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Fruits de la vigne – Domaine Angiuli, « Primitivo »

Photo : Bertrand Ferrier

 

Double danger :

  • aller un voir un caviste en lui demandant un vin pour accompagner des spaghetti bolognaise, et se voir proposer un vin italien ;
  • penser « Ha, pourquoi pas, je connais pas » et accepter la suggestion.

Oui, quitte à jouer les bravaches, nous nous sommes senti de taille à affronter ce double péril. Aussi nous sommes-nous retrouvé en possession d’une bouteille de « Primitivo », un vin du domaine Angiuli, dans la province de Bari. Comme son nom l’indique, c’est un monocépage (100 % primitivo, donc) réputé corsé, ce que confirme l’étiquette affichant sans complexe 14,5°.
La robe est d’un rouge plutôt clair. La trouble une tentation vers l’obscurité et la densité dans laquelle elle n’ose point tout à fait plonger.
Le nez est discret. On croit sentir qu’il égrène, timide, un petit chapelet où grains de café et de cassis se côtoient avec un sens du vivre-ensemble qui ferait se pâmer un élu socialiste, tant qu’il en reste, prônant la mixité sociale bien calé dans son duplex de la place des Vosges. A posteriori, j’ai bien lu qu’il fallait y découvrir des « herbes aromatiques » : j’ai dû mal chercher ou me laisser distraire par un bosquet aux mouvements suggestifs car je n’ai rien décelé de tel.
La bouche s’articule en trois temps.

  • D’abord, derrière le pétillement qui gâche un peu son attaque, fleurit un bouquet d’épices où la cannelle ne laisse pas sa part aux chiens qui, au reste, s’en seraient fichés comme de colin-tampon.
  • Ensuite s’établit une amertume aux accents caféinés (oui, je tente « accents caféinés », c’est sans doute une remotivation lexicale extrêmement signifiante, à moins que ce ne soit un syntagme de bon gros snob des familles, voire les deux).
  • Enfin, on semble se diriger vers une impression compotée, plutôt floue donc assez difficile à attribuer à une dominante spécifique.

Le mariage avec le trio pâtes-tomates-viande est adéquat, mais il manque au jus la netteté, la personnalité voire l’originalité qui provoquerait un sain dialogue avec un mets proportionnellement peu relevé. Si à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, à échouer avec  danger, on ne triomphe pas beaucoup plus. Est-ce, comme l’eût écrit Pier Paolo Pasolini (in : Une vitalité désespérée. Anthologie personnelle 1953-1964, Gallimard [1973], « Poésie, 2020, p. 87),

 

justement en cette torpeur
qu’est la lumière ? en cette inconscience
d’enfant, d’animal ou d’ingénu libertin
qu’est la pureté ?

 

En l’espèce, nous aurions sans doute aimé que la pureté de la lumière se secoue ou nous transperce. Qui sait si, la prochaine fois que nous braverons une double menace…

 

Irakly Avaliani, Intégrale Brahms volume 1, L’art du toucher – 2/10

Irakly Avaliani le 18 mars 2024 à la salle Cortot. Photo : Rozenn Douerin.

 

Après une première ballade jouée avec profondeur, voici la deuxième, toujours andante, toujours en ré mais, cette fois, en majeur. « Espressivo e dolce », elle s’ouvre sur un triple balancement.

  • Oscillation des contretemps pulsés par la main gauche,
  • flux mélodique et reflux au sein du même segment,
  • charme du mineur nostalgique et force du majeur

marquent la première page de l’œuvre, que renverse un Allegro non troppo deux fois plus rapide. D’un seul coup d’un seul, le piano est envahi par

  • de doubles octaves répétées,
  • des modulations tournoyantes et
  • l’ exaspération du ternaire qui rue dans le cadre martial imposé au propos…

jusqu’à l’emporter. Synthèse entre la tentation du si mineur et la persistance du mode majeur, fusion entre la continuité rythmique et l’inclination vers le ternaire, un moment en Si et 6/4 permet à Irakly Avaliani de pratiquer à découvert sa passion pour « l’art du toucher ». En moins de trois minutes, celui-ci a été changé trois fois :

  • d’abord « dolce »,
  • il est devenu « ben marcato » et
  • se retrouve à présent « molto staccato e leggiero ».

À ces indications générales s’ajoute le respect de la dynamique, ici plantée dans le registre grave.

  • Aux appogiatures de la main droite, impulsant un groove discret,
  • s’opposent et la pédale de si et
  • l’ostinato inversé de la main gauche (en clair ou presque quand la main droite monte, la senestre descend).

Un sas de décompression voit la main droite prise dans des accords tenus tandis que sa consœur retrouve le marcato précédent pour préparer la bascule vers le si mineur. Irakly Avaliani a donc  raison d’axer son interprétation moins sur

  • l’émotion des nuances,
  • la labilité d’un lyrisme insaisissable ou
  • l’invention d’une unité uniformisante qui se déroberait,

que sur

  • le rythme,
  • l’attaque et
  • la précision du tempo

indispensable pour fixer les conditions du groove. Musiciens et mélomanes savent, même si subvertir les frontières est une tentation à laquelle nombre d’interprètes peinent à résister,

  • pas de contretemps sans temps,
  • pas de changement de beat sans netteté du beat,
  • pas d’efficacité des mutations sans démarcation nette de caractère.

Se dévoile alors la structure en symétrie axiale de la ballade avec

  • une partie A douce en contretemps,
  • une partie B rythmique à double tempo,
  • une partie C ternaire en staccato, axe de la composition, puis
  • le retour de la partie B, et
  • la clôture sur la partie A.

