Pascal Vigneron – Le grand entretien – 7/7
Moins tête d’affiche que fomenteur d’affiches, Pascal Vigneron dénote, étonne et détonne dans le petit Landerneau de l’orgue. Musicien poly-instrumentiste, homme de réseaux mais pas de coteries, fidèle en amitiés artistiques mais pas monogame, estimé par quelques-uns des grands noms du métier au premier rang desquels Éric Lebrun, l’un des rares interprètes-compositeurs-pédagogues sur qui même les connaisseurs les plus vipérins (les connaisseurs, donc) de l’orgue peinent à postillonner leur venin, l’énergumène rassemble et divise à la fois. Sujets inflammables, convictions intimes, petits secrets, rencontres marquantes et brillantes réussites sont au programme de ce grand entretien où ont été et sont évoqués
- le musicien,
- l’organiste,
- l’organologue,
- l’organier numérique,
- l’organisateur et
- le studioman
que sont les mille et un pascalvignerons cachés derrière Pascal Vigneron.
Déjà paru
1. Devenir musicien
2. Penser l’orgue
3. Faire bouger l’orgue
4. Oser l’orgue électronique
5. Programmer de l’orgue-et-pas-que
6. Inventer sa liberté musicale
Épisode septième
Construire pour la musique
Nous avons terminé le précédent épisode sur ton éloge radical de la liberté en musique. Pour gagner encore en liberté, tu as choisi de construire un studio à ta main – un studio colossal…
… qui n’est pas encore totalement achevé mais qui est entré dans la phase de finition.
Qu’est-ce qui t’a poussé à concrétiser cette envie et, sans doute, cet énorme investissement ?
Je voulais un outil pour mes vieux jours, même si je ne vais avoir que soixante et un ans cette année. Avec une particularité : si l’humanité se divise en lièvres et en tortues, je suis une tortue. Y compris quand je travaille. Par exemple, quand je repasse des chorals de Bach, comme en ce moment, je les joue à soixante à la double croche d’un bout à l’autre.
Tu n’es pas rendu…
Non, ça ne va pas vite, mais j’ai toujours travaillé ainsi.
« J’ai une passion pour le son »
Un grand choral doit te prendre une demi-heure à rrrrredéchiffrer.
Oui, peu ou prou, mais la lenteur deux avantages :
- ça développe la concentration et
- ça rend humble.
Regarde les doigtés ! J’applique ceux qui sont indiqués par la version de Marcel Dupré pour [les éditions] Bornemann. Beaucoup la critiquent sous prétexte que, si on applique les indications à la lettre (enfin, au chiffre, en l’occurrence), on joue legato. Et alors ? C’est aussi ce que les imbéciles reprochaient à Herbert von Karajan, quand il dirigeait l’orchestre philharmonique de Berlin : il insistait sur le legato. Pourquoi ? Parce que le legato rapproche l’instrument du chant. Le legato, ça chante ; pas le staccato. La version Dupré t’offre un parfait legato et une sécurité idéale. Quand tu joues exactement ce qui est écrit, tu ne te poses plus de question technique, ce qui te permet de rentrer dans la musique. La difficulté pragmatique s’est dissoute, quelle qu’elle soit.
Tu as dû expérimenter cette conviction dans tes années trompette !
C’est le même processus, en effet. J’ai très bien connu Maurice André, même si je n’ai jamais été son élève, et je sais que, quand il jouait Haydn, tous les matins, il jouait la partition à soixante à la noire. Chaque émission, chaque valeur, chaque intensité, chaque note, tout était travaillé. Le résultat se voyait lors des répétitions avec orchestre. Si le chef demandait de reprendre, c’était pour ses ouailles, pas pour Maurice.
Tu décris une méthode de travail que d’autres jugent un rien poussiéreuse.
C’est qui, ces « autres » ? Qu’est-ce qu’ils ont apporté comme méthode de travail ? Oui, c’est une vieille méthode. C’est l’école Dupré, c’est la pédagogie de Lemmens, c’est la lignée des grands pianistes comme Yves Nat – bref, c’est une méthode qui, me semble-t-il, a fait ses preuves, non ?
Tu as conscience que tu t’es énormément éloigné de ma question : on partait du projet du studio, et on en est à évaluer la pertinence des doigtés indiqués par Marcel Dupré…
D’accord, j’ai fait un petit détour, mais ça participe de la même logique ! Pour le studio, comme pour la musique, c’est une histoire de passion pour le son. J’ai toujours aimé faire de la prise de son. J’ai appris avec les gens de l’ORTF, partisans d’un son global. Par exemple, l’autre jour, pour Radio classique, on a enregistré le Requiem de Gabriel Fauré avec l’orchestre de Metz. Ils mettent un micro par musicien. Pour l’orgue, un micro par enceinte. C’est leur esthétique. Elle n’est pas sans danger. Moi, par exemple, je n’entendais pas ce que je jouais.
« L’indépendance devrait être la base de la musique »
Les preneurs de son n’y étaient pas pour grand-chose, si ?
Mais si ! Au début, on avait mis les enceintes derrière le chœur, comme s’il s’était agi de l’orgue de chœur de la Madeleine. Le chef a refusé. Il jugeait que ça faisait « trop de bruit ». Donc on a mis les enceintes trois mètres derrière moi. Génial ! Ainsi, je n’entendais plus ni le chœur, ni l’orchestre, ni ce que je jouais. La totale !
… mais les ingé son n’y étaient pour rien.
Au contraire ! Juste avant le début de l’enregistrement, je suis allé voir le mec dans sa cabine, et je lui ai dit : « Vous serez mes oreilles, moi, je n’entends rien. » Théoriquement, c’est pas dur, le Fauré, pour l’organiste ; sauf que, dans des conditions pareilles, ça se complique drôlement ! Après une prise, je retourne à la régie et je demande si tout va bien. On me dit : « Nickel ! » J’ai compris qu’on n’allait pas être copain. Même moi, je savais qu’il n’y avait pas les notes…
Au moins, dans ton studio, c’est toi qui gèreras ça (t’as vu comme j’essaye de recoller au sujet avec une discrétion très discrète ?).
Là encore, l’anecdote du Fauré est liée au studio car elle aborde la question phare que nous avons évoquée lors du précédent épisode : l’autonomie, l’indépendance comme bases de la musique. Pour le studio, même topo. Je ne veux pas seulement avoir mon studio, je veux le faire et l’inventer. Comme j’aime travailler de mes mains, j’ai construit deux maisons : une pour le studio, une pour les invités. Ces maisons sont à ossature bois. L’entreprise que j’ai engagée monte la maison avec le toit ; à toi de faire le reste – l’isolation, le pare-vapeur, l’eau, l’électricité, les parquets, les huisseries, tout. Crois-moi, y a du boulot !
D’autant que, j’ai vu les photos que tu as partagées sur les réseaux sociaux, le studio n’est pas une cabinette de plage…
La pièce principale mesure cent trente mètres carrés, quatre mètres sous plafond. Tout en bois…
… avec un orgue à tuyaux sans tuyaux.
Oui, c’est un [orgue électronique] Allen que j’ai récupéré avec une façade à tuyaux, un modèle des années 1960 de type classique, avec positif, grand orgue et récit. Certes, il a le côté américain propre à la marque, mais il a vraiment de très beaux jeux. Quant aux équipements techniques du studio, ils sont de premier ordre. La cabine aussi. Il y a une trentaine de micros différents à disposition !
« Le manque de dialogue mine la musique »
Ce studio n’est donc pas un studio pour t’enregistrer, toi exclusivement. Il est appelé à capter moult autres artistes.
