Blogadmin

Saint-Denis, terre de néoculture

Avec Frédérique Épin, Emmanuelle Isenmann, sopranos ; Caroline Tarrit, alto ; Eloan, le percussionniste ténor ; et Olivier Fourcade, basse. Photo : Rozenn Douerin.

Si chanter, c’est fermer deux fois la gueule aux cons, alors chanter en chœur de la musique contemporaine dans l’un des départements les plus pauvres d’Île-de-France, c’est faire encore mieux. Surtout quand ça se pratique dans la bonne entente, le professionnalisme et l’enthousiasme.

Photo : Rozenn Douerin

Après, qui dit 93, dit forcément problèmes religieux. À titre personnel, je propose un gros culte du diapason beaucoup plus en contact avec le son. Mais bon, chacun peut faire ce qui lui chaut. Comme ne disait pas jadis un chiadiss : aussi loin que concerné je suis, j’m’en fous.

Tous les chanteurs pratiquent la religion du diapason, mais les cultes varient parfois. Photo : Rozenn Douerin.

Partout, pour tous

Parfois, on regrette que chanter de la musique contemporaine n’implique pas d’être transporté  en limousine vers des contrées aux paysages enchanteurs. Mais c’est joyeux qu’un département croie encore que la musique de qualité, à défaut de sauver le monde, réunit les curieux et propose un partage un brin plus stimulant qu’une émission de la télé publique, pourtant infiniment plus coûteuse. Bref. Et puis marcher plus d’un kilomètre entre le métro et le lieu du concert, ça inspire pour le post du jour. Alors bon.

Un lundi dans une espèce d’espace


Parfois, pour la journée, je pars en vacances, ni de vie ni d’envie, dans un autre monde, une autre galaxie. Invité par un propriétaire de chevaux (et sa compagne propriétaire de cheveux), je découvre le monde des courses hippiques. Comme y a plein de nanimaux et des gens sympa, je kiffe ma race, comme on disait dans les années 1900. Bien sûr, le principal est d’encourager Ayguemorte…

Ayguemorte dans la meilleure position (jockey en casaque rose et grise) : l’attente du début de course

Après sa douche, sur laquelle il convient de jeter un voile de lumière pudique…


… on peut même discuter avec le crack, genre c’est normal de parler aux vedettes.


En l’absence des lads, tu peux même causer avec des concurrents logés non loin. Foufou.


Puis, à l’écurie, quand tu raccompagnes le monstre, tu rencontres ses frères d’entraînement…


… ou juste des voisins punk…


… ainsi que d’autres frères plus ou moins hippyques…


(Si, il est typique, ce frère : il vole absolument.)


Bref, plus la journée avançait, plus les chevaux prenaient des formes inattendues.


J’m’en fous, comme les humains, j’aime bien parler avec les chevaux de n’importe quelle race, sauf que je préfère parler aux chevaux qu’aux humains, bref. À un moment, gorgé d’amitiés et de rencontres, tu retrouves le ciel…


… et la vraie vie…


… mais, quand t’as vu des chevaux de toute race, tu te dis que, pour le reste, on verra plus tard, et puis c’est joyeusement marre.

La musique vue par ceux qui la zouzoutent (parfois)


Après, tout ce que je peux dire pour ma défense, c’est que j’étais là en concert avec Soli-Tutti, pour chanter Rebeca Santiago Martinez, Petr Eben et Huihui Cheng. Et AUSSI pour, comme tous les membres du chœur, sans doute, photographier des reflets de vitraux avec un méchant smartphone, mais bon. Une église était pleine, contre entrée payante, pour entendre un concert de musique contemporaine ébloui par les solistes de l’orchestre Divertimento. Et ça, malpeste, ça fait chaud.

En attendant le double concert qui se faufile…

Bruno Beaufils de Guérigny par Rozenn Douerin

Et hop, encore un concert ambitieux, original et sur-mesure concocté avec grâce et audace par Bruno Beaufils de Guérigny. Un récital de Carême autour de l’orgue mystique, feat. des pièces de bataille de Jehan Alain, APF Boëly et Johann Sebastian Bach, mais aussi des raretés siglées Jean Françaix ou Erik Satie, le tout interprété avec la sérénité d’un artiste moins soucieux de plaire ou d’impressionner que de jouer de la musique.

L’impeccable BBdG en pied ou presque par Rozenn Douerin

Un moment hors du temps offert aux foufous venus ouïr, grâces leur soient rendues, le concert Komm, Bach! de ce 10 mars. Merci à tous, et… à bientôt pour l’incroyable vikande qui s’annonce : orgue et flûte de Pan, puis orgue et chœur essentiellement issu des artistes de l’Opéra de Paris !