Ce schéma est indicatif donc faux, car il ne rend pas raison de l’évolution du discours. Une fois que tous les mouvements ont été énoncés, chacun, tout en gardant sa spécificité reconnaissable, est piqueté par celui qui l’a précédé. En effet, la partie B2 s’acoquine avec le plaisir ternaire de C ; et la partie A2, passionnément, se laisse griser par le Si – majeur d’abord, mineur ensuite – car elle a besoin d’une coda pour dissoudre dans le Ré initial, les arpèges et accords de la coda rappelant eux aussi les tenues qui concluaient la partie C. Dès lors, l’art d’Irakly Avaliani consiste moins à éclairer ces mutations de façon professorale (écouter, c’est pas prendre un cours, c’est – as far as we’re concerned – espérer vibrer avec

  • le compositeur,
  • son porte-voix et
  • le moment présent)

qu’à

  • caractériser chaque ingrédient,
  • mélanger ces couleurs et
  • laisser l’auditeur jouir de ce mix à mesure que les trois types de sonorités
    • se côtoient,
    • s’influencent mais
    • ne s’écrasent pas les unes sous les autres.

Cette attention portée aux échos et aux mouvements du matériau musical est d’autant plus appropriée que les quatre ballades sont pensées dans une profonde cyclicité. Les tonalités se répondent,

  • du ré
    • (mineur pour la première,
    • majeur pour la deuxième) au
  • si
    • (mineur pour la troisième, donc faisant écho aux deux dièses de la deuxième,
    • majeur pour la quatrième).

De même, les indications de tempo sont significatives, même si, on l’a vu, elles sont relatives car bousculées dans chaque ballade : on trouve

  • deux Andante,
  • un Allegro marqué « Intermezzo », et
  • une synthèse pour la dernière ballade, à nouveau Andante mais, cette fois, « con motto ».

L’écoute de la troisième ballade sera donc l’objet curieux de notre prochaine notule.


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Faada Freddy, Salle Pleyel, 4 avril 2024 – 2/2

Faada Freddy à la salle Pleyel, le 4 avril 2024. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Après son tour d’honneur dans la fosse de Pleyel, Faada Freddy et son gang se remobilisent sur scène. Le chœur est à jardin, le leader à cour pour nous inciter à nous méfier du Malin avec « Borom bi ». Le contraste avec l’ambiançage de la chanson précédente est habile. Cette fois, la vocalité prend le pas sur le bruit percussif, jusque dans le postlude peut-être un peu plus longuet qu’hypnotique. « Ce soir, explicite l’artiste, j’envoie de l’amour à tous les enfants qui souffrent » notamment à Gaza mais aussi, pour éviter les ennuis, à ceux d’Israël. S’ensuit la reprise du tube des Lonely Forest, « We sing in time », allégé de son refrain initial et cependant porteur d’une quête d’amour en coda faisant écho au refrain (« à l’heure dite, les arbres mourront et la lumière disparaîtra / Mais j’espère qu’un nouveau souffle et une nouvelle vie m’emporteront »). Revenu au centre de la scène, le choriste placé au milieu dessine un cœur avec les deux mains puis incite le public à agiter son cellulaire en mode torche. Niaiseux ? Peut-être ; néanmoins, successfull.
Au premier chef, Faada Freddy est séduit par le résultat et en profite pour inventer une nouvelle science : « Qu’est-ce que je vous kiffe ! s’exclame-t-il. La kiffologie est toujours active… » Cela l’incite à glisser une chanson « pour toues les amoureux » car « souvent, autour de nous, des personnes donnent beaucoup d’amour et on oublie de leur dire qu’elles sont belles ». Le chœur s’asseoit donc pour poser « Beautiful ». Après la veste, le chanteur ôte le veston. Les dames se pâment à nouveau. Une petite mise en scène redresse les choristes et les pousse à quitter la scène tranquillou pendant que Faada Freddy s’offre un solo chantant le « sunshine ».
Un peu de calme et de liberté avant d’envoyer la martingale d’un single parfait d’efficacité (« Tables will turn your way ») dans une ambiance que Jamiroquai n’aurait pas reniée. Le solo rappé pour inciter chacun à tenter sa chance avant que le rideau final ne tombe achève de chauffer l’incandescence au point de fusion – et hop, je tente l’expression même si je ne suis pas certain de sa signification. Cela vaut bien un demi-retour dans la salle avant d’enquiller « So amazing », habillé dans une ambiance électro-techno digne des années 1990 pour laquelle le body percussionniste se met discrètement en évidence – bah, un oxymoron, ça ne fait presque jamais de mal.

 

 

C’est l’heure de lancer un finale échevelé, mix’n’matchant l’aveu « we wanna go home » avec la bamba avant de « diviser la salle en trois » pour marteler que « love is the answer ». Bientôt,

  • l’ambiance stroboscopique atteint son max,
  • les décibels crachent,
  • le débit s’accélère,
  • le raggamuffin se glisse

avant que l’ordre soit donné de « Move your body » pour le plaisir d’un rab de technodance. Curieusement effrayés par la perspective d’un bis, une vingtaine de nos voisins s’enfuient avant que l’artiste et ses complices ne reviennent rendre hommage à Mama Africa (« Africa Nangadef ») « pour fête l’indépendance et la démocratie au Sénégal ». Force est de reconnaître que les nouveaux absents n’ont pas tout à fait tort car, à partir de ce moment, le spectacle tire en longueur via une présentation infinie des musiciens – l’infini, c’est long, surtout sur la fin – et des astuces du body percussionniste. Fin à hauteur humaine, soit, mais fin décevante pour un concert où l’on a apprécié