Ah, oui, l’idée est de le louer à des musiciens soucieux de bénéficier d’une prise de son naturelle.
« Naturelle » ?
En clair, il n’y a pas de moquette. T’es pas obligé de réinventer le son en cabine a posteriori. Ici, la musique n’est pas absorbée. Les micros la saisissent. Dans une captation, le plus important est que le son soit vivant. Pas trop, bien sûr : quand t’es dans une église, tu rapproches les micros. Par exemple, l’orgue, dans une église, c’est ce qu’il y a de mieux puisqu’il a été conçu et harmonisé pour ça. En revanche, un piano, quand tu le captes dans une salle mate, tu rajoutes de l’écho ou ce que tu veux en postproduction, mais le résultat sonne souvent artificiel, distordu, pas beau. Dans mon studio, on a tout pour éviter ça. Que ce soit le piano, le quatuor ou l’orchestre de chambre (on peut accueillir jusqu’à vingt cinq musiciens), la volumétrie très importante et le choix des matériaux visent à laisser chanter la musique. Orgue et chant, ensemble de cordes, c’est fait pour. En plus, on n’est qu’à une heure un quart de Paris et à dix minutes de Rouen si tu viens en train ; il y a une belle réserve d’hébergements à proximité ; et, avec Marie-Pierre Cochereau, on a décidé de baptiser l’endroit « Studio Pierre Cochereau ». On va l’inaugurer le 5 juillet, à quelques jours des cent ans de sa naissance ; et y sera installé le Pleyel de Pierre que j’ai récupéré quand l’instrument était encore dans les Alpes.
Bref, c’est un lieu nouveau et un lieu mémoriel.
Surtout que j’ai rapatrié toutes les archives de Pierre Petit, que j’avais récupérées quand j’étais prof à l’École Normale de Musique. À terme, j’aimerais que l’endroit devienne aussi un lieu de consultation. Par exemple, j’ai à peu près vingt mille vinyles plus du tout réédités. J’ai les platines Revox à bras tangentiel pour faire des copies. Et toutes les partitions d’orgue que j’ai à Toul et dont beaucoup ne sont plus éditées, je vais les rapporter à Saint-Martin. Il y aura des raretés comme du Jean-Jacques Grunenwald, et des curiosités telles que l’adagio de la Troisième symphonie de Louis Vierne que le compositeur avait transcrit pour orgue et orchestre… et que j’ai enregistré avec l’orchestre de la police nationale.
Ça n’existe plus ?
Mais non ! Si tu écris à [l’éditeur] Durand, c’est tellement pas rentable pour eux qu’ils ne te répondent même pas. Moi, Michel Chapuis m’avait donné le manuscrit. Je suis allé jusqu’à proposer à Durand une version pour orgue et orchestre d’harmonie plutôt que symphonique, afin que l’œuvre soit susceptible d’être davantage jouée ; ils n’ont pas daigné me répondre. On en est là. Encore une fois, le manque de dialogue mine la musique.
« Les certitudes durcissent les cœurs »
Tu as testé le son de ton studio, j’imagine.
Il est extra. En ce moment, j’y travaille à l’orgue. Avec un bourdon de 8’ et une flûte de 4’, comme ceux qui savent travailler. Ça me suffit. Ça sonne merveilleusement bien ! Et puis, une fois que c’est su, bam, j’envoie le grand jeu.
C’est souvent le moment récompense de l’organiste.
Écoute, hier, j’ai mis le tutti : ça sonne clair, précis, puissant. J’étais content ! Mais, accroche-toi, ce n’est qu’un début. Je vais sûrement passer l’Allen en double registration avec l’Hauptwerk. Et je vais installer des caméras en hauteur, invisibles, pour les jeunes qui veulent cliper leur travail afin de candidater à tel ou tel concours international. En plus, il y aura trois pianos : le Pleyel dont on a parlé, idéal pour l’accompagnement du chant, un Bechstein pour le classique et un Kawai de type mixte. L’idée est de faire de ce studio un lieu de partage, une notion qui manque souvent au milieu musical.
Lieu de partage, mais pas lieu de concert.
Non, mais presque ! J’ai rencontré le curé de Saint-Martin, un type formidable. C’est un ancien militaire. On a parlé d’un projet de festival pour son abbatiale du quatorzième siècle. On peut y mettre mille spectateurs ! Résultat, on va doubler le festival de Toul en Normandie.
Avec un orgue numérique, on y revient !
Obligé, je t’ai dit que l’orgue qu’il y avait dans l’abbatiale est un instrument mésotonique fixé en 415. À part du Michel Corrette, du Michel Corrette et encore du Michel Corrette, qu’est-ce que tu veux jouer ? Donc, oui, ça se passera sur le Virtualis.
Avec quel programme ?
Cette année, on donnera deux concerts. Michael Matthes viendra rendre un hommage à Pierre Labric, 103 ans, que je vais incessamment interviouver dans mon émission sur RCF. Il jouera la Symphonie-Passion de Marcel Dupré et du Jeanne Demessieux ; puis ce sera le tour de Baptiste-Florian Marle-Ouvrard, un musicien génial, d’une très grande ouverture d’esprit. Je crois que c’est ce que je préfère, ça, l’ouverture d’esprit. Tu sais, au début du Pacte des loups, il y a ce moment où le héros, poursuivi par la foule, écrit : « Il fallait bien que ce monde change. Les certitudes rendent les hommes aveugles et durcissent leurs cœurs. » C’est aussi vrai en musique, et il faut se réjouir quand de grands ou moins grands acteurs de ce petit monde évitent de sombrer dans cet écueil !
Irakly Avaliani joue Franz Schubert (Soupir) – 1/2
Avec ses trois-quarts d’heure au compteur, la dix-septième sonate de Franz Schubert a gagné son titre de « Grande sonate ». Quatre mouvements la composent, tous autour de 10′ sauf le deuxième, qui culmine à environ mille secondes. C’est sur ce mastodonte qu’Irakly Avaliani a choisi de poser les pattes à l’été 2022, devant les micros de Joël Perrot et derrière un Fazioli réglé par Jean-Michel Daudon.
Quatre temps, un ré majeur bien affirmé : ainsi s’avance l’Allegro vivace. Franz Schubert défie aussitôt l’évidence
- modale (le ré mineur guette),
- tonale (Fa et Ut# sont prêts à bondir au coin du bois) et
- rythmique (des triolets se chargent de dynamiter la rigueur binaire).
Le mouvement est une force qui va, court, vole et se balance.
- Changements de tempi,
- hésitations et
- mutations
exigent
- des doigts déliés,
- des poignets fermes et
- une grande assurance dans des traits pas toujours spectaculaires mais d’une redoutable exigence de précision.
Irakly Avaliani offre ainsi un beau catalogue des possibles pianistiques, entre
- tonicité des accents,
- liquidité des triolets et
- variété des registres donc des couleurs.
Par-delà l’instauration de motifs plus rythmiques que mélodiques,
- la marche martiale,
- l’écho des cloches,
- l’ivresse des modulations,
tout semble inspirer l’interprète dont
- les nuances,
- le toucher,
- l’allant multiple et maîtrisé ainsi que
- le swing perçant sous le sérieux
« font paraître court le chemin », selon l’expression de Georges Brassens, en dépit des récurrences typiques du compositeur.
Toujours « con moto » mais
- andante,
- en La et
- à trois temps,
le deuxième mouvement oppose
- la suspension,
- la délicatesse et
- la recherche harmonique
aux étincelles motoriques de son prédécesseur.