 

Sans trembler, avec Tremblay


Ce vendredi, au théâtre L’Odéon – Jean-Roger Caussimon de Tremblay-en-France, a été créé
Tian Wen II de Huihui Cheng par le chœur Soli-Tutti (dans lequel je glisse quelques sons de basse 1), sous la direction de Denis Gautheyrie, avec l’orchestre Densités issu de l’ensemble Divertimento, feat. notamment les excellents Yves Bruchon, première clarinette, et Sandrine Roche, piano, sous la direction de Zahia Ziouani.  Juste avant, une partie des ensembles répétait les Řykadla de Leoš Janáček.
Les reconnaisseurs reconnaissent le régisseur, toujours attentif et serviable (si, un mec qui s’occupe du plateau puis qui tient la porte à une trentaine de clampins, c’est un mec attentif et serviable) à son bun, uniforme de la fonction à égalité avec le casque-micro pendant le feu de l’action. Quant à moi, j’ai vu la mort me faire couroucoucou dans les coulisses : la dernière fois que j’étais venu dans ce théâtre, c’était pas pour chanter de la musique hypercontemporaine, c’était pour applaudir comme spectateur fanatique les Jambons, formidable groupe mouvant marqué par la personnalité de l’excellentissime Philippe Chasseloup.
Si je devais bilaniser cette expérience, ce qui ne veut RIEN dire mais le dit BIEN, je proposerais cette formule : le temps passe ; les souvenirs de charcuterie, non. Bizarreries de la cognition humanoïde.

Bruno Beaufils de Guérigny en approche

C’est le concert que les curieux et les fanas d’orgue attendent, avec un programme au titre intrigant (« l’orgue mystique »), des standards magnifiques du répertoire (le « Prélude, fugue et variation » de César Franck, les « Litanies » de Jehan Alain) et des curiosités signées Éric-Alfred-Leslie Satie ou Jean Françaix. Une heure de belle et grande musique, avec grantécrantrélibre, jouée par un concertiste habitué de Saint-André de l’Europe… mais aussi de grrrandes tribunes comme Saint-Germain-des-Prés.


À noter que, pour ceux qui baguenaudent dans le quartier quelques heures auparavant, Gauthier Fourcade prestationne tout près de l’église Saint-André de l’Europe, dans un p’tit théâtre gouleyant, à l’occasion d’un spectacle singulier, rigolo, fin et riginal dont nous dîmes jadis du très bien, ça nous arrive, ici. Aussi loin que concerné nous sommes, nous en conseillons donc vivement la fréquentation. Rens. ici.

Loïc d’Argut, « Premier volume », Théâtre Le Bout, 6 mars 2018

Loïc d’Argut. Photo : Bertrand Ferrier.

Loïc d’Argut (Argut étant une petite commune de la Haute-Garonne) est un artiste en développement. C’est comme tel qu’il faut envisager son spectacle Premier volume (une heure de comique-qui-chante-avec-sa-guitare) et non à l’aune de pairs déjà méchamment installés dans le métier, tel Redouane Harjane. Aller voir Loïc d’Agut, c’est donc imaginer un potentiel plutôt que de jauger un résultat.
Dès lors, toute critique signale moins un défaut supposé qu’une piste que l’artiste s’apprête sans doute à creuser, à mesure que se déroulera sa carrière. Des exemples ? Donnons-en six.
Un, son personnage, peut-être peu défini en l’état, se nourrira au fur de l’expérience, même si l’on apprécie la tentative d’associer stand-up (saynètes pseudo autobiographiques) et petits bouts de sketchs.
Deux, les punchlines, encore sporadiques, vont s’affiner et se multiplier.
Trois, Loïc atténuera sa modestie qui le bride encore, nous semble-t-il, sur deux plans : il n’ose pas développer ses idées les plus prometteuses car les plus singulières, et il paraît s’obliger à délayer des tunnels sur des sujets convenus (du type : « Je respecte la religion mais j’ose critiquer que les cathos alors je vais critiquer les cathos avec des piques pas forcément injustes mais éculées donc pas toujours drôles »).
Quatre, ses audaces vont probablement s’audacifier, en transformant la provocation en ironie et le non-conventionnel en inattendu distancié : tenter de choquer en contant fleurette à la mort ou en se gaussant des victimes de criminels, éternel petit Grégory compris, ne suffit pas à se rapprocher de l’insolence d’un Desproges, référence revendiquée au début.
Cinq, détail qui a son importance, les retours d’expérience lui conseilleront très vite de changer de costume s’il veut continuer à lever les bras sans que le public profite de ses auréoles ensueurées.
Six, la mise en scène de Coralie Lascoux va se déniaiser : pour le moment, on a du mal à comprendre la maladresse qui consiste à mettre l’artiste sur scène pendant que les gens s’installent ou passent devant lui pour aller pisser en arrière-scène. Plus encore, on eût aimé que la conseillère scénique de Loïc poussât plus loin les bonnes idées, comme celle de boire une gorgée de Mort subite sur scène en parlant de la mort : il y aurait beaucoup plus à faire autour de ce running-gag (accumuler les bouteilles au lieu de les cacher, alléger ou varier la revendication du sponsor, par ex.), quitte à remotiver l’idée simplissime d’Elisabeth Buffet entrant sur scène et commençant par boire vraiment, elle, une bouteille de bière, bordel.