  • l’efficacité de l’ensemble vocal,
  • la variété du répertoire,
  • la percussivité des tubes,
  • la présence scénique de Faada Freddy
    • (voix,
    • effort vestimentaire,
    • chorégraphie pédestre)

même si les nombreux noirs qui trouent le spectacle sont souvent dommageables à l’énergie créée juste avant. Reste, donc, un moment

  • haut en couleurs,
  • sympathique,
  • animé par des artistes motivés et armés de chansons diverses souvent fort bien ficelées,

où l’on aurait parfois aimé que le potentiel musical l’emporte davantage sur l’effet assuré du BOUM BOUM. Même « bio », la technodance sérieuse ne reste que de la technodance – sauf, peut-être, avec une bonne contrebassine et des petits effets de voix, comme ça !

 

 


Pour écouter gratuitement Golden Cages, le dernier disque à date de Faada Freddy, c’est par ex. ici.

 

Fruits de la vigne – Domaine Grieco, « L’histoire continue… »

Photo : Bertrand Ferrier

 

Voici le carignan chouchou de France Inter – station qui, le 31 décembre 2023, a ordonné à ses auditeurs d’aimer cette quille, comme elle aurait pu les sommer d’aller voir Isabelle Huppert caresser un radiateur ou de réécouter tout Grand corps malade pour jouir

  • de la beauté des mélodies (gasp, j’avais écrit « des maladies »), où le beatmaking des samples ose une espèce de vérité que la voix fait éclore à elle-même grâce à des feat. d’une élégance poignante,
  • de la langue ciselée et jubilatoire, à quart-chemin entre
    • Jean MC Gabin,
    • MC Solaar,
    • Alain Robbe-Grillet jeune et
    • Abd-el-Malik vieux, ainsi que
  • d’une vision de la femme si juste et réconfortante dans notre époque
    • genrée binaire,
    • ultra misogyne et
    • désespérément androcentrée.

Nous avions dégusté ce tout tantôt le « Début d’une histoire… » qui méritait confirmation. Nous revoici donc chez Jérôme Grieco pour suçoter un vin de France 2020 cultivé en terre de côtes-du-Rhône, toujours sur les conseils de Thierry Welschinger et de son trublion d’associé.
La robe est rouge clair en périphérie. Dans l’œil du gouffre, le liquide se laisse happer par la densité de l’obscur mais la clarté lutte, de sorte que l’uniformité du philtre se défile. Ainsi qu’il sait l’être souvent, le trouble est aguichant.
Le nez n’est pas sculpté pour

  • les sveltes trentenaires qui coupent leur cidre à l’eau,
  • les amateurs de tofu vegan décarboné titulaires d’un abonnement à la salle de technosport où Abdel donne des cours de parkour très croquignolesques même s’il faut s’accrocher, ou
  • les mémères qui se prennent pour une intouchable diva parce qu’elles ont teint en rouge violet la vieille choucroute moisie qui leur sert de couvre-crâne et en ont déduit que le monde, fasciné par leur crinière ridicule, leur appartenait.

Non, le truc est animal. Il jette dans le tarin des espèces d’épaisses épices (attendez, la fête ne fait que commencer). Y danse une densité d’ensemble (non, non, c’est pas fini) tirant sur le cuir pas queer – voilà, tout s’est bien passé. Loin des vins qui s’excusent de meubler l’espace ménagé entre le reluquage et le sirotage, « L’histoire continue… » assume d’exister avec sa personnalité qui n’exclut pas des échos sensibles évoquant les harmoniques des notes bleues

  • (fruits rouges,
  • fragrance florale type lys,
  • reste de boiserie dans un habitacle clos).

Celui à qui ce tableau odorant ne donne pas envie de goûter a bien raison : ça en fera plus pour les autres.
La bouche saisit par son équilibre immédiat et évolutif.

  • La griotte semble s’approprier les papilles ;
  • pourtant, progressivement, une saveur s’approchant du pain d’épice
    • avale le noyau,
    • digère le fruit et
    • propose sa propre variation autour d’un fruit rouge inconnu ;
  • une finale étrangement boisée pour un vin élevé loin des fûts arborés se pare d’une astringence persistante.

Là encore, curieusement, celle-ci renforce la sapidité de l’histoire et semble donner au jus

  • un relief agréablement gravillonné sur lequel on prend plaisir à déraper,
  • une consistance sérieuse contre laquelle on se heurte, joyeux, et
  • une forme de résistance à l’oubli immédiat que l’on aimerait parfois adopter pour soi-même.

Si l’on ne cherche point un vin qui parle avec des accents circonflexes à des convives serrés dans la gaine de leur élégance de banquier privé pour notables de province, « L’histoire continue… » constitue une belle réussite à préempter en cave autour de 15-16 € (prix constaté).