- Souplesse du tempo en dépit de la rigueur mesurée,
- apaisement des questionnements en dépit des frictions modulantes,
- profondeur des respirations en dépit de la nécessité d’avancer
préludent à un deuxième motif plus affirmé, dont Irakly Avaliani sait néanmoins révéler toute la richesse notamment grâce
- aux nuances,
- à l’agogique et
- à la différenciation des touchers.
Ainsi guidés, l’on goûte
- à l’inventivité rythmique,
- aux changements de tonalité parfois inattendus,
- aux résolutions jamais définitives,
- aux effets d’écho entre les paluches,
- à l’accumulation des faux épuisements d’inspiration
que le pianiste veille à ne jamais surcharger de
- dramatisation,
- contrastes virulents ou
- sentimentalisme sirupeux.
Au rebours des craintes qu’il pourrait susciter chez l’auditeur, le temps long installé par cette méditation faussement improvisée
- hypnotise,
- surprend et
- intrigue
de bout en bout. Par la grâce du musicien affleure l’émotion. Quelque chose d’une narration intime mais pudique semble sourdre de ce gros quart d’heure de musique continue. Charge au prochain scherzo de secouer tout ça et de nous plonger dans
- une autre dynamique,
- de nouvelles vibrations et
- des énergies revigorantes !
À suivre !
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Pierre Réach joue 9 autres sonates de Beethoven (Anima) – 1/8
Troisième étape sur les quatre prévues : l’intégrale des sonates pour piano de Ludwig van Beethoven par Pierre Réach ne touche pas encore à sa fin mais progresse sérieusement vers son accomplissement. Neuf sonates, enregistrées par Étienne Collard sur un Steinway D, peuplent la livraison 2024, dans les bacs physiques ou virtuels depuis le 2 mai. La set-list est rythmée par des tubes aux noms bien connus – dont la Waldstein, la Pathétique et les Adieux et organisée chronologiquement par les numéros d’opus choisis. Elle s’ouvre sur la Sonate opus 2 n°2 en La (1795), extraite de la trilogie dédiée à Joseph Haydn.
L’Allegro vivace énonce avec insistance la tonalité par
- des accords égrenés,
- des minigammes et
- une harmonisation volontairement simple (on est soit en La, soit en Mi7).
L’interprète n’a pas la sottise de masquer la pauvreté assumée de ce matériau liminaire avec
- une surdramatisation,
- des coups de Stabylo sur telle itération ou
- un tempo trop prompt.
Il préfère faire musique, et hop, avec le pas grand-chose qui lui est donné et qui, précisément, permet à la musicalité d’émerger du silence.
- Toucher
- (phrasé,
- staccati et
- lien avec la pédalisation),
- nuances et
- continuité du propos entre les deux mains tour à tour en
- friction,
- complémentarité et
- questions-réponses
agrémentent et construisent l’écoute. En ce sens, le choix de l’œuvre pour ouvrir le disque est fort bienvenue, dans la mesure où elle paraît sculpter le son en partant du matériau brut que forment, mêlés, le silence préalable et l’imagination musicale dans laquelle le compositeur va piocher pour construire sa sonate.
- Brusques changements d’intensités,
- crescendi et decrescendi,
- tensions entre binaire et ternaire,
- ruptures et suspensions
nourrissent la partition, que les petites saucisses courent sur le clavier ou se fassent rares.
- La modulation en Ut, rapidement pervertie par le La bémol puis par le Fa, etc.,
- les changements de couleurs,
- les hésitations apparentes sur les directions à suivre
fonctionnent comme manière d’apocalypse, révélant les possibles dissimulés dans le sujet embryonnaire choisi pour lancer le mouvement. Le retour du motif A bouclent l’affaire sans que Pierre Réach ne se soit départi
- de sa tonicité digitale,
- de son inventivité chromatique ni
- de la hauteur de vue qui lui permet
- de caractériser chaque fragment,
- d’animer chaque réexposition thématique et
- de conserver une cohérence à l’ensemble qui ne soit pas aplatissement des foucades compositionnelles.
Arborant un titre presque oxymorique de « Largo appassionato« , le deuxième mouvement s’avance en rythme ternaire et en Ré. L’interprète y travaille
- la note et son contour (notamment
- sa durée,
- sa coupure ou
- son prolongement à l’occasion pédalisé),
- le legato et ses limites (entre tenuto sempre et double croche – quart de soupir rythmant la phrase), ainsi que
- la rigueur rythmique et sa tangente (les six temps stricts abritant
- trilles,
- appogiatures et
- ornements plus libres).
De la sorte,
- sforzendi et piani subito,
- tensions et détentes,
- modulations et changements
habitent ce mouvement énigmatique joué – semble-t-il – avec une attention particulière au ciselage des notes. Un scherzo allegro en La presque inattendu surgit alors. Légèreté des doigts, allant qui dialogue avec
- les ruptures,
- les silences et
- les reprises
freinant le développement. Le trio bariole avec une apparente légèreté que Pierre Réach veille à frotter contre
- les à-coups déstabilisants des sforzendi,
- la tentation descendante de la main droite comme aspirée par les graves, et
- la tonalité mineure contrastant avec le majeur plus rayonnant du scherzo.
Et la sonate de se conclure sur un rondo grazioso en La. L’interprète en valorise la grâce en tâchant d’expulser la mignonnitude de l’exposition thématique avec
- bariolages gnangnan,
- arpèges gentillets
- et répartition cristalline des tâches (thème au soprano, harmonisation à la senestre)
en creusant
- la différenciation
- de touchers,
- de phrasés et
- de nuances,
- la connexion entre
- rigueur,
- ornementations et
- triolets dynamisants, ainsi que
- la friction associant
- évidence tonale,
- modulations et
- résolutions avec effets d’attente.
Pierre Réach n’est jamais plus palpitant que quand il révèle les tourments de son compositeur fétiche derrière
- l’élégance,
- la délicatesse et
- la finesse.
Ainsi,
- secousses rythmiques,
- mutations modales,
- énergie chromatique
sonnent sous ses doigts moins comme des variations convenues que comme des mystères dont il nous suggère la profondeur. S’associent
- l’aisance digitale,
- l’intelligence intime du texte et
- la maîtrise des bonus interprétatifs
- (agogique,
- pédalisation,
- groove des accents).
Au brio pyrotechnique attendu pour un dernier mouvement, le musicien substitue donc
- la finesse de la suspension,
- l’intelligence de cette sonate particulière et
- la conception d’ensemble d’un projet qui raconte Ludwig au rythme et à la façon de Pierre.
Prometteur en attendant notre prochain rendez-vous avec la sonate opus 10 n°1 !
Pour acheter le double album, c’est par exemple ici.
Fruits de la vigne – La fleur Saint Georges 2018
- Merlot (surtout),
- cabernet franc et
- cabernet sauvignon
sont au programme de ce cru peu mis en valeur par le producteur (la quille n’est seulement pas référencée sur le site du domaine), le château La fleur de Boüard, une énième propriété concédée à de riches hommes d’affaires ayant de préférence fait fortune dans la finance luxembourgeoise. Ainsi va la vie des domaines affublés d’appellations ronflantes comme « lalande de pomerol ».
La robe de l’édition 2018 déploie une teinture évoquant la cerise confite. Cette tenture est tentée par le sombre mais préfère le drapé moiré du velours. On ne peut qu’être attiré par la déclinaison de rouges puissants qui se lient et se lisent dans le verre.
Le nez séduit. Il dégage d’emblée fraîcheur et complexité. Le caractériser ressortit donc d’un joyeux défi. L’on pourra estimer qu’il décline tour à tour les frémissements du sous-bois et l’acidulé d’un cassis bientôt mûr.
