » n’apparaît pas avec acuité à un cerveau distrait. Ce défaut apparent exige l’écoute, ce qui affaiblit le qualificatif de « défaut ». En effet, il faut rendre justice à cette ambition de chanter dans un même souffle trois types de répertoire : la variét’ bon teint (Bowie, Brel, Salvador), la musique Renaissance et les compositions, en gros, du début du xxe siècle.
Or, le résultat est toujours remarquable d’artisanat (excellents arrangements de Philip Lawson, Étienne Planel, Vincent Manac’h et Libby Larsen, contrairement à ce que nous supputions avec une fatuité ridicule lors de notre précédent compte-rendu – j’ai laissé tel parce que, faut bien le dire, parfois, le critique qui s’y croit écrit des bêtises, à quoi bon le cyberbiffer), et réalisé avec une finesse et un sens du détail que la prise de son de Ken Yoshida valorise. C’est donc dans cette globalité qu’il faut apprécier le travail de la bande à Mr Heurard, même si des questions se posent : ce souci de cohérence ne risque-t-il pas d’effacer quelques aspérités et différences qui eussent pu paraître bienvenues ? le désir d’être perpétuellement so chic n’entraîne-t-il pas un manque de déprise dans les chansons contemporaines (ironie totalement absente de « Syracuse », sérieux plombant un peu « Bruxelles » alors que, à sa façon, la concurrence sur ce créneau semble un brin plus pertinente, des Cinq de chœur aux Jambons reprenant a capella « Antisocial ») ?
Sans doute, dans ce questionnement, réside-t-il une partie de l’identité de Perspectives. Grande et louable est son exigence, qui pousse le quintette à refuser le contraste différenciant au profit de l’unité du répertoire. Ce nonobstant, carrément, peut-être certains verront-ils dans ce qui peut passer pour une ravissante indifférenciation, une piste d’approfondissement du travail : la cohérence vocale et la qualité musicale étant assurées, peut-être serait-il judicieux d’oser, avec délicatesse mais sans tabou, préciser l’interprétation des différents genres – notamment, pour ce qu’aussi loin je suis concerné, le sens des chansons, fussent-elles arrangées avec noblesse donc frisant, faute de rendu adapté, le contresens.
Pour conclure, saluons les qualités de ce disque : original, uni, ambitieux, techniquement séduisant et, à l’ère du mp3 réducteur, habillé d’un bel objet physique malgré une relecture perfectible (Philip Lawson sans cap sur le premier titre, graphie du castillan mal maîtrisée, nom des auteurs/compositeurs inégalement annoncés : n’est-il pas paradoxal que les paroles soient inscrites sous le seul nom du compositeur – le cas de la « batucada » offrant un nouveau cas d’amélioration pour les fanatiques du détail ?). Bref, une découverte vivement conseillée pour sa qualité d’ensemble et les vraies questions qu’elle agite.
Bonne année !
C’était bien parti. Je rentrais avec un plantigrade prêté pour l’occasion, qui souhaitait kiffer la vaillebe en écoutant « Rires et chansons ». Et puis tout est allé trrrès vite. Une serrure qui refuse de s’ouvrir. La nécessité ce nonobstant de se glisser à l’abri. Le troc d’un matelas confortable contre un parquet de tribune d’orgue. Et, heureusement, un chien qui assure ta sécurité, dans l’immensité nocturne d’une église parisienne.
Un radiateur en plus et un pote serrurier, l’année aurait, finalement, pas commencé si mal. Mais bon, ne m’appelez pas bonne année, merci.
Michel Chapuis, Concertos pour orgue op. 4 de Haendel, Quantum
Vous avez aimé la folie Jean Guillou dans seize concerti pour orgue de Georg Friedrich Händel (Augure) ? ou la tranquillité d’un Herbert Tachezi aux ornements joyeux fricotant avec l’informé Concentus Musicus Wien de Nikolaus Harnoncourt (Teldec) ? Il est temps de revenir à la raison mesurée de Michel Chapuis, rythmée par l’orchestre de chambre du Marais placé sous la direction de l’organiste et chef Pascal Vigneron, et disponible dès le 5 janvier – par exemple ici.