 

Irakly Avaliani, Intégrale Brahms volume 1, L’art du toucher – 1/10

Première du disque

 

Été 1854. Johannes Brahms est sous le charme de Clara Schumann, nous glisse-t-on. Pourtant, d’autres storytellings accompagnent les Ballades opus 10, composées à cette époque. Ainsi, elles seraient le fruit d’un compositeur en ébullition après avoir traversé l’Italie. Plus singulièrement et sans contre-indication avec les contextualisations précédentes, elles illustreraient un recueil (Stimmen der Worker in Liedern, autrement dit Voix des travailleurs en chanson, bien que la traduction pudique habituelle évoque la « Voix des peuples ») de Johann Gottfried von Herder, accessoirement frère de loge de Johann Wolfgang von Goethe. C’est une tradition dans la ballade romantique que d’associer une pièce à un texte. Alors,

  • sentiments difficilement bridés pour la femme du protecteur ?
  • surcroît d’énergie accumulé dans une Italie qui ne peut que nous faire fantasmer ?
  • musique programmatique issue d’un recueil de 1779 et particulièrement d’“Edward », un poème déjà musiqué par Franz Schubert, où un fils explique à sa mère qu’il a tué son géniteur à cause d’elle ?

Dans un livret singulier et stimulant qui n’est donc pas fourni avec le disque mais disponible ici, Catherine David affirme qu’on s’en tampiponne le bibobéchon. Pour cette gourmande,

 

si la preuve du pudding, c’est qu’on le mange, la preuve de la musique, c’est qu’on l’aime

 

pas qu’on la

  • comprend,
  • sous-titre ou
  • décrypte.

À titre personnel, je ne suis pas certain d’aimer le pudding ni la musique en général ; néanmoins, ce disque, enregistré en 2007 et publié en 2011 est une joyeuse occasion de fissurer un peu notre méconnaissance d’Irakly Avaliani, croisé à la salle Cortot et découvert via ses années soviétiques – hyperliens ci-dessous. Le Steinway est accordé par Jean-Michel Daudon, le son est signé Sébastien et Anne-Cécile Noly, et la pochette offre un détail d’une œuvre de Masha S., épouse du pianiste croisée ici. Certes, ces noms semblent ne rien apporter à la connaissance et à l’appréciation de Brahms ou de son interprète. Toutefois, ils se réfèrent à des individus sans qui pas de disque ; donc, comme les présentes notules ne sont pas limitées en signes, citer les collaborateurs de la star ne nous paraît pas indigne. Les monomaniaques de Brahms qui s’impatientent, et c’est leur droit, n’auront qu’à sauter à pieds joints jusqu’au prochain paragraphe, d’autant que celui-ci est terminé – hop, c’est parti.
La Première ballade en ré mineur, floquée « andante », commence sur un swing presque schubertien, avec

  • groove des appogiatures,
  • tempo clairement marqué, ce qui permet au compositeur de le suspendre (noires ou blanches pointées créant manière de suspense) et
  • stabilité des unissons à trois ou quatre octaves qui posent et, en quelque sorte, incarnent le rythme.

Cette assise solide laisse néanmoins entrevoir un trouble qui, au-delà du mode mineur donc sombre, se trouble de nuances presque inquiétantes, bien qu’Irakly Avaliani ne soit pas

  • un ripolineur de contrastes,
  • un amoureux du sursaut,
  • un combattant du changement flashy,

quand l’intensité s’engonce dans le murmure du pianissimo ou le fade-out de la résonance. En effet, derrière la gravité du propos que transcrit l’interprète, le mystère ne va pas tarder à s’épaissir en déchiquetant à la fois la régularité du tempo, brisé par deux « Poco più mosso » puis un « Allegro ma non troppo », mais aussi la stabilité du mode, qui bascule presque brusquement vers la relative majeure. Sans perdre sa métrique, la partition s’éclaire

  • de triolets répétitifs,
  • de la confrontation entre binaire de la mélodie dans les graves et ternaire des triolets martiaux,
  • de modulations étonnantes,
  • de nuances dopées par un ample crescendo et
  • d’un élargissement des registres convoqués par le compositeur.

Le retour en ré mineur fusionne les deux sections en utilisant la première tonalité tout en conservant, de la section en majeur,

  • le tempo,
  • le ternaire et
  • les nuances fortissimi .

Irakly Avaliani démontre sa maîtrise instrumentale dans le decrescendo qui conduit à une nouvelle synthèse : cette fois,

  • on garde
    • le ré mineur et
    • les triolets, mais
  • on revient
    • à la mélodie liminaire et
    • aux nuances douces qui ouvraient la ballade.

Grâce à son mix’n’match à la fois complexe dans sa composition et simple dans sa compréhension, l’œuvre est, jusqu’à sa fin suspendue, une leçon de développement habile qui exige, plus qu’une virtuosité digitale, une hauteur de vue qui ne fait certes pas défaut à l’interprète. Et, certes, j’envisageais d’enchaîner dès à présent avec la deuxième ballade mais, baste, la notule est déjà assez longue. Gardons donc le suce-pince grandiose pour le prochain billet, et souhaitons-nous à bientôt !


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Faada Freddy, Salle Pleyel, 4 avril 2024 – 1/2

Faada Freddy à la salle Pleyel, le 4 avril 2024. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Après une première partie mitigée et un entracte à succès pour la buvette, la star de la night entre seule en scène. Comme à son habitude, c’est « Let it go » qui l’accompagne. Il y a du groove, mais l’importance de la percussion sature l’oreille et réduit le moment à un marteau électro qui sonnait

  • moins lourdaud,
  • plus subtil et
  • mieux amené

dans la version Olympia de 2015. Après cette entrée en matière boostée aux hormones du décibel mais qui évite avec finesse le recours à un tube (y a du métier, dans l’équipe…), Faada Freddy envoie du pâté avec « Letter to the Lord », single efficace du précédent disque.