Pour le moment, on apprécie la méritoire prise de risque de Loïc d’Argut. Après s’être souvent produit sur de petites scènes comme chanteur, il tente à présent de chanter par la bande (qui n’est pas qu’un terme porno – thème cher au zozo), en se glissant dans la programmation du théâtre Le Bout, désormais spécialisé dans les one-man-show. Certes, cela change la vision des chansons qui, malgré l’enthousiasme du clan d’Argut, ne paraissent pas assez drôles pour remplir la promesse de rigolade pas bête faite aux spectateurs – parce qu’elles ne sont pas préconçues, pour la plupart, pour être uniquement drôles. Quelques ratures joyeuses – trou, si l’on peut dire sans avoir l’air con, redites d’amorces, jointures trop visibles – rappellent le plaisir de voir un artiste en live : plutôt qu’un DVD patché, nous avons affaire à un être vivant, certain du message qu’il veut communiquer mais potentiellement fragile. Ainsi, on est convaincu que l’artiste en développement, qui se sort souvent fort bien des aléas du direct, transposera bientôt ses chansons un peu plus haut, notamment la première qui, malgré la confiance de l’hurluberlu dans sa voix grave, semblait trop basse et était, du coup, peu audible.
De même, l’artiste en développement saura créer ses propres gimmicks, auxquels il travaille (« une chanson pour vous-même de moi-même », avec un savoureux effet d’attente que j’aurais encore prolongé : c’est gros, mais ça marche très bien car c’est joliment troussé…), tout en continuant à reprendre des intertextes de vedettes : Florence Foresti et sa nounou gothique disparue (technique de l’horreur macabre réutilisée à propos de l’épouse ou presque, tuée de plusieurs façons) ; Franck Dubosc et son « mais tout ça c’était avant le drame, bien entendu » ; truc repris par moult comiques du « vous pouvez me parler, je suis pas un DVD », ici bien remotivé par « je suis pas une VHS ». Artiste en développement, on l’aura compris, Loïc va, à l’évidence, continuer à travailler son jeu de scène, notamment sur les transitions, sur la diction (sporadique impression d’un texte plus récité qu’interprété) et sur la gestion du public (ce soir-là, les piques, euphémisme, au premier rang, où se trouvaient maman et deux autres « vieilles », sont trop faciles et appuyées : quand on n’est pas du clan quasi-toulousain, ces quolibets, même s’ils sont pris en bonne part par la famille, sont, pour les étrangers, plus gênants qu’amusants).
En résumé, il est joyeux de voir quelqu’un qui a partagé une scène de chansonniers avec soi remplir le petit mais chaleureux théâtre Le Bout grâce à un vrai spectacle à lui-tout-seul, qui plus est le soir où le PSG, fidèle à sa tradition, se ridiculise – cette fois devant le ridicule pantin au double Z. Faut-il, si on n’y alla point, regretter de n’être point allé applaudir LDA ? Soyons clair : non si vous rêvez d’un show léché et conforme aux standards mous que déploient benoîtement la plupart des « nouveaux talents » de « Rire & chansons » ; oui si vous souhaitez découvrir un talent brut mais riche de possibles, perfectible mais volontaire, provocateur mais mesuré, chanteur mais comédien, bref un type à la sauce Goldman-Jones : il est, comme les pôles, solide et fragile à la fois… comme tout respectable artiste en développement.

Mille dieux !


Quand, pour te remercier d’avoir joué avec des animaux, échangé des blagounettes, bu des coups (par solidarité, bien sûr) et suçoté quelques nourritures, des gens t’envoient un colis incluant le truc photographié supra, tu te dois, en tant qu’être humain hypernormal, de leur délivrer, de manière élégante, un diagnostic fiable et définitif. C’est pas méchant, hein. Juste que, les pauvres, ils sont pas adaptés à la vraie vie.