
Attention, ça commence fort : la seconde partie de la première partie du premier concert du quatrième festival Érard (ben ouais, mais quand on prévient qu’on commence fort, personne veut y croire et après ça se plaint partout que ç’a commencé fort pour de bon, faut se s’couer les rognons, les gars !) s’ouvre sur le « Sonnet de Pétrarque n°104 », tiré de la deuxième des Années de pèlerinage – l’Italienne – de Franz Liszt. En effet, la première partie du concert est structurée en deux blocs associant un morceau pour piano (à quatre ou deux mains) et un bouquet de mélodies.
Le sonnet servant de sous-texte à l’œuvre de Liszt loue de Laure les « deux beaux yeux qui mille fois ont rendu jaloux le soleil » et le concert de ses pleurs qui rendait « le ciel si attentif à cette harmonie ». On se réjouit d’entendre Jérôme Granjon en solo. S’exprime ainsi un autre aspect de sa personnalité de musicien, fors l’accompagnateur DeLuxe qu’il est aussi. Partition sous les escarbilles, il prouve que sa réputation d’excellent pianiste n’est sacrément pas usurpée. Sans se départir de sa composition de quasi clergyman, il secoue son piano
- d’une fougue embrasée,
- d’une retenue tourmentée et
- d’un abandon lyrique du plus bel aloi.
Bien qu’il évite – avec une modestie qui paraît consubstantielle à son personnage de musicien – de mettre en scène sa virtuosité, Jérôme Granjon a les impressionnants moyens techniques qui lui permettent de parler, via Liszt,
- de l’incandescence amoureuse,
- du miroitement de ce mouvement de l’âme et du corps, ainsi que
- de l’imprévisibilité des sentiments quand la chair et le cœur sont à vif.
Ce moment enflammé joue aussi le rôle de respiration bienvenue avant les trois mélodies prévues pour clore la deuxième partie de ce premier concert. « L’invitation au voyage » chante avec Charles Baudelaire ce « là-bas » où il serait si doux d’aller vivre ensemble – contrastant implicitement avec la rudesse de la vie ici. Appuyée par un accompagnement exigeant mais bien plus fonctionnel que fantaisiste, Floriane Hansler invite l’auditeur
- à l’imaginaire enchanté,
- à la rêverie nonchalante et
- à la tendresse fantasmatique.
Avec Jérôme Granjon, elle nous donne à apprécier le plaisir
- de la suspension,
- de la respiration et même
- du silence,
ingrédients essentiels hélas souvent oubliés par maints interprètes. Le duo Baudelaire – Duparc est aussi à l’affiche de « La vie antérieure ». Ce poème tarabiscoté laisse l’auteur constater que son inspiration est torturée avant de le regretter et d’espérer l’heure où « un sang chrétien » reviendra couler en chantant avec « Phoebus et le grand Pan » (j’résume approximatif). Le spectateur que ces circonvolutions multiréférencées laisseraient froid peut se laisser séduire par
- le velours du grave de la mezzo-soprano,
- sa capacité à tuiler les registres, et
- son aisance dans les passages les plus dramatiques.

À son service, le pianiste sait être tour à tour
- vigoureux,
- intérieur et
- attentif aux inflexions thymiques de la chanteuse,
longue coda incluse. Le programme se boucle sur « Ich bin der Welt abhander gekommen », un gros morceau extrait des Rückert-Lieder de Gustav Mahler, un cycle inspiré par des textes de Friedrich Rückert. Le narrateur, désormais silencieux (par manque d’inspiration ?) constate que le monde l’ignore voire le croit mort. Il essaye de s’en contenter en jouissant de sa tranquillité et en vivant désormais « dans
- [s]on ciel,
- [s]on amour,
- [s]on chant ».
Cette fois, le public – étonnamment silencieux pendant les morceaux, c’est rare et très appréciable – évite d’applaudir et permet au silence de nettoyer les derniers décibels flottant dans la salle Érard pour préparer l’esgourde à une musique très différente de celle d’Henri Duparc, euphémisme. Le prélude est majestueux et recueilli. La voix se glisse avec naturel dans le flux musical. On est saisi par
- la richesse harmonique de la partie de piano,
- la réussite des nuances douces (quelle belle coda !),
- le mystère qui naît d’un tempo posé, presque étiré, et
- le déploiement d’un temps long mais jamais monotone.
Pour ne pas laisser les auditeurs sur une note trop grave, Floriane Hansler et Jérôme Granjon ne tirent pas leur révérence sans les gratifier d’un bis – en l’espèce l’espagnolade tirée par Pauline Viardot d’un poème d’Alfred de Musset. Cette personnification de « Madrid » évoque une ville-femme splendide, laquelle évoque une autre « princesse andalouse », « belle veuve au long réseau » à la fois démon et ange, le poète interpolant le paysage et l’humain grâce à l’irradiation de l’amour fou. Pauline Viardot en propose une mise en musique à l’exotisme convenu mais non dénué de trouvailles
- (harmonisations,
- breaks,
- variations de style).
Une aimable manière de clore cette deuxième partie avant le trio en Mi bémol op. 40 de Johannes Brahms, dont la recension sera à suivre dans une prochaine notule !
Retrouvez ci-dessous les notules sur les précédentes éditions du festival
Le concert du 13 octobre 2024 est chroniqué ici.
Le concert du 11 octobre 2024 est chroniqué ici.
Le concert du 15 octobre 2023 est chroniqué ici et là.
Le concert du 13 octobre 2023 est chroniqué ici.
Le concert du 15 octobre 2022 est chroniqué ici et là.