 

 

Sapeur partagé entre The Mask et Michael Jackson, l’ultrachanteur fait tomber la veste. Ces dames chavirent comme il se doit (sans « g », en tout cas à ma connaissance). Ses choristes font mouvement pour l’entourer. Le lead singer démontre l’ambitus de sa voix qui ne se réduit certes pas au falsetto qui fait son succès. L’homme a

  • de l’amplitude,
  • de la technique et
  • du talent.

En dépit de percussions trop fortes par rapport aux voix, on goûte

  • le pont réussi,
  • les arrangements malins et
  • le postlude très plaisant.

Sans grande surprise, Faada Freddy enchaîne avec « Lost », une chanson où il dédouane l’obscurité : s’il ne voyait pas, s’il était perdu, c’est que ses yeux étaient fermés. Selon lui, en évitant d’être focus sur le stress et l’inquiétude, on irait mieux, ce qui, à défaut d’être une trouvaille psychologique de première nouveauté, n’est sans doute pas entièrement inexact. C’est l’occasion de faire refluer la saturation du boum boum et de profiter davantage du potentiel vocal du combo, solo – plus modeste que créatif ou pyrotechnique – de basse vocale compris.

 

 

« Day to Day Struggle » (« Si tu crois être arrivé, tu as déjà perdu / L’amour est un combat quotidien ») creuse le sillon de la love song avec un début de refrain qui évoque à découvert celui de « Wild World » de Cat Stevens (marche descendante classique aussi utilisée, entre mille autres, par Sinclair quand il chante « sur les chemins de la gloire » dans « Un jour »). L’affaire est prolongée par un long postlude intéressant. S’ensuit un monologue parlé où en prennent pour leur grade

  • le confinement,
  • l’intelligence et
  • la machine (« l’homme crée la machine, mais la machine ne crée pas l’homme »).

Selon l’artiste, il faut car « la liberté, c’est dans la tête », affirmation pour le coup quelque peu présomptueuse. Lui-même, ajoute Faada Freddy, s’est libéré de la machine en ne recourant pas à des instruments, ce qui rendrait son groupe et sa musique uniques. Une telle digression nécessite une petite mise au point, par exemple pour

  • pour pointer qu’un instrument n’est pas une machine – au mieux, un outil ;
  • pour rappeler que le « percussionniste corporel » produit ses sons grâce à des capteurs qu’une machine traduit en différentes sonorités ;
  • pour souligner que, sans machine, point de lumières, point d’amplification, bref, point de concert ; et
  • pour interroger l’unicité de la performance.

En effet, les ensembles vocaux – souvent en quintette – s’aventurant dans la musique populaire et la chanson sont choses courantes et en général savoureuses. Qu’ils mâtinent l’a capella d’une touche instrumentale (le piano d’Hubert Degex chez les quatre Frères Jacques, cinq avec leur pianiste, ou la guitare circulante des Wriggles) ou qu’ils s’en tiennent à une approche strictement non-instrumentale, qu’ils s’adonnent à la comédie chorégraphiée (Cinq de cœur) ou fassent frémir la musique classique en l’acoquinant légèrement avec des musiques plus troubles (Ensemble Perspectives), le résultat des meilleurs est souvent à la hauteur de l’exigence consubstantielle au genre. Cela n’enlève rien à la performance du gang sur scène ce soir-là, hormis le caractère unique de leur combo.

 

Faada Freddy dans la fosse de Pleyel, le 4 avril 2024. Photo : Bertrand Ferrier.

 

De même, cette « musique bio » qui « libère l’homme de la machine » l’y soumet en réalité totalement puisque l’essentiel des effets produits est réalisé grâce à

  • une captation,
  • une amplification,
  • une distorsion,
  • une égalisation et
  • un plan de feux

tous électronico-électriques. La vérité, c’est qu’il n’y a rien de bio, là-dedans, mais un excellent travail conjoint entre des vocalistes et des techniciens sons et lumières. Tous ont besoin de sacrées machines pour permettre à la musique de faire son petit effet ! Cette artificialité humaine profite d’alleurs grandement à « Golden Cages », titre ouvrant l’album éponyme, qui dissout presque les réserves précédentes sous l’effet de l’enthousiasme du chanteur. Le voici dansant avec ses choristes et abandonnant le côté léché de la version studio pour s’offrir une farandole dans le public,

  • précédé d’un néon,
  • suivi par ses musiciens et
  • porté par un sens du postlude qui séduit… et lui permet d’insérer du « Billy Jean » dans sa chanson.

Malin et réussi !

 

À suivre.

 

Fruits de la vigne – Domaine Grieco, « Début d’une histoire… »

Photo : Bertrand Ferrier

 

Voilà quinze ans que Jérôme Grieco, « ancien employé de Vinci », a repris l’exploitation de son beau-père. En sus des Châteauneuf-du-Pape et des côtes-du-Rhône, le vigneron travaille aussi des vins de France pour lesquels il a été frappé, comme tant de ses collègues, par la malédiction du naming pupute. Voici donc le « Début d’une histoire… », un vin 100 % cinsault, ce qui n’est pas si fréquent – ce cépage est souvent considéré comme un appoint précieux pour tempérer mourvèdre ou syrah, par exemple.
La robe est trouble, mêlant

  • rougeoiement sanguin,
  • entre-deux-grenats et
  • crépitement des ombres.

Dans le verre, le cœur de l’histoire qui commence bat avec une belle densité mais n’exclut pas, le malin, de laisser passer des rayons de lumière.
Le nez est riche et multiple.