La bouche n’est hélas pas à la hauteur de ces promesses. Elle semble oppressée par une saveur sucrée effaçant beaucoup sous son passage. Il traîne çà une esquisse de fruit mais difficile de déterminer lequel, et un vague souvenir de café comme abandonné au bord d’un zinc au moment où s’approchent, sourire carnassier aux lèvres, de fiers agents dégainant leur carnet à souche pour verbaliser, à l’ancienne, notre brave chignole ayant dépassé d’une minute son droit d’envahir l’espace public jouxtant la bordure du trottoir. En écho à cette hypothèse amère, la note finale est moins un goût qu’une sensation proche de l’astringence.
Le mariage avec un brave plat de pâtes à la bolognaise rend néanmoins le breuvage plus acceptable en le prenant par le bras afin de le transformer en acolyte de bon aloi. Pour près de 19 € aux Galeries Lafayette du boulevard Haussmann (des offres à 17 € hors frais de port circulent sur la Toile), cela reste, à notre aune, un produit décevant. En ouvrant cette bouteille, nous avons, selon l’expression de Louise Glück,
planté un figuier
ici, dans le Vermont, pays
sans été. C’était un test : si l’arbre poussait,
alors cela voudrait dire que tu existais.
D’après cette logique, tu n’existes pas.
(Louise Glück, L’Iris sauvage… [1992], trad. Marie Olivier [2021], Gallimard, « Poésie », 2024, p. 97.)
Pas de quoi nous décourager. Nous planterons d’autres figuiers dans d’autres Vermont pendant d’autres étés, et nous attendrons, bouteille après bouteille, d’inventer l’inexistante logique de l’existence.
Orlando Bass, “Préludes et fugues”, Indésens – 7/8
Pour être pianiste, Orlando Bass n’en est pas moins compositeur, ainsi que nous en avons témoigné par exemple ici ! Faisant résonner le prélude-et-fugue moderne depuis 1909 jusqu’aux années de l’enregistrement, en 2016-2017, il ne pouvait pas éviter de se confronter aux contraintes qu’il arpente chez ses confrères les plus redoutables. Il s’est donc concocté une mixture à sa démesure, où il compte bien faire résonner
- sa science de l’écriture, fourbie dans les classes ad hoc du CNSM de Paris,
- sa technique pyrotechnique peaufinée dans les mêmes lieux auprès de Roger Muraro, et
- sa propre singularité stylistique.
Le prélude précipite l’auditeur dans la triple étrangeté
- d’une mélodie plus chromatique que mélodieuse,
- d’une harmonie plus mystérieuse qu’accompagnatrice et
- d’un jeu plus oxymorique (netteté des aigus déchiquetés, résonance de la pédalisation) qu’univoque.
Le compositeur s’abstrait de toute séduction facile sans pour autant abandonner le curieux en rase campagne créatrice.
- L’aspect saccadé du lead dessine des récurrences ;
- la dimension rhapsodique du propos construit une attente ; et
- les changements de registres, d’un motif l’autre, esquissent une exploration pianistique conforme au projet pseudo improvisé du prélude.
Voici le discours tantôt
- suspendu,
- liquéfié par des accents debussysto-ravéliens (et hop),
- parcouru par des tensions et leurs chutes,
- tendu par des répétitions et des échos jusqu’à se goberger de clusters électrifiés par
- un ambitus élargi,
- des itérations et
- de brusques changements d’intensité.
Loin de se réduire à un pataud « grand crescendo » puissant mais prévisible, le prélude est couronné par
- le retour du premier motif,
- le dernier arc électrique suraigu et
- le fade out
rappelant qu’une note, c’est notamment
- une attaque,
- une hauteur et
- une durée qui, traitée sur la longueur, peut révéler les couleurs harmoniques que cèle la compacité de la brièveté (en gros, plus ça dure, plus la perception de la note change alors que quand c’est juste une triple croche, ben, on ne peut en découvrir qu’un aspect, la célérité remplaçant la complexité).
Comme Charles Trenet cherchait à savoir ce qu’il y a à l’intérieur d’une noix, Orlando Bass cherche, en tant que compositeur et en tant qu’interprète, à interroger ce qu’il y a à l’intérieur d’une note donc ce qu’on y entend quand elle est fermée (non encore jouée) ou ouverte (déjà sonnante). Le prélude vibre de cette quête des possibles, autrement dit de l’imagination que suscitent
- un clavier,
- une portée et
- les contraintes relatives d’une forme,
qui plus est lorsque l’on est
- intellectuellement,
- culturellement et
- stylistiquement armé
pour en avoir goûté moult exploitations et posséder les clefs théoriques pour en mener habilement de nouvelles avec une technique sûre évitant toute limité par ses capacités pragmatiques. À l’orée de la fugue, l’artiste semble ainsi dans une liberté appréciable,
- évitant toute volonté démonstrative,
- déjouant les pièges puputes de celui qui, pourtant, saurait fomenter un truc plaisant et brillant à l’américaine, mais
- posant sa musique avec une sobriété qui la rend aussitôt excitante (on a envie de savoir la suite) et existante (on en perçoit, fût-ce par intuition, l’originalité).
La fugue, nous prévient l’hurluberlu, n’est pas une fugue mais une « Fuga remollescenda », ce qu’il traduit par une « fuite ramollissante » dont l’objectif est d’instiller de l’ironie dans la musique « afin d’échapper au monde sans espoir du prélude ». En complémentarité de la forme close, de type ABA, du prélude,
- commençant par un motif peu à peu identifiable,
- continuant par son développement de plus en plus intense et
- se terminant par un quasi retour à l’état initial (définition du taedium vitae qui en vaut une autre),
peut-être même en confrontation avec cette forme en arche, Orlando Bass semble souhaiter faire fondre la forme fuguée afin de trouver une échappatoire
- à l’à-quoi-bonisme,
- à la sensation de vanité et
- à la conviction
- lancinante,
- intermittente donc
- d’autant plus sournoise de l’inutilité.
Dès les premières notes, le contraste est patent.
- Sècheresse décidée du toucher,
- netteté ciselée de la structure,
- brio de la rigueur polyphonique
accompagnent un discours cadré qu’éclairent
- l’indépendance des voix,
- l’équilibre d’ensemble et
- les choix de nuances.
La volubilité du piano pulse et propulse promptement le joyeux hommage à la forme-phare de la musique savante vers des rails plus secouants. La sagesse du compositeur se dégrade de demi-ton en demi-ton. Sans quitter l’urgence permise par la tonicité, Orlando Bass
- complique,
- travestit et
- enrichit
le principe en abandonnant le côté « mots croisés » de l’exercice qu’est la fugue (tout doit coulisser harmonieusement « comme papa dans maman », eût stipulé un trompettiste jadis de mes amis) pour offrir un enchevêtrement plus « Scrabble », où chaque mot individuellement fait sens mais où le dessin voire le dessein global de l’affaire demeure insaisissable. C’est la double force de l’œuvre, permise par la science et la personnalité du compositeur : maîtriser les ingrédients, changer la recette et la saupoudrer d’un peu de baroque pour conclure. Dans cette perspective, l’ironie semble triple.
- D’abord, elle consiste à frotter avec rigueur et vigueur un sujet rugueusement – je tente l’adverbe – contemporain à la forme très codifiée de la fugue (esthétique classique).
- Ensuite, quand le savoir-faire est attesté, elle réside dans le dialogue entre l’intelligibilité évidente du propos (on reconnaît le sujet et ses comparses qui se répondent, se défient et se mélangent) et la dégradation de la structure conventionnelle (esthétique moderne).