Comme celle de Johnny Hallyday, mais en infiniment moins pute, la mort de Michel Chapuis a valu à l’artiste une déflagration de sanglots admiratifs. Oh, pas des cultureux millionnaires opportunistes et sales, montés d’Arles pour gratter un peu de gloire entre gens de fortune. En revanche, le chœur des rganiss, lui, a pleuré un musicien que moult considéraient comme intègre et pertinent. Qualités pas très sexy, à l’ère du creux Cameron Carpenter, mais qualités qui vont au-delà d’un sens de la rigueur que l’on dirait snobistiquement « à l’ancienne » comme une moutarde fade. Pascal Vigneron, le chef et rganiss et patron du label Quantum, tantôt chroniqué çà et là, n’est pas peu fier de rééditer sa gravure de l’opus 4 des concerti de GFH. D’abord parce qu’il a joué aux trains miniatures avec le maître. Ensuite parce qu’il a appris que, grâce à lui, Michou avait enfin étrenné son smoking. Enfin parce qu’il tient Michel Chapuis pour l’un des très grands, et que ce très grand était passionné par les concerti en question.
Pourtant, ton farce à part, admettons-le : ce ne sont pas les pièces les plus passionnantes pour les obsédés d’orgue. Pour trois raisons. Un, ces pièces sont souvent des remixes d’œuvres précédentes, contenues dans une structure engoncée dans l’alternance lent/vite/lent/vite qui, sur une heure d’écoute peine à passionner (logique : c’était pas fait pour). Deux, ces pièces sont conçues comme des interludes entre deux actes opératiques, composées-jouées-dirigées par le même mec, ce qui sous-tend une certaine efficacité du propos synonyme de simplicité d’écriture. Trois, ces pièces sont écrites pour des instruments basiques, que Gilles Cantagrel, dieu de l’organologie musicologistique contemporaine, décrit ainsi : « Un clavier, plus court que celui d’un clavecin, pas de pédalier, quelques jeux seulement. »
L’heure n’est donc pas aux sons spectaculaires, ni à la reconstitution historique pur jus (l’orgue Jean David du Mont-Dore ici utilisé a deux claviers, onze jeux et un pédalier)… ni à la précision de la réédition (l’image de l’orchestre de chambre du Marais et de sa jolie hautboïste date de 2017), ni à l’originalité appétissante de compositions souvent bien sonnantes mais fonctionnelles. Pourtant, en dehors de l’émotion suscitée par le décès d’une figure de l’orgue français, comparable en plus retentissant et en moins dramatique à la mort de Yannick Daguerre (peste, le nombre d’élèves que les grands organistes doivent se découvrir lorsqu’ils meurent !), cet enregistrement saisit. Et pas que parce qu’il nous fut offert. Quatre qualités lui doivent être attribuées : précision des attaques, énergie des tempi vif, caractérisation des mouvements et sens du tempo, macro (battue générale) et micro (respiration et distension à l’intérieur d’un même beat). L’orchestre menu est au rendez-vous des synchros indispensables, d’autant que ses solistes brillent quand on l’exige (violoncelle dans le premier mouvement du IV.3). Les tubes sonnent avec entrain (premier mouvement du IV.4 et du IV.6), et les allusions aux airs populaires sont entonnées avec l’humour délicat qui sied (« Joseph est bien marié » sourit dans le dernier allegro du HWV 291).
Et l’organiste ? Raison d’être du disque et soutenu par la ponctuation en rien excessive de Christine Auger, il est bien un exemple d’intégrité. Rien ne dépasse, dans cette version studio. On apprécie le sens de la phrase et du détaché. Michel Chapuis n’était pas homme de folie. GFH non plus, en tout cas dans les pièces constituant son dossier de compositeur. L’association des deux, eût-elle été tardive, fait sens. Dès lors, on aurait tort de se laisser détourner par la photo surexposée de la première de couverture, avec veston suranné et chemise si blanche qu’elle en perd presque sa pliure. Dans ce disque, il y a une force tranquille qui va. La dernière plage souligne ainsi combien le respect apparemment simple et néanmoins fervent du tempo est susceptible de receler d’énergie.
En conclusion, ce disque est à l’image apparente de Michel Chapuis : en dépit d’une musique surtout pas faite pour être écoutée au long d’un disque, foin de foufoue attitude. La seule manière d’honorer GFH est de faire écho à son sens de la composition utile mais belle, et à la spécificité historique de son propos, avec ses limites et ses astuces… comme toutes les spécificités. Sans s’engoncer dans les débats historiologiques mais sans feindre de les oublier, l’Orchestre du Marais, Pascal Vigneron et Michel Chapuis tiennent, avec dignité, cette juste et redoutable barre. Cette manière de rendre hommage à Haendel est donc bien une manière de rendre hommage à Michel Chapuis. Manière qui subsume, sans conteste, le souci commercial, intelligent mais fervent, du ressurgissement opportun.
Backstage with Jann Halexander, Théâtre du Gouvernail, 16 décembre 2017
Enfin, quelques photos scluziv, volées avant le passage du chanteur, dans l’intimité des coulisses où je grenouillais afin de fredonner deux p’tites tunes.
Le reste, bien sûr, ne se raconte pas. D’autant que j’ai bien foiré ma jolie photo du fer à repasser. Je trouvais ça tellement classe que cet accessoire fût prévu dans la loge. Genre, hyperpro, non ? Baste, tenons-nous-en au symbolique, puisque mon médiocre photophone le décida. Parfois, il a plus raison que moi. Ce qui n’est pas si difficile, mais bon.
En attendant Emmanuelle Isenmann et Olivier Willemin
Malgré une sourde-et-pas-que-sourde hostilité de tel ou tel hurluberlu, gros succès de la visite de l’orgue…
… et du concert de la veille don’ Noé, avec la pétillante présence de Laure Striolo, du genre soprano qui chante l’intégralité de La Traviata, mais qui accepte aussi volontiers d’entraîner la foule dans un cantique populaire quand l’esprit du concert l’exige.
Merci à elle et à toi, public !
L’église n’est pas une salle d’Elton John sauf si
Soyons clairs, contrairement aux apparences, l’église n’est pas une salle de spectacles. Et cependant, pour accueillir la diversité, parfois, c’est une salle des fêtes comme une autre, et je le re-prouve, avec ou sans accent.
(« Bertrand, tu as envoyé une candidature, faut pas mettre ce post ! / – Ben au contraire. J’ai jamais pris les gens en traître. Mais, note, j’ai pas stipulé que la laïque DJ a gueulé car l’Andante de Mozart joué pour ‘le geste de la lumière’, lors du précédent convoi, était totalement inapproprié. Non, ça, ça reste entre nous. À la rigueur, je stipule quand même qu’elle s’appelle Josiane, vu qu’elle a refusé de me dire où étaient les peluches Winnie et Bourriquet qui, tantôt, attendaient les jeunes fidèles à l’entrée de l’église. Ça, c’est vraiment dégueulasse. Moi, j’étais prêt à les abriter et… Bon, tu crois pas qu’on dévie ? »)
C’est Noël tout le jour…
… quand après un concert qu’un gougnafier a saboté autant qu’il a pu (mais pas autant qu’il l’espérait, toc), après trois messes où l’orgue était réduit à un ploum-ploumeur interdit de soli, une supervision désagréable par un frustré aux manières aussi fausses que doucereuses, l’intervention d’animateurs pas tous au top de la compétence ou de la lucidité sur leur niveau, tu peux aller « rendre service » à un vacancier. Ou jouer avec deux chats, si on présente ça de façon moins ONG, soit.