  • L’attaque fraîche nous évoque l’herbe coupée ;
  • le corps du délit recentre le tarin vers les fruits rouges ;
  • au final semblent poindre les fragrances d’une pointe de cour de ferme franche et sans chichi, que l’on aurait plus spontanément associer à une solide syrah.

La bouche confirme la complexité du projet. Dans un monde où

  • le bouilli,
  • le prémâché et
  • le prêt-à-digérer

s’imposent, stipulons que la complexité est, en la circonstance, un joyeux compliment.

  • D’abord saisit l’étrangeté d’un pétillement qui grésille (les amateurs d’une rondeur soyeuse et lisse d’emblée abandonneront ici toute espérance, quitte à la reprendre plus loin).
  • Ensuite, des vapeurs de café nous conduisent vers des notes de groseille puis d’agrume quand la quille nous remonte aux naseaux.
  • Enfin, le vin se prolonge,
    • solide,
    • résonant,
    • délectable.

Le mariage que nous fomentons avec une côte de porc et des légumes grillés est complètement stupide. Le breuvage est trop puissant pour la viande, même de qualité et bien relevée. Il n’en est pas moins intéressant, à l’occasion, de tester des vins qui surplombent le mets sans dialoguer avec lui. La prochaine fois, nous serons plus malin. Enfin, nous essayerons de l’être.
Le prix de la bouteille, davantage disponible chez les cavistes – comme Thierry Welschinger & PiB à Paris – ou à l’export que sur les principaux sites de vente à distance, a flambé comme garrigue par temps de cers, surtout si l’incendie permet à un promoteur immobilier (ou à un vigneron cherchant à créer un espace resort premium pour se lancer dans l’œnotourisme écoresponsable en construisant une salle où accueillir un festival de jazz sponsorisé par les copains à la tête de la communauté de communes et du département où seront programmés de vrais, de grands, de beaux musiciens comme

  • Orelsan, le spécialiste de la détection de salopes parmi ses compagnes,
  • Eddy De Pretto, l’un des hommes les mieux coiffés du monde, ce qui est évidemment un signe incontestable de talent dès que l’on s’y connaît un peu en chauve-bizenèce,
  • Patrick Bruel & Dany Brillant, véritables seigneurs du groove qui ont su séduire un public allant au-delà des snobs fréquentant le Triton ou le Duc des Lombards,
  • Aya Nakamura, maîtresse du Verbe, de la Voix et de l’Élégance alla francese s’il en est, ou
  • Jul, spécialiste de l’écriture digitale de son pseudonyme – accroche-toi, Georges Brassens !)

de bâtir là où il était interdit d’édifier, bref. Il y a quelques années, la bouteille se vendait neuf euros – en témoignent les coupures de presse présentées par le domaine ici.

  • La catastrophe de Fukushima, sans doute,
  • la guerre en Ukraine probablement,
  • la montée de l’extrême-droite à l’évidence et, hypothèse fofolle, peut-être
  • le pricing power d’un vigneron à succès

lui permettent aujourd’hui de faire une culbute de quelque + 50 %. Une quinzaine d’euros pour un « vin de France », c’est désormais du cossu. Hélas, l’hénaurme hausse est à la fois regrettable et justifiable à l’aune qualitative de la concurrence. Alors, on tâche – en vain – de réduire l’aspect matériel du liquide à ces éléments de rien que l’on aperçoit par la fenêtre du train quand, en passant,

 

le regard s’arrête sur un détail de peu d’importance : un tas de bois coupé à la lisière de la forêt. Il fait mine de se poser là. Ailleurs déjà pourtant.
(Jean-Michel Maulpoix, Rue des fleurs suivi de Pas sur la neige, Gallimard [2022], « Poésie », 2024, p. 96)

 

Fabien Touchard, “Études pour piano”, Hortus – 3/3

Première du CD

 

Après un premier épisode innocent puis un second qui frétillait, nous avons retardé le triste moment autant que possible mais, a y est, obligé, plus moyen de reculer : voici venue l’heure de la Neuvième étude de Fabien Touchard, « In hora mortis », composée en 2016 et dédiée à Olivier Messiaen. Philippe Hattat est au piano pour l’heure de notre mort.

 

 

  • Gravité des profondeurs,
  • intensité des résonances,
  • mystère de la reptation vers le médium et les aigus

alimentent une émergence de la lumière dans l’obscurité des abysses. Fabien Touchard joue sur

  • les intervalles et la vibration des tenues,
  • les synchronisations et légers décalages,
  • les différenciations de registres et l’animation du médium.

Ainsi se construirait une symbolique des hauteurs,

  • le médium représentant l’humanité affrontant, affolée, la mort, alors que
  • les graves incarneraient la fosse de la tombe et
  • les suraigus symboliseraient une mystico-céleste ouverture messiaenique.

Au mitan de l’œuvre, un grand vent semble devoir élever les doutes vers la foi

  • des aigus,
  • du tempo paisible et
  • de la résonance susceptible d’évoquer manière de vie après la mort.

Cependant, des doutes réitérés s’expriment, explorant le silence et le rassemblement presque fœtal autour de quelques notes matricielles plaquées ensemble comme pour tenir le coup. Leur répondent les deux extrêmes de l’ambitus pianistique, mêlant l’espérance têtue et le glas. L’art de Philippe Hattat associe

  • précision du toucher,
  • aura du sustain et
  • science des nuances qui colorent les surgissements.

Le finale, dans les médiums graves, essayent de regarder vers les hauteurs. Seuls une longue tenue puis un silence de quinze secondes (une éternité à l’aune humaine) lui répondront.