- Enfin, quand la couleur propre à ce mix’n’match est identifiée, l’ironie conclut le travail de fond par une pirouette de forme en convoquant les harmonies, jeux et trilles caractéristiques du topos de l’esthétique baroque.
Ces frictions imprégnées à la fois
- d’histoire musicale,
- de technique compositionnelle et
- d’art interprétatif
font du diptyque une œuvre typique d’Orlando Bass, compositeur
- féru d’une musique savante polymorphe,
- conscient des
- cadres,
- outils et
- langages à sa disposition,
- capable, à force de commandes, de se plier à des contraintes dont il fait des tremplins pour sa créativité,
- porté par une esthétique personnelle qui ne serait ni tonale ni atonale mais spécifique à son énergie poétique, et
- soucieux de subsumer ces différents éléments dans un résultat accessible aux becs les plus fins comme aux petits oiseaux du moutier, donc aux experts ès musique savante et aux auditeurs curieux.
C’est
- théoriquement solide,
- musicalement efficace et
- humainement joyeux.
Seule mauvaise nouvelle : il ne nous reste plus qu’un prélude-et-fugue à passer en sa compagnie – et, en l’espèce, celle de Dimitri Mitropoulos. Bonne nouvelle cependant : ce prélude-et-fugue ne sera pas un prélude-et-fugue. On en parle presque très bientôt.
Pour acheter le disque, c’est par exemple ici.
Pour l’écouter gracieusement, c’est par exemple là.
Pascal Vigneron – Le grand entretien – 6/7
Moins tête d’affiche que fomenteur d’affiches, Pascal Vigneron dénote, étonne et détonne dans le petit Landerneau de l’orgue. Musicien poly-instrumentiste, homme de réseaux mais pas de coteries, fidèle en amitiés artistiques mais pas monogame, estimé par quelques-uns des grands noms du métier au premier rang desquels Éric Lebrun, l’un des rares interprètes-compositeurs-pédagogues sur qui même les connaisseurs les plus vipérins (les connaisseurs, donc) de l’orgue peinent à postillonner leur venin, l’énergumène rassemble et divise à la fois. Sujets inflammables, convictions intimes, petits secrets, rencontres marquantes et brillantes réussites sont au programme de ce grand entretien où seront évoqués
- le musicien,
- l’organiste,
- l’organologue,
- l’organier numérique,
- l’organisateur et
- le studioman
que sont les mille et un pascalvignerons cachés derrière Pascal Vigneron.
Déjà paru
1. Devenir musicien
2. Penser l’orgue
3. Faire bouger l’orgue
4. Oser l’orgue électronique
5. Programmer de l’orgue-et-pas-que
Épisode sixième
Inventer sa liberté musicale
Organiste, organier, organisateur, tu es aussi patron d’un label centré autour de l’orgue et tu as, il y a quelques mois, publié une intégrale collective de l’œuvre d’orgue d’Olivier Messiaen. Une question simple sur ce défi : pourquoi ?
Au départ, il y a une raison d’enregistrer ce monument à Toul : Messiaen a été captif à Toul puis à Nancy avant d’être transféré dans le stalag polonais. D’ailleurs, le professeur Jerzy Stankiewicz, qui a été élève de Messiaen, a soutenu le projet.
Restent l’audace d’une intégrale Messiaen à l’ère de la crise discographique, et la singularité d’une intégrale partagée – nous avons eu l’occasion de critiquer, ébaubi, le résultat. Tu n’as pas été tenté de te lancer seul dans l’aventure ?
Non. Pour deux raisons. D’une part, moi, j’aime partager. Regarde, dans l’intégrale, je joue juste lamonodie. D’autre part, je sais ce que je peux jouer et ce qui m’échappe.
« J’ai embarqué 40 jeunes virtuoses dans une aventure qu’ils ne vivront plus »
C’est rare de rencontrer un musicien qui reconnaisse que certaines musiques lui sont inaccessibles.
Pas tant que ça ! Par exemple, certains se spécialisent dans la musique ancienne et seraient incapables de jouer une symphonie de Widor, et inversement. De façon générale, mais plus encore pour un musicien, la lucidité n’est pas un défaut, au contraire.
En ce sens, quand tu joues la monodie – une pièce courte et très simple, ce qui n’est pas le cas du reste du catalogue messiaenique –, on a l’impression que tu fais coup double : tu mets ta griffe sur le coffret, et tu toises les mauvaises langues en montrant justement que tu n’as pas besoin de te montrer…
Non et oui ! Non, les « mauvaises langues », comme tu dis, je m’en fiche. En revanche, oui, je voulais symboliquement faire partie sonore de l’équipe, et la monodie était une belle occasion d’assouvir cette envie.
Parlons de cette fine équipe que tu as rassemblée, y compris du grand absent, Olivier Latry, auteur d’une intégrale solo considérée comme la référence pour l’œuvre d’orgue d’Olivier Messiaen.
Olivier L. aurait tout à fait pu être de l’aventure Olivier M., c’était juste une question de plannings que nous n’avons pas réussi à faire coïncider. Cependant, on a rassemblé quelques-uns des plus grands noms de l’orgue français : Éric Lebrun, Jean-Paul Imbert, Denis Comtet, Michaël Matthes, David Cassan – je ne vais pas tous les citer, même si j’admire et j’apprécie chacun d’entre eux. Grâce à eux, à leur compétence, à leur talent et, il faut le dire, à leur enthousiasme, l’intégrale bénéficie à la fois de noms prestigieux et de musiciens formidables !
Précisons que, paradoxalement, la singularité du coffret est double : d’une part, il est collectif ; d’autre part, après un volume réservé aux maîtres confirmés, les sept disques suivants sont enregistrés par les étudiants des grandes classes d’orgue européennes.
J’y tenais énormément. Partager ce moment avec de jeunes musiciens de haut niveau, c’était peut-être même le plus important. D’ailleurs, sur la quarantaine de jeunes organistes qui ont intégré l’équipe, aucun n’a rien trouvé à redire, euphémisme ! Ils avaient conscience d’embarquer dans une aventure qu’ils n’auraient plus jamais l’occasion de vivre.
D’autant que les intégrales d’orgue d’Olivier Messiaen, ce n’est probablement pas le genre de projet discographique qui va fleurir à l’avenir…
Bien sûr. C’était donc encore plus important de partager ça avec eux.
« En musique, l’important, c’est de faire, pas de parler »
« Ça », c’est aussi la possibilité de jouer un orgue entièrement restauré.
Mieux encore, car, pendant le Covid, nos tutelles auraient pu annuler nos budgets. En les maintenant, elles nous ont permis de réaliser l’électrification des jeux. Enlever les tirages de jeux électropneumatiques, ça paraît peut-être technique voire ésotérique pour un non-organiste, mais précisons que cela permet d’avoir un orgue beaucoup plus souple.
En clair, on appuie moins fort et plus régulièrement pour obtenir la note souhaitée – à la longue, c’est précieux.
Oui, à la longue et à la courte aussi ! Il est évident que cette modification a grandement facilité le travail des interprètes.
Parce qu’il faut le préciser : certes, enregistrer un projet aussi monumental qu’une intégrale Messiaen permet de « partager avec de jeunes étudiants », mais c’est aussi un manifeste et une façon de valoriser le travail qui a été effectué sous ta houlette.
Heureusement ! Tous les enregistrements qui sont faits autour du festival ont pour vocation de prolonger la manifestation et les travaux effectués autour de l’orgue. On peut faire mieux, on peut faire pire ; moi, j’ai fait, et j’ai fait ça.