 

 

La Dixième étude, « Miroirs de feu », composée en 2018, révisée en 2021 et dédiée à Franz Liszt, s’annonce corsée. Elle est donc confiée à Orlando Bass que pas grand-chose de pianistique ne doit effrayer. Des palanquées de notes courent dans l’extrême aigu et l’extrême grave. Des accords inarrêtables donnent lieu à des étincelles qui se transforment en fusées sur tout le clavier.

  • La résonance,
  • l’ondulation,
  • le bariolage

feignent un moment de masquer l’aspiration vers les extrêmes.

  • Démultiplications rythmiques,
  • cyclicité des accords et des formules,
  • exploration physique des attaques

déjouent les espaces d’apaisement apparent jusqu’à une fin sciemment déceptive, comme si le compositeur voulait poser que la violence ne conduit qu’à rien, infinie tenue terminale incluse.

 

 

Fabien Touchard glisse alors ses « Secondes limbes ». De brèves fumerolles aiguës en boucles espacées dessinent dans le suraigu des possibles évanescents donc inachevables – force et faiblesse de l’imaginaire.

 

 

La Onzième étude, « Still, I rise… », composée en 2022, est dédiée à Olivier Greif et interprétée par Flore Merlin. Elle s’ouvre sur un rythme ternaire pulsé dans le grave, à l’harmonie contrariée. La concentration du propos dans la fosse s’éclaire cependant bientôt d’un rais perçant vers les médiums et les aigus. Ces nouveaux registres s’imposent alors dans une oscillation que des courants de plus en plus virulents traversent, toujours vers les suraigus. Une pluie d’accords manifeste l’existence de cet espace avant de se déliter en clapotis entêtant, rythmé par

  • les graves,
  • la résonance et
  • le silence (la dernière note est jouée à 4’32, la piste dure 4’55).

 

 

La Douzième étude, « Littoral [In Paradisum] », composée en 2018, révisée en 2021, est dédiée à Frédéric Chopin et exécutée par Guillaume Sigier. C’est la plus longue du lot, juste devant « In hora mortis ». On peut alors se laisser emporter par

  • le clapotis de l’aigu qui mute,
  • l’irisation des harmonies irrégulières que le pianiste colore avec métier,
  • l’instabilité des modes et des certitudes,
  • le flux des mutations nourrissant le perpetuum mobile,
  • l’aura des sonorités associant digitalité distincte et onde confusante (et hop) des graves mêlées dans une même pédalisation

jusqu’au premier sursaut qui semble lutter contre l’épuisement du piano ou du pianiste. Des chapelets de notes sortent de ces avertissements remplaçant la fin par l’itération quasi ad libitum. Puisque l’éternité, c’est long, surtout la fin, trente secondes séparent la dernière note de la fin de la séquence.
Sans doute une façon de juguler l’afflux de notes par une suspension du bruit du monde qui, parfois, se peut sans doute appeler Paradis. Une façon aussi de ménager un espace entre son et silence qui, quelquefois, se façonne en musique. L’affaire est encore à l’étude, douze fois, sur le pupitre de Fabien Touchard et de ses porte-voix. La preuve
ici côté physique, côté digital.

 

Faada Freddy, Salle Pleyel, 4 avril 2024 – 0/2

Photo : Bertrand Ferrier

 

Un nouvel albumGolden Cages – largement diffusé et promu par les grands médias début 2023, un Trianon complet en novembre de la même année, et donc une salle Pleyel bien remplie ce 4 avril : ainsi se décline le triomphe français d’Abdou Fatha Seck, Sénégalais francophone chantant essentiellement en anglais et connu sous le nom de Faada Freddy. Le public qui se presse ce 4 avril 2024 est essentiellement blanc, ce qui n’est pas le cas de Yaya Minté, né itou au Sénégal et choisi pour la première partie du concert, dont les mots-clefs associés à son site sont « Black Facebook Icon » et « Black You Tube Icon ».

 

 

Formule acoustique pour ce set de 25′, avec guitariste accompagnateur à l’électro-acoustique et chanteur-cajoniste jouant de la guitare à l’occasion d’une chanson. C’est compliqué, d’être première partie, mais pas ce soir-là : la parenté entre les deux propositions est à la fois solide et lointaine. Le public est bienveillant et prêt à accorder son enthousiasme pour s’échauffer avant le grand moment. D’autant que la première chanson accroche et se pare d’une jolie teinte unplugged alla Tracy Chapman. C’est un bel habillage de « Still I rise », que l’on ne retrouve pas sur la version album, trop fabriquée pour nous séduire.
Déjouant cependant les comparaisons, le chanteur dégaine des vocalises façon Fugees pour reprendre « Tennessee Whiskey », une tune écrite par Dean Dillon et Linda H. Bartholomew, popularisée par Chris Stapleton, où se distillent de délicats compliments à l’endroit de l’être aimé dont le principal : « Tu es aussi douce qu’un whiskey du Tennessee. » Avec l’artiste, on cherche un p’tit truc pour « carry us on » dans sa prestation quand survient le drame, en l’espèce « une chanson, en fait, sur la vibration, en fait, des gens qui ne sont plus là. » S’ensuivent le double premier couplet et le refrain de… « Évidemment ». Son cheval de bataille est assaisonné d’une voix qui semble se chercher un modèle dans la veine des miauleurs en plastique des « Star Ac ». Consterné, nous décrochons en constatant que, as far as we are concerned, le son est meilleur que le concert. En effet, fors le répertoire, l’interaction avec le public associe

  • jeunismes sépia (« je suis chaud, est-ce que vous êtes chauds ? », « mais c’est de ouf », etc.),
  • techniques d’enjaillage longuettes pour un set si bref (« je vais diviser la salle en deux » à l’occasion de « Seven », la dernière chanson),
  • running gag lourdaud (« on s’est déjà présentés ? ») et
  • moraline convenue (« n’hésitez pas à vous offrir de bons souvenirs »).

Le résultat ?

  • Le manque de clarté dans la direction artistique choisie,
  • la construction d’une set-list peu cohérente et parfois inintéressante (euphémisme),
  • une présence scénique touchante mais souvent maladroite

empêchent d’adhérer à cette proposition confuse comme un petit légume cuit trop longtemps se fixerait de manière intempestive sur une poêle sans PFAS – ce qui ne risque pas d’arriver tant Sosotteur Ier de la Pensée complexe et ses sbires sont soumis au hideux lobby de SEB & Cie parmi d’autres.
Arrive alors le moment trrrrrès attendu par ceux qui nous entourent, id est l’entracte. 20′ de pause après 25′ de musique, c’est encore mieux qu’à l’opéra, les bons soirs ! Au deuxième balcon, les mâles de la joyeuse bande de parents et d’enfants qui nous jouxte débattent pour se donner le courage de descendre au bar du rez-de-chaussée donc, surtout, pour remonter chargés à bloc :

 

– Tu te souviens de la dernière soirée où on était bien ?
– J’y étais pour rien, c’était le barman, il nous offrait des rhums arrangés.
– Parce qu’on les payait…
– J’avoue !

 

Bravant la fatigue et la soif, les collègues sauront gérer le laps réservé aux recettes extramusicales de la salle pour descendre et remonter avant le début du spectacle de Faada Freddy, y ajoutant l’élégance d’offrir un demi à la demoiselle (accompagnée) croisée au premier rang. Depuis Jacques B., on sait que les fleurs, c’est périssable, alors que la pression, même quand elle est dégueulasse, ça fait du bien par où ça passe. D’autant que l’heure est grave, comme l’indique le surgissement de « Thriller » : le concert que Pleyel attend est sur le point de commencer.

 

À suivre !

 

Fruits de la vigne – Domaine Minchin, La Tour Saint-Martin, Honorine 2019

Photo : Bertrand Ferrier

 

Depuis plus de 35 ans (son site annonce « presque trente ans », mais c’est plutôt bon signe de ne pas mettre à jour sa profession de foi tous les quatre matins), Bertrand Minchin exploite une vingtaine d’hectares, la majorité en sauvignon et le reste en pinot, sur les terres de Menetou-Salon. C’est son sauvignon qui nous intéresse aujourd’hui – mais récapitulons, car il s’agit d’un vin à tiroirs.

  • Dans le terroir du Menetou-Salon (en gros, dans le Cher, pas loin de Bourges), il faut sélectionner le domaine Minchin.
  • Dans le domaine Minchin, il faut sélectionner l’appellation La Tour Saint-Martin.
  • Dans la Tour Saint-Martin, il faut y choisir l’appellation Honorine.
  • Dans les quilles siglées Honorine, il faut opter pour la cuvée 2019 (mais il faut aussi savoir que le bassiste était grippé cette année-là, eussent ajouté les connaisseurs – comme nous ne sommes pas du cleube, cela ne nous regarde pas, même si je me suis laissé dire que ledit bassiste était tombé malade après avoir fréquenté le Fucking Blue Boy, mais cela ne ne nous regarde définitivement pas).

On y est ? Bon, alors c’est parti !
La robe est affriolante même si, selon la campagne féministe indépendante sponsorisée par L’Oréal, signe d’indépendance s’il en est (un peu moins que les ministères étatiques ou ses délégués comme France Inter, mais enfin), c’est jamais la robe qui est en faute, c’est toujours celui qui veut goûter. En matière œnologique, c’est faux. En effet, toucher d’abord le vin avec les yeux est autant un devoir qu’un plaisir, même pour ceux qui, comme nous, regardent

  • en amateurs,
  • en gourmands,
  • en (épi)curieux

et non en spécialistes. Ici, le vin se cache donc se montre dans une robe jaune extrêmement pâle, quasi transparente. Ce genre de glasnost n’est pas sans nous intriguer.
Le nez est délicat sans être tout à fait éthéré. On y happe des fragrances

  • beurrées,
  • fraîches (presque sylvestres ?) et
  • légèrement épicées (peut-être tendance cumin).

Y rester fixé un moment ne ressortit pas du snobisme car la chose est

  • complexe,
  • riche de possibles à
    • débroussailler,
    • inventer et
    • confondre, voire
  • tourbillonnante.

Cela semblât-il curieux, l’affaire se révèle donc plus parfumée qu’odorante, et cela nous sied.
La bouche séduit par son attaque nettement saline. Peu à peu, elle s’ouvre sur des pommes mûres. Avant de se fondre sans bousculade, cela se mâtine notamment

  • de saveurs beurrées,
  • d’un côté minéral bien amené et
  • d’un côté boisé assez léger pour nous convenir tout en traduisant peut-être l’élevage en fût de chêne.

Comme écrirait Philippe Jacottet, à quelques chèvres près,

 

où est l’œil de la terre
nul ne le sait
mais je connais des ombres
qui apaisent
(original de ce sample à retrouver dans les « Champ d’octobre » [1967] in : Poésies, Gallimard [1967], « Poésie » [1971], 2009, p. 131).