Des critiques en ont profité pour égratigner tes choix.
C’est inévitable, mais tu sais qui sont ces gens qui critiquent ? Ceux qui n’étaient pas de l’aventure. Ceux qui n’ont pas été invités. Ceux qui ont promis l’échec du projet, qui s’en mordent les doigts aujourd’hui et qui n’ont pas fini de s’en mordre les doigts. Parce que, quand j’ai écrit aux directeurs et aux professeurs des Conservatoires supérieurs de Paris et de Lyon, des grands établissements de Nancy, Bruxelles, de la Schola Cantorum, eux ont tous été partants et reconnaissants du travail que nous avons accompli. Tous se sont investis. Par exemple, tu parlais d’Olivier Latry. Pour la registration du Livre d’orgue et de L’Ascension, il est venu une journée sur place pour tester la registration au casque. Il a été enthousiaste. Dès lors, les ragots, quel intérêt ?
Un contrepoint contre la monodie ?
Bah, tu parles d’un contrepoint… En France et dans le domaine musical, on peut polémiquer sur tout, et on peut surtout polémiquer ! Ce sport est sans limite. En revanche, quand il s’agit de mouiller la chemise et de mettre les mains dans le cambouis, y a moins de volontaires. Bizarre, non ? Moi, je maintiens que, ce qui compte, c’est ce qu’on a fait ou ce qu’on n’a pas fait. Le reste n’a aucune importance.
« Avoir des certitudes, c’est foncer dans l’impasse des conflits »
D’où l’ire éprouvée par certains à l’idée que tu fasses beaucoup pour l’essor de l’orgue numérique, quitte à tailler des croupières aux « vrais instruments »…
Tu veux remettre le couvert ? Très bien. Tu me connais, quand on me chauffe, on me trouve. Alors, pour la énième fois, moi, quand j’arrive avec mon orgue numérique, j’ai un instrument qui joue juste dans un lieu où il n’y a pas d’orgue ou pas d’orgue adapté à la musique qui va être jouée. En revanche, quand je suis programmé pour des concerts en Alsace où je peux jouer un orgue Kern en parfait état, je n’apporte pas mon orgue numérique. Tu sais ce qui me gêne le plus, dans ce genre de controverse ? C’est que l’opposition est artificielle. La logique binaire numérique versus tuyaux ne fonctionne pas toujours. Par exemple, le 30 juin, à la tribune de Toul, je vais jouer un grand choral de Leipzig avec la pédale sur le grand orgue, forcément ; ensuite, l’orchestre de la Garde républicaine va jouer l’ouverture de la Première suite ; après, je vais descendre pour jouer avec eux le magnifique concerto en ré mineur.
Sur ton orgue numérique.
Oui.
Pourquoi ?
Impossible de jouer aussi loin de l’orchestre à la vitesse où ça va !
Certains te diraient : « Mets un écran pour ton retour vidéo ! »
Mais tu rigoles ? Tu mets un écran pour être avec l’orchestre, super, j’y avais pas pensé, merci du conseil ! Et, pendant ce temps, les sept secondes de réverbération, t’en fais quoi ? et le diapason, comment tu te dépatouilles avec ça ? Ça n’tient pas la route ! Ce genre de vision ressortit d’une vision trop étriquée. Il y a une grande vérité que le monde de la musique oublie trop souvent : il faut sortir de son espace de confort, de son microcosme douillet. Dans certains courants philosophiques, on oblige les jeunes à aller voir ailleurs. Ben, en musique, ce devrait être pareil.
Comment ça ?
Pierre Ambach, qui a eu un prix au CNSM en 1956 avec le très redoutable concerto de Henri Tomasi, qui a enregistré plus tard ledit concerto, qui était régisseur de la musique de scène de l’opéra et qui m’a enseigné la musique de chambre, Pierre Ambach, donc, me disait : « Va remplacer ailleurs. Pas toujours dans le même orchestre. Tu écouteras d’autres façons de jouer. Si tu restes dans un seul orchestre, tu vas te forger des certitudes fossiliser et, plus tard, foncer droit dans l’impasse des conflits. » Il avait raison. Regarde ce qui se passe autour de nous ! Au nom de certaines idéologies, des décideurs nous conduisent dans les impasses des conflits.
Pas qu’en musique…
Non, la musique n’est pas plus fautive. Elle est partie prenante de la société. Elle risque donc, hélas, d’être contaminée par certains travers qui caractérisent telle ou telle manière d’exercer le pouvoir.
« Un artiste, c’est d’abord quelqu’un d’autonome »
Soit, mais quelque chose me chafouine, Pascal.
Quoi ?
Ceux qui te connaissent te voient comme un homme décidé, volontaire, sûr de son fait. Or, dans cet entretien, tu sembles te transformer en chantre de l’extériorité et de la différence. Cette volonté d’aller voir ailleurs te vient-elle de ton parcours, ou ton parcours a-t-il forgé cette volonté puisque,
- trompettiste, tu es devenu organiste ;
- expert en facture d’orgue, tu te passionnes pour les instruments numériques ;
- musicien, tu revendiques une culture plus large, évoquant parfois un film issu de ton immense dévédéthèque rassemblant l’essentiel du cinéma en noir et blanc ?
Je ne viens pas de la musique. Mon grand-père était boulanger. Je suis né dans une boulangerie. Certes, mon grand-père, m’a-t-on raconté (il est décédé quand j’avais six mois), jouait très bien de l’accordéon. Est-ce de lui que je tiens ma fibre musicale ? Pourquoi pas ? Mais je me suis construit, en tant que musicien, avec autre chose que la fibre musicale. Parfois, je suis consterné en voyant la pauvreté de la culture de certains qui aspirent à devenir de grands musiciens. Foin de circonvolutions : on ne peut pas être un grand musicien si on ne connaît rien d’autre que sa musique.
Ta pratique de milieux différents de la musique, qui est un choix et non un faute-de-mieux, doit te faciliter la vie quand tu prends ta casquette diplomatique d’organisateur de festival, de concerts ou de restauration…
Tu veux parler des décideurs pécuniaires ? Parlons-en sans tortiller ! Je connais bien les élus du grand Est, et pas uniquement du grand Est ; et je vois que, quand ils rencontrent un musicien classique, y a un problème. En gros, ils pensent que le type vient chougner parce que la lumière ou la température ou la taille de leur nom sur l’affiche ne leur convient pas. Mauvaise nouvelle pour ces adeptes de l’art de maugréer : les élus ne supportent plus cette attitude. Enfin !
Quelles solutions proposes-tu pour réconcilier musique et politique ?
Il faut que les musiciens se responsabilisent, qu’ils fassent sentir à leurs interlocuteurs que, certes, ils ont besoin d’argent public mais qu’ils sont aussi capables d’agir, eux aussi. Que, certes, ils veulent faire de la musique mais qu’ils veulent aussi la partager avec les autres, donc qu’ils ne joueront pas qu’en tournant autour de leur nombril.
Ce n’est pas le cas le plus répandu, sembles-tu sous-entendre…
En France, non, et je ne le sous-entends pas, je le dis ! Je suis frappé par la difficulté qu’ont certains collègues à se prendre en main. Regarde les musiciens de l’orchestre de Pologne. Quand ils s’installent, ils ont leur instrument, leur pupitre, leurs lampes. Ils ne demandent rien à personne. Chez nous, certains mecs ont l’impression de déchoir s’ils font preuve d’une once d’autonomie.
Tu n’es pas de cet avis.
Je suis même de l’avis contraire ! Je crois qu’un artiste, c’est d’abord quelqu’un qui est autonome. Quelqu’un qui n’est pas autonome n’est pas artiste, il est dépendant, ce qui signifie qu’il n’est plus libre. Il n’est plus libre de ses pensées, de ses choix, de ses actions. Il-n’est-plus-libre. La dépendance aux autres, qui devrait être honnie, est parfois érigée comme le signe de la réussite artistique. « On s’occupe de moi, c’est formidable car je peux me concentrer sur ma musique… » C’est formidable ? Tu oublies que ce n’est plus ta musique, mon gars. Comment un musicien qui renonce à sa liberté peut-il encore se dire musicien ? Je ne dis pas que je suis tout le temps libre, ça s’saurait ; néanmoins, je dis que renoncer à sa liberté sous le prétexte aberrant « se consacrer à son art » est une contradiction absolue. L’art doit lutter pour sa liberté. C’est exigeant, fatigant, parfois rageant, chronophage, frustrant, tout ce que tu veux, mais ce devrait être la base de la pratique musicale.
Et c’est loin de l’être ?
En France ? Très, très loin.
À suivre !
Zhen Chen joue Mozart, Solo Musica – 2/2
Après le « plus difficile », voici « le plus célèbre » des concerti pour piano de Wolfgang Amadeus Mozart, selon Zhen Chen, lancé dans ce couplage de superlatifs – mais à quoi bon reprocher à un interprète son enthousiasme – plus long que les deux suivants réunis – avec Thomas Rösner et l’orchestre de chambre – dont le nom n’est pas destiné à être familier aux non-germanophones – Kurpfälzisches.
Le vingt-et-unième concerto K. 467, en Ut, composé pour occuper un 9 mars 1785 viennois, s’ouvre sur un Allegro à quatre temps : pour la surprise, c’est râpé. Il va donc falloir au compositeur trouver quelques petites astuces pour
- capter l’écoute,
- conserver l’attention voire
- émoustiller les capacités d’émotion des auditeurs.
Les premières astuces ne tardent pas à résonner :
- allant du tempo,
- sautillements des cordes,
- entraînement des rythmes pointés agrémentés de triolets de doubles croches et
- solennité du combo cuivres + timbales,
un sus pas exceptionnel mais pas systématique dans les concerti mozartiens. L’orchestre parvient avec efficacité à associer
- la complémentarité entre cordes et vents,
- les spécificités de pupitres susceptibles de fonctionner en questions-réponses ou thèmes-échos,
- le travail en commun et
- l’évocation de couleurs bien différenciées (pétillantes, presque lyriques, pomposo).
Dès son entrée, le soliste soigne
- son groove (répartition du poids rythmique dans la phrase),
- son allant (tempo, phrasé, précision des traits) et
- ses nuances concentrées dans le spectre piano à mezzo forte,
la dynamique du toucher et les choix de pédalisation contribuant à offrir une gamme de teintes large dans un champ d’intensités pourtant restreint. Une étonnante tentation de sol mineur puis majeur alimente le discours.
- Les staccati,
- le dialogue avec l’orchestre et
- la tenue de la ligne (pas
- de surlignement,
- de précipitation ni
- de contrastes flashy)
contribuent à rendre justice d’une partition dont le carcan conventionnel, poudré, potentiellement rébarbatif, se dissout presque dans l’énergie et les mutations qui emportent l’auditeur, même s’il est animé d’une certaine prévention topique.
- Liberté des modulations,
- aisance digitale du pianiste en dépit d’une pédalisation parfois un rien trop généreuse à notre goût même si elle ajoute du moelleux à l’égrenage des accords,
- alternance stimulante des dispositifs concertants et
- souci permanent des interprètes de faire de la musique avec les notes
charment l’oreille qu’une cadence envoyée avec un soin particulier achève de titiller joyeusement.
L’Andante, définitivement associé, pour les Anciens, à l’émission « Allô Macha » qu’animait Michèle Riond, passe à une battue à deux temps et à une tonalité de Fa. Le son des premiers violons froisse notre désir de lyrisme :
- étriqué,
- acide et, nous semble-t-il,
- à la limite de la justesse collective,
il n’est pas compensé, au contraire, par
- un phrasé haché,
- une accentuation plus caricaturale (« y a marqué sforzendo, j’envoie le jus ») qu’habitée, et
- une approche littéralisante des articulations qui vrille parfois les esgourdes.
Le choix d’une radicalité ? Peut-être, mais d’une radicalité dont
- la poésie,
- le souffle,
- la vibration émotionnelle
seraient absents – donc d’une radicalité qui peine à nous séduire. L’entrée de Zhen Chen confirme ce parti pris anti-onirique (ou non-sentimental…), mais avec une exigence rythmique qui intéresse davantage en travaillant l’opposition entre un accompagnement ternaire et un solo en binaire (puis l’inverse), source de groove.
- Les sautes de registre,
- l’attention à l’exécution des notes secondaires
- (appogiatures,
- ornements,
- trilles),
- le naturel des modulations,
- la réussite des synchronisations (qui n’étaient pas toujours le point fort du premier mouvement) et
- la délicatesse des triolets quasi verdiens des vents au finale
contribuent à l’intérêt de cette proposition. Un Allegro vivace assai conclut l’affaire en synthétisant les deux mouvements : il est en Ut comme le premier et à deux temps environ comme le deuxième.
- Célérité,
- chromatisme entraînant,
- échos entre pupitres,
- irisations modales du majeur au mineur et retour
ravigotent et ragaillardissent. À leur tour,
- deux minicadences offrent d’habiles breaks ;
- l’itération d’un refrain parfois modifié suscite manière de plaisir populaire ; et
- les gourmandes modulations surveillées par les vents sont joliment envoyées.
De nouveau, l’on goûte l’art qu’a Zhen Chen d’aller bon train sans bousculer, d’autant que la cadence finale semble s’amuser à associer une dernière fois
- déploiement de petites saucisses virevoltantes,
- pédalisation abondante qui crée des effets inattendus (plongée vers le gouffre des graves) et
- capacité à suspendre le discours pour mieux repartir.
L’ensemble forme une version punchy mais qui, à nos ouïes, paraît craindre de valoriser le lyrisme contenu et évocateur des mouvements lents comme si cette dimension mozartienne risquait de contrevenir à l’esthétique survoltée ici privilégiée. Dommage, car les deux mêlés, assaisonné à des premiers violons moins pointus, cela aurait pu être sans doute
- plus ambitieux,
- plus large et
- plus enthousiasmant.
Coming soon: Sylvie Carbonel
Sylvie Carbonel est l’une des figures discrètement tutélaires du piano français-mais-pas-que. Après des études d’un brio peu égalé (premier prix première nommée au CNSMDP en piano, deux autres prix en poche dont celui d’harmonie dans la classe d’Olivier Messiaen), l’artiste
- s’est perfectionnée avec succès aux États-Unis, à Julliard et à Bloomington,
- a été hautement peaufinée par Radu Lupu en personne,
- a décoiffé mélomanes et critiques lors de ses débuts avec orchestre à Carnegie Hall,
- a tourné dans le monde entier,
- a glané des prix dans les concours les plus prestigieux,
- a enregistré des centaines d’œuvres, et point des moindres,
- en solo,
- en formation musique de chambre et
- avec orchestre, et
- s’est imposée comme une référence aussi bien
- dans Mozart que dans Moussorgski,
- dans le grand répertoire que dans le répertoire non moins grand mais moins connu,
- dans le titillement de Domenico Scarlatti que dans l’exposition mondiale d’Alain Louvier.
Fin 2023, elle a publié chez Skarbo un coffret stupéfiant de dix disques passionnés et passionnants, qui a sidéré
- aficionados,
- curieux,
- pairs et
- autoproclamés connaisseurs (sauf les snobs, Dieu soit loué),
proposant ainsi une rétrospective saisissante d’une carrière gonflée de superlatifs. Son décalogue serait-il un bilan voire une épitaphe ? « Pas du tout, cette réalisation n’est qu’un début », nous promet-elle. Si bien que, en ce mois de mai 2024, elle nous a accordé un « grand entretien » à cœur ouvert et à bâtons rompus sur
- le passé,
- le présent et
- l’avenir.
Le résultat sera à découvrir en feuilleton presque bientôt dans ces colonnes !
Irakly Avaliani, Intégrale Brahms volume 1, L’art du toucher – 10/10
« Ultra passionné, mais pas trop joyeux » : (presque) tout Brahms ne serait-il pas dans l’indication ouvrant la Rhapsodie en sol mineur, second numéro de l’opus 79 ? Officiellement siglé à quatre noires par mesure, la partition donne cependant du grain à moudre à l’interprète en associant ce projet binaire à une réalité également ternaire avec douze croches par mesure. Irakly Avaliani s’appuie sur cet indice de tourments pour caractériser les différents moments en choisissant pour chacun
- le toucher,
- le phrasé et
- les nuances
exigés par le premier segment de la rhapsodie. Ainsi résonnent
- la fermeté sans concession orientant le discours liminaire,
- les staccati bondissants articulant le dialogue entre les deux mains (octaves mains gauches) et
- le leagto presque lyrique enveloppé d’un piano subito (octaves main droite).
Johannes Brahms travaille la spécificité de chaque registre de l’instrument et secoue ces teintes, y compris en recourant notamment
- à l’astuce de la reprise qui permet d’offrir un nouveau tour de grand huit à l’auditeur,
- au plaisir de la modulation tonale et modale et à
- l’art de l’irisation qui consiste à utiliser un même motif en le présentant différemment à la lumière pour en révéler des
- aspects,
- couleurs et
- formes insoupçonnés.
Au centre du clavier, un ostinato inquiétant finit par irriter les deux mains sans provoquer l’explosion attendue (ce qui le rend encore plus inquiétant). Aussi le compositeur réexpose-t-il le segment premier comme pour y chercher une solution. Cela ne dissout point pour autant l’ostinato, et le piano semble en prendre acte dans une conclusion brève et agacée.
- Moins spectaculaire,
- moins démonstratif et
- moins, disons-le, rhapsodique,
ce dernier numéro de l’opus 79 ? Sans doute, et peut-être est-ce la raison pour laquelle Johannes Brahms rechignait à désigner les deux pièces uniment comme des « rhapsodies ». Irakly Avaliani ne manque pas pour autant de montrer ce qu’un musicien peut faire avec ses petits marteaux :
- cogner, bien sûr,
- chanter,
- questionner,
- chercher,
- renoncer,
- confronter,
- suspendre,
suscitant des émotions rhapsodiques, elles, chez l’auditeur, parmi lesquelles
- la surprise,
- la tension,
- la sérénité,
- l’énergie,
- la rêverie,
- l’étonnement et, in fine,
- le plaisir
qui, comme l’écrivait Claude Debussy, devrait être, nonobstant certaines déclarations tourmentées de grands acteurs du monde musical, l’une des principales finalités de la musique. En cela, la seconde rhapsodie est une habile conclusion pour ce disque, paru il y a treize ans, qui nous a captivé de bout en bout !
Pour écouter Brahms par Avaliani en vrac mais gratuitement, c’est par exemple ici.
Pour acheter le disque, difficile, sauf si l’on est prêt à dépenser 70 € hors frais de port sur Amazon.
Fruits de la vigne, Château Cos Labory 2016
Le domaine Cos Labory fut longtemps un domaine familial avant que, en mars 2023, la famille en question cède au chant des sesterces de Michel Reybier, l’une des hénaurmes fortunes de France forcément expatrié en Suisse. Un homme bien, selon sa wikibiographie : le milliardaire issu
- d’Aoste,
- de Justin Bridou et
- de Bâton de Berger
« se soucie d’écologie et d’intérêt général », ce qui est vachement beaucoup super, d’autant que c’est prouvé. Si, si. Sa fortune fête ou faite, le gusse n’a-t-il pas
- investi « dans une affaire de pétrole à Cuba aux côtés de Gérard Depardieu »,
- eu la chouma de sa golden life en trouvant la pire excuse pour s’être retrouvé dans les Panama Papers (« j’ai investi dans une société qui devait intervenir à titre de conseil dans un projet de création d’une laverie-pressing à Saint-Domingue mais finalement, sur la vie d’ma mère, on a rien aif »), franchement, comme diraient les Belges, ces gens un peu comme les Suisses mais moins montagneux, c’est déconné, et
- été salué par le fisc genevois qui lui a offert un redressement de 25 millions de francs suisses – drame qui, apparemment, lui a fait une belle cuisse ?
Hein, n’a-t-il pas ? Bon, alors ça va, hein l’optimisation-fiscale-et-le-prenage-des-clampins-pour-des-débiles bashing, c’est pas très génial, d’après BFM Business. C’est même dingue que, en France, on ait autant de mal à s’incliner devant
- l’entreprenariat,
- la liberté d’entreprenariat et
- l’entreprenariat tout-puissant,
sérieux, alors que, contrairement aux vers de terre que sont
- les employés,
- les externalisés,
- les travailleurs précaires,
ben, on en parle un max et parfois pas qu’en mal ! Je ne comprends pas pourquoi, vu qu’ils ne créent pas un seul emploi, ces parasites étant juste bons à générer
- des charges patronales,
- des coûts directs comme indirect et
- des impacts négatifs sur la marge.
Allô, quoi ! Mieux nous en prendrait de saluer, en nous inclinant devant elle, la grande âme des milliardaires
- honnêtes,
- altruistes et
- fiables,
des milliardaires, en somme. C’est pas si fréquent, que diable, qu’un bon bougre récupère un domaine contigu à celui que cet associé du belgo-hollandais-américain Tony Parker possède déjà ! Je suis sûr que ce qui chafouine l’auteur petit bras de ces lignes, c’est qu’il a, à travers cet exemplum, confirmation de sa banalité. Ben ouais, y a pas que pour les musiciens que, le pognon, ça compte, y a les vrais gens aussi.
Heureusement, en 2016, donc jadis, le vin était encore aux mains de riches héritiers de vignerons qui n’avaient pas besoin d’un sacré Picsou pour produire un Saint-Estèphe renommé, cinquième grand cru classé du Médoc, mélange de cabernet-sauvignon, de merlot et, pour la route, d’une once de petit verdot.
La robe est sombre mais heureusement pas assez dense pour opacifier la lumière.
Le nez, intense, se concentre sur des pistes plutôt végétales sans négliger la chaleur de la cannelle.
La bouche est d’une belle densité en attaque mais s’éclipse rapidement. L’élégance d’une groseille comme torréfiée, si si, se prolonge plutôt en longueur qu’en rondeur.
Le mariage avec un combo saucisses de Toulouse +asperges est séant à défaut de stimuler des interactions papillaires.
Le prix indicatif sur Internet dépasse légèrement les 40 €. Des offres par 6 peuvent être dénichées, permettant de faire baisser le prix unitaire. (Et contrairement à l’habitude, il n’y aura pas de poésie pour finir. On a commencé par le blé, on termine par la thune, ça boucle bien, je pense